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HYPOSTATIQUE (UNION ;


terprélatioii de Berruyer énerve singulièrement les preuves scripturaires du dogme de la trinité et du dogme de l’incarnation. Berruyer admet lui-même implicitement cette conclusion, puisque, pour lui, Jésus-Christ, Homme-Dieu, pourrait être appelé Fils de Dieu, sans que cette appellation impliquât les dogmes de la trinité et de rincarnation. Voir plus haut. Voir, dans la censure de la faculté, les propositions 43 et 138. Sur le vrai sens du terme Fils de Dieu, voir ce mot, t. v, col. 2386 sq. Mais, en nous tenant sur le terrain strictement théologique du problème de l’union hypostatique, les critiques à formuler contre le système de Berruyer peuvent se résumer sous trois chefs principaux.

a) Le concept philosophique de l’humanité unie au Verbe est équivalent chez Berruyer au concept de l’hypostase ou de la personne. L’humanité est un véritable sujet auquel on attribue légitimement les qualités même divines : c’est, comme on le dit habituellement, en résumant d’un mot la conception de Berruyer, un quasi-suppôt, une quasi-hypostase ou personne. Il s’en faut de si peu que ce soit un véritable suppôt, une hypostase ou personne complète, que l’on ne voit pas bien ce qui manque en réalité à l’humanité de Jésus-Christ pour être une personne. La logique devrait conduire Berruyer à admettre la dualité de personnes en Jésus-Christ, tout comme elle le conduit à admettre une double filiation, ^'oi^ la censure de la proposition 21, qui résume la doctrine de Berruyer sur ce point, proposition notée par la faculté de Paris, comme fausse, erronée, téméraire, entachée de superstition, scandaleuse et conduisant au nestorianisme ; par certains côtés, la thèse de Berruyer incline vers l’arianisme, parce qu’elle enlève aux arguments traditionnels leur valeur démonstrative en faveur de la consubstantialité du Fils, c’est-à-dire du Verbe, et vers le sabellianisme, parce qu’elle enlève aux mêmes arguments leur valeur démonstrative relative à la distinction des trois personnes consubstanticlles. - — b) Le concept de la filiation divine, tel que le propose Berruyer, est complètement en dehors de la tradition théologique. Des définitions de l'Église contre l’adoptianisme, voir t. i, col. 419, il résulte que « la filiation naturelle de Jésus-Christ… a. a pour unique fondement la génération éternelle du Verbe, celui-ci gardant son titre de Fils dans toute nature qu’il daigne s’unir ; b. constitue Jésus-Christ le Fils naturel du Père seul, et non point de la Trinité ; c. due uniciuement à la propriété personnelle du Verbe et non à l’union hypostatique, cette filiation disparaîtrait si, au lieu du Verbe, le Saint-Flsprit ou le Père s'était incarné ». Quant à l’opinion subsidiaire défendue par certains théologiens, tels que Suarez, De incarnatione, disp. XLIX, sect. i, n. 5 ; sect. ii, n. 24 ; Vasquez, In Sum. S. Thomæ, III », disp. LXXXIX, c. xiv, et qui consiste à considérer en Jésus-Christ deux filiations naturelles, bien que non condamnée, elle ne saurait être admise. Voir.'doptianisme, t. i, col. 420. A plus forte raison faut-il rejeter l’opinion de Berruyer, phis accentuée encore dans ses formules. — c) Dans l’opinion de Suarez, le défaut d’extranéité dans la nature humaine par rapport au Verbe (en raison de l’union hypostatique ) exclut toute possibilité d’interpréter la filiation quant à la nature humaine dans le sens d’une filiation adoptive. Mais dans l’opinion de Berruyer, cette possibilité, non seulement n’est pas exclue, mais elle semble l’aboutissant logique des prémisses posées. Jésus-Christ est Fils naturel de Dieu en raison de l’action ad extra, commune aux trois personnes divines, et qui unit la nature humaine au Verbe. Cette action nd rxlra semble bien être l’unicpie lien de la divinité à l’humanité dans l’incarnation. Telle n’est pas la doctrine catholique, qui attriliuc sans

