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HYPOSTASE


de son individualité, peut seule déterminer, en tant qu’essence, le mode d’existence propre à tel indiindu {homme, cheval, plante) dont elle est la raison spécifique ; en ce sens, elle n’est donc plus possédant l’être, habens esse, mais elle est ce selon quoi le sujet possède cet être, qua aliquid habet esse. Cf. Billot, De Verbo Incarnalo, p. 63-65.

Une troisième source de difficulté dans l’exposé de la pensée thomiste, c’est la question du De iinione Verbi incarnati, dont la doctrine sera examinée à Hypostatiqve (l’nion), col. Û28 529.


III. Systèmes hétérodoxes modernes. —

Quelques notes sufllsent sur ce dernier point de noire étude. Nous n’étudions, en effet, la notion philosophique de rhypostase ou de la personne que dans la mesure où cette notion a été appliquée aux problèmes théologiques.

Exposé.

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La théorie philosophique moderne. —


La philosophie moderne prétend renouveler la conception traditionnelle de l’hypostase. Elle procède en droite ligne du cogita, ergo sum de Descartes. C’est vers le moi pensant qu’elle se tourne pour définir la personne : < Nous sommes, avait dit Descartes, par cela seul que nous pensons. « Les principes de la philosophie, part. I, r. 8. L’àme seule, en tant qu’être pensant et distinct du corps, constitue le moi, la personne humaine ; la pensée est l’essence île l’àme, cf. Méditation sixième, et, par pensée, il fuut entendre « tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imai !  ; iner, mais aussi sentir est la même chose que penser. » Les principes de la philosophie, loc.cit., n.9. VoirDES-CARTFs, t. IV, col.."), ")().

L’àme, principe unique et immédiat de toute opération, constitue donc pour Descartes la personne humaine. Mais au fond, en poussant uisqn’n l’extrême conclusion la lot’ique des principes cartésiens, est-ce bien l’âme qui constitue la personnalllé ? N’est-ce pas plutôt la conscience que l’âme a d’elle-même ?.le pense ; qu’est-ce à dire ? Si le fait de la pensée ou de la conscience est indéniable, le moi est-il aussi indéniable ? Ne faudrait-il pas se contenter de dire ;.le pense, donc il y a la pensée, sous prétexte de poser un moi qui est peut-être illusoire ? — Certes, si vous entendez par moi autre chose que votre pensée même, vous n’avez pas le droit d’introduire ce nouveau personnage. .. Il m’est impossible (le concevoir une pensée. entre ciel et terre, qui ne serait pas un sujet pensant, une sensation qui ne serait pas ma sensation, ou votre sensation, ou la sensation de cpielque autre… Descartes a donc bien le droit… fie poser ainsi une conscience à forme personnelle. Seulement est-ce autre chose qu’une forme ? » Fouillée, Dcscarles, Paris, 189.S, p. 99-1 OL — Cette théorie, la personnalité constituée par la conscience, fait le fond de la doctrine de Malebranche, mais surtout de Leibniz, Théodicée, i, S S* », Œuvres philosophiques, Paris, 1866, p. 160 ; cf. Wolf, Psychologia ralionalis, § 741. Herkeley lui donne une plus complète et plus décisive formule dans sa conception idéaliste du monde, ramenée à la conscience, condition de la représentation de toute chose. Renouvier. Les dilemmes de la m^laphiisiquc pw^e, p. 206-214. Du même principe est parti Kanl pour asseoir son système. Pour lui, ce qui constitue le moi, ce n’est plus la substance pensante, mais « la conscience seulement, la pensée en tant qu’elle se réfléchit elle-même, « estft-dlrc ses propres actes et les phénomènes sur lesquels elle s’exerce. De là, pour le fondateur de la philosophie critique, deux sortes de moi : le moi pur oins reine icii) et le moi empirique. Le premier, comme nous venons de le dire, c’est la conscience que la pensée a d’ellemême etdes fonctions qui lui sont entièrement propres ;

