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IlYPOSTASE


5. Il n’est pas suffisaiit de s’arrèler, pour justifier la personnalité, à une espèce « d’autonomie d’ordre moral et résidant dans le fait de s’appartenir ù soimême et par conséquent de répondre moralement et juridiquement pour soi. Il faut aller plus loin et trouver l’explication dernière, ontologique, dans un élément métaphysique, substantiel, c|ui constitue la personnalité. Il faut, en fm de compte, sous peine de contradiction ou d’erreur, en revenir à la théorie scolastiqiie. Voir Bernies, La notion de personnalité, dans Revue du clergé français, 1^’a’vi, 1’= juillet 1905 ; Dubois, Le concept de la personnalité, ibid., 1^’octobre 1904. Peut-être fera-t-on remarquer que la conception giinthérienne ou rosminienne suppose une substance consciente de soi et non seulement la conscience de soi. Tout d’abord, on peut répondre que, dans ce système, la personne est la substance en tunique consciente de soi ; lors donc que la conscience n’existe plus ou varie, la personnalité disparaît ou change. Et l’argumentation précédente garde par là toute sa valeur. Que si l’on insiste sur le mot substance, il faut remarquer combien incomplète et périlleuse devient alors cette définition de la personne. Toute notre étude sur l’hypostase montre que, dans la philosophie traditionnelle, la substance a plus d’extension que l’hypostase, l’hypostase plus d’extension que la personne. La substance se dit de toute nature existante, que cette nature possède ou non sa propre subsistence : l’hypostase se dit de tout être existant en soi et par soi ; la personne est une hypostase de nature rationnelle. Définir la personne une substance consciente de soi indiquerait donc que toute nature raisonnable est une personne, ce qui est faux, puisque la nature raisonnable, dans la personne, n’est que la différence spécifique du genre hypostase. Billot, loc. cit. ; Franzeliu, op. cit., th. xxviii, n. 2, p. 248. Et par là, à rencontre de ce qu’ils prétendent démontrer, Giinther et Rosmini devraient logiquement confesser en Dieu une seule substance consciente de soi, donc, une seule personne ; en Jésus-Christ, deux natures conscientes, c’est-à-dire deux liersonnes. Rien d’étonnant donc que ces conceptions l>hilosophiquement fausses et théologiquement erronées aient été condamnées explicitement par l’Église. Et ces condamnations rejaillissent indirectement sur tous les auteurs contemporains, même catholiques, qui définissent la personne par la conscience, tout en protestant qu’ils supposent à cette conscience un sujet un et indivisible. Ces doctrines avaient lait l’objet des préoccupations des théologiens chargés de préparer le concile du Vatican. Voici deux textes, préparés pour recevoir les sanctions du concile, et qui les visaient directement : « Selon l’enseignement des saints Pères, il est nécessaire de retenir que la notion d’essence, de substance ou de nature ne doit pas être confondue avec la notion d’hijposlase, de subsistence ou . de personne ; de crainte qu’on n’en arrive à une perversion manifeste de nos dogmes les plus saints, en affirmant qu’il y a autant de personnes que de natures intelligentes, ou, pour employer le langage [des giinthériens ) de natures conscientes de soi. > Note qui accompagnait le schéma de la constitution dogmatique De doctrina catholica, c. xiv, dans Acla et décréta sac. œcum. concilii Vaticani, Collectio Laccnsis, Fribourgen-Brisgau, 1890, t. vii, col. 540-541. Le schéma lui-même tire la même conclusion du dogme catholique sur les mystères de la trinité et de l’incarnation. Ibid., col. 514. Voir encore un rapport sur le même sujet, col. 559, un autre schéma, c. viii, col. 1634, et le canon 4 de ce chapitre : Si quis dixerit, lot necessario esse personas, quoi sunt intellcctus et voluntates : aut negata duplici in Christo persona neqari humanæ naturæ perfectionem, a. s., col. 1637.

3° (Conclusions. — Plusieurs conclusions sont à tirer de cette discussion :

1. La doctrine catholique ne peut s’accorder en aucune façon avec la tiiéorie pliénoméniste de la personnalité. — On ne peut concevoir la conscience sans concevoir un être auquel elle appartient. La réalité de l’être est tellement incluse dans l’acte, quel qu’il soit, de la conscience, que celui-là sans celle-là est une pure contradiction. La notion phénoméniste de la personnalité est une contradiction si on ne l’appuie sur la notion substantialiste de la personne humaine.