doute à la Trinité, comme cause efficiente, l'œuvre de l’incarnation, mais qui enseigne formellement que seule la deuxième personne de la Trinité s’est incarnée : ce que les théologiens expliquent en rappelant que la personne du Verbe divin seule termine l’incarnation en assumant l’humanité à son être personnel. Voir col. 507, et Incarnation. L’opinion de Berruyer ne semble laisser au Verbe aucun rôle particulier dans l’incariialion : celle-ci résulte del’action commune des trois personnes. Sans doute, elle maintient l’union personnelle dans les formules qu’elle emploie, mais elle n’en rend pas suffisamment compte. L’union entre la divinité et la sainte humanité du Christ semble bien n'être qu’une union morale à la façon de Nestorius : on ne voit pas ce qui différencie les relations de la Trinité et de l’humanité de Jésus et les relations de la Trinité et de l'âme juste. Bien d'étonnant que cette opinion ait été qualifiép sévèrement par Benoît XIV et par Clément XIII. Benoît XIV, dans son bref du 17 février 1758, condamna la deuxième partie de l’Histoire du peuple de Dieu, comme contenant des propositions’irespectivement fausses, téméraires, scandaleuses, favorisant l’hérésie sinon hérétiques », et Clément XIII, avec termes identiques, censura la troisième partie par son bref du 2 décembre 1758, en déclarant que la « mesure du scandale était comble ». La Sorbonne censura pareillement 74 propositions (1702-1764). Cf. de Backer, Bibliothèque des écrivains de la C’f de Jésus ; Schôrckh, Christliche Kirchengeschichte, t. vii, p. 181 ; Schsetzler, Das Dogma von der Menschwerdung, Fribourg-en-Brisgau, 1870, p. 201 sq.

Gûnther.

Avec la thèse de Berruyer, expliquant

l’union hypostatique sans relation explicite au mystère de la sainte Trinité et avec la seconde personne de la Trinité, la porte était ouverte au rationalisme. L’action divine ad extra, fondement de cette union, semble la réduire à la proportion d’une union simplement morale. C’est sur ce dernier point, tout particulièrement, que l’introduction de la philosophie moderne dans la théologie accentuera l’explication purement dynamique de l’union hypostatique, et fera de Jésus un homme, semblable aux autres hommes quoique plus iiarticulièrcment uni à Dieu par la grâce qui l’inonde. Toutefois, entre Berruyer et Giinther, le point de départ et l’aboutissement de cette évolution, il faut signaler un théologien aujourd’hui bien oublié, le P. Stattler, jésuite, qui, dans ses polémiques antikanliennes et ses essais de conciliations avec le protestantisme, esquissa le premier d’une façon précise la théorie de l’union dynamique. On trouvera sa thèse exposée dans sa Theologia theoreticn christiana. Eichstadt, 1760, à l’Index, décret du 10 juillet 1797. Cf. Scliætzler, op. cit., 1870, c. xiv. Mais c’est Giinther, voir t. VI, col. 1992 sq., qui donna â cette théorie sa forme plus précise et définitive, sous laquelle elle fut directement condamnée par l'Église.

1. Exposé.

Le fondement de la théorie de Giinther se trouve dans la conception moderne de la personnalité, constituée par la conscience de soi. Voir Hypostase, col. 431. Dans le Christ, Giinther distingue deux consciences, la conscience divine et la conscience humaine, donc deux personnalités. L’union entre la divinité et respril ( Gcis/) de rinimanité est conçue comme celle de l’csiirit et de l'âme (Scele) dans le composé humain. Voir Formk nu corps humain, t. VI, col. 561-562. C’est par la continuité des deux consciences, dont l’inférieure (la conscience humaine) est pour ainsi dire enveloppée et absorbée jiar la supérieure (la conscience divine), que s’explicpie l’unité de personne dans leCJirist, unité non numérique, mais lormelle, dijnnmicn-organique, quc Giinther jiréscnte comme le constitutif de Vuninn hypostatique. Cette explication amène Giinther à d’autres conséquences,