le second, c’est la conscience s’appliquant aux phénomènes de la sensibilité et de l’expérience. » A. Franck, Dictionnaire des sciences philosopliiques, Paris, 1875, p. 1122. L’idéalisme kantien évolue, avec Fichte, Schelling, Hésel, vers une sorte de panthéisme où le moi n’est plus la pensée ni la conscience humaine, mais une forme de l’absolu. Janet et Séailles, Histoire de la philosophie, Paris, ^894, p. 769-770. -- D’un autre côté, le principe cartésien inspire également certains représentants de l’école empirique. Locke reconnaît avec Descartes qu’un sentiment intérieur me donne la conscience de moi-même : » Le moi, écrit-il, est cette chose pensan’ic, intérieurement convaincue (le ses propres actions (de quelque substance qu’elle.soj7 formée, soit spirituelle ou matérielle, simple ou composée, il n’importe), qui sent du plaisir et de la douleur qui est capable de bonheur ou de misère, et par là est intéressée pour soi même, aussi loin que cette conscience peut s’étendre. » Essais sur l entendement Immain, t. II, c. xxvii, § 17. Le moi est donc caractérisé par la conscience et l’identité, dont la mémoire apporte la démonstration. Mais faut-il conclure que, derrière ce moi. il y a un subslndiint. une substance pensante, consciente et douée de mémoire ? Sur ce jioint, Locke est très réservé ; « L’esprit, dit-il, observant que différentes qualités simples sont toujours inséparablement unies, juge qu’elles appartieiment toutes à un même sujet… L’idée de la substance en général n’est donc que l’idée de je ne sais quel sujet qu’on suppose être le soutien des qualités qui produisent dans notre âme des idées simples. » La substance de l’esprit est ainsi « supposée le soutien des idées simples qui nous viennent du dehors, sans que nous connaissions ce que c’est que ce soutien-l » ; la substance du corps est ainsi « regardée comme le soutien des opérations que nous trouvons en nous-mêmes par l’expérience, et qui nous est aussi tout à fait inconnu », c. xxiii, § 5. Hume pousse logiquement l’empirisme de Locke à ses dernières conséquences. Le moi n’est pas perçu comme substance, puisqu’il n’y a aucune impression qui réponde à l’idée de substance : il n’est ni simple ni identique ; il n’est qu’une série toujours changeante, qu’mi ensemble complexe de r( ; présentations ; son identité et sa simiilicité reposent sur une illusion, que les lois de l’association sulFisent à expliqucr. i ; n un mot, le moi est une collection de phénomènes internes qui, étant données les lois de l’imagination, apparaît nécessairement comme une substance simple et identique. Traité de la nature humaine, Londres, 1738, t. I, part. IV, § 6. — Sluart Mill reprend la théorie phénoménisie de Hume : " La croyance que mon esprit existe, alors même qu’il ne scTit pas, qu’il ne pense pas, qu’il n’a pas conscience de sa propre existence, se réduit à la croyance d’une possibilité permanente de ces états… Aussi je ne vois rien qui nous empêche de considérer l’esjirit comme n’étant que la série de. nos sensations (auxquelles il faut joindre à présent nos sentiments internes) telles qu’elles se présentent elTectiveïuent, en y ajoutant des l)ossibililés indéfinies de sentir qui demandent pour leur réalisation actuelles des conditions qui peuvent aoir ou n’avoir pas lieu, mais qui, en tant que possibilités, existent toujours, et dont beaucoup peuvent se réaliser à volonté. » Examen de la philosophie de llamiltnn, trad. franc., Paris, 1869, p. 228-229. C’est aussi la thèse de Taine : " Il n’y a rien de réel dans le moi, sauf la file des événements, » De l’intelligence, Paris, 1X97, t. i, préface, p. 7 ; celle de Hcnan : L’Ame n’est que la résultante toujours variable des faits multiples et complexes de la vie, L’avenir de la science, Paris. 1890, p. 181 ; de Binet : La personnalité est une synthèse de phénomènes, qui varie avec ses éléments composants et qui est sans cesse en voie