2. La doctrine catholique rejette la thiorie cartésienne identifiant l’âme et la personne humaine. — La personne inclut l’âme et le corps unis substantiellement. Voir Forme nu corps humain, t. vi, col. 5C7 ; Descartes, t. IV, col. 550-553.

3. La doctrine catholique repousse comme insuffisante et périlleuse la thèse giinthérienne de la personne identifiée avec la substance consciente de soi. — Toute explication purement psychologique de la personnalité humaine tend à confondre nature et personne. C’est dans les éléments métapln siques de la personne et de la nature qu’il faut trouver la raison dernière qui les différencie.

4. Toutefois la philosophie moderne a été utile à la doctrine catholique, en ce qu’elle a mis en relief les propriétés psychologiques et morales de lu personne : a) la personne est complètement et parfaitement sui juris, être conscient et libre ; bj la personne est capable de droits et de devoirs ; c) la personne est capable de mérite et de démérite ; dj la personne est digne de récompense et de punition : e) a personne est capable d’atteindre sa fm propre. Hugon, Metaphysica ontologica, n. 19. Mais toutes ces propriétés, signes extérieurs de la personnalité, présupposent l’indépendance ontologique de l’hypostase, telle que la scolastique a su la mettre en relief.

Parmi les travaux les plus importants sur la signification et l’évolution des termes /(i/pos/a.se et personne dans les premiers siècles, il faut citer : Huet, Origeniana, t. II, q. II, n. 3-19, P. G., t. xvii, col. 712-747 ; J. Lanii, De recta Palriim Nicœnorum fide, Florence, 1770, c. xxxil, p. 174182 ; G. Bull, Defensio fidei Nicanw, Oxiord, 1827, sect. n ; Garnier, Préface aux lettres de saint Basile, §1, 2, P. G., t. XXXII, col. 10-23 ; Passaglia, De f cWo.’Jia.sfica significatione Tr, ; o-joioiz, Rome, 1850 ; Petau, De tbeologicis dogmatibiis, Paris, 1867, t. m. De Trinitate, t. IV, c. i-iv, vii-ix ; Paris, 1809, t. vi. De incarnatione, t. II, c. iii, v-vi ; Thomassin, Theologiea dogmata, Paris, 1866, De incarnatione, t. III, c. I, XXI ; Legrand, De incarnatione Verbi divini, diss. VI, c. i, dans Migne, Cursus théologiens, t. ix. col. 738759 ; Braun, Der Begriff « Person » in seiner Anwendung anf die Lehre von der’Trinitiil imd Incarnation, Mayence, 1876. M. Tixeront, qui, dans son Histoire des dogmes, Paris, 1909-1912, t. net iii, a abordé à maintes reprises ce problème, a donné mi court, mais substantiel résumé de la question aux v » et vi’siècles. Des concepts de nature et de personne dans les Pères et les écrivains ecclésiastiques des ye gi yje siècles, dans la Bévue d’histoire et de littérature rWi ff’eusps, novembre-décembre 1003 ; reproduit dans yiélanges de patrologie et d’histoire des dogmes, Paris. 1921, p. 210-227. De M. Labauche, outre Leçons de théologie dogmatique, Paris, 1911, t. I, I" partie, c. i, p. 5-21 ; IP partie, c. i, § 2-3, p. 129-209, citons deux études, La notion théologique de personne, et La formation de la notion théotogique de personne (résumé de la pensée chrétienne chez les Pères et chez les scolastiques), dans la Revue pratique d’apologétique, l"niars 1909, 15 juillet 1910. Voir également Stentrup, Zuui Begriff der Hypostase, dans Zeitsehrift fiir katholische Théologie, Inspruck, 1887 ; S. Schlossniann, Persona und irpoTioTiov im Rechi iind christlichen Dognia, Iviel, 1906 (le titre indique le point de vue spécial auquel l’auteur s’est placé) ;.. Michel, L’évolution du concept de persomie dans tes rapports de la philosophie chrétienne avec la théologie, dans la Revue de philosophie, 1919, p. 351-383. 487-515.

Toujours en ce qui concerne la pensée chrétienne des premiers siècles, d’excellents aperçus ont été donnés par