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HYPOSTASE


dans les créatures, il ne peut y avoir que des relations accidentelles, ce mode de conmiunicabilité de substance disparait et, par conséquent, dans les créatures, la subsistence implique l’incommunicabilité.

5° Or, la subsistence, pour saint Thomas, c’est’l’être en tant qa’il subsiste trouvant en soi et non dans un sujet d’adhésion l’appui de son existence. » Sum. IheoL, l^, q. xxix, a. 2 ; cf. De potentin, q. ix, a. 1. C’est là le sens concret du mot, sens recueilli de la tradition patristique tout entière, qui n’exclut pas, chez saint Thomas, le sens abstrait plus conforme à la pensée latine. Suin. theol., III^, q. vi, a..3. Au sens abstrait, la subsistence est la raison formelle qui fait de l’être un sujet existant en soi. Que renferme la subsistence, prise au sens concret ? Prise au sens abstrait, en quoi consiste cette raison formelle ?

La subsistence (au sens concret) renferme, on l’a vii, non seulement la nature et les principes individuels, mais encore Vexialence en soi, propre à la substance. C’est pourquoi, même dans les substances spirituelles, dont la nature est par soi individuée, la personne diffère réellement de la nature, car les esprits ne sont pas leur existence et, en dehors des principes spécifiques, ils doivent, pour être, recevoir du dehors l’existence elle-mtme. Quodl. ii, a. 4. La subsistence (au sens abstrait) ne serait donc autre que l’existence. Saint Thomas répète, en effet, très souvent que l’existence est intrinsèque à la raison de personne : o L’existence, dit-il, entre dans la constitution même de la personne. » Sum. IheoL, III », q. xix, a. l, ad 4°"’. " L’existence ne peut être attribuée qu’à la chose subsistante par soi… et c’est pourquoi l’existence substantielle est le propre du suppôt ou de la personne. L’existence est donc le fondement même de l’unité de la personne. » Quodl. IX, a. 4, ad 2°"" ; cf. Sum. theoL, I », q. xxix, a.3 ; 111% q. xvii, a. 2, ad l"°> ; 7n IV Sent., t. I, dist. XXIII, q. I, a. 1 ; De veritate, q. xxi, a. 1 ; In Boelh., De hebdomndibus, lect. ii.

6° Par là, subsister, exister en soi, être en soi, c’est la même chose pour saint Thomas. La personne se distingue donc de la simple nature, en ce qu’elle y ajoute les principes individuels et l’existence ; de la nature individuée, en ce qu’elle la complète par son existence propre. La nature individuée désigne donc avant tout l’essence ; la personne ou l’hypostase signifie l’essence individuée et l’existence, c’est-à-dire rêtre subsistant, considéré sous cette formalité d’être subsistant : « Si le nom de l’individu vague (un homme singulier) et le nom de la personne se rapprochent par une grande analogie, il y a pourtant une différence entre l’un et l’autre ; le premier signale d’abord la nature, puis l’individu subsistant (puisque naturellement toute nature individuée doit subsister) ; le dernier, au contraire, dénote avant tout l’individu subsistant, puis la nature. » Sum. IheoL, I », q. xxx, a. 4.

Il faut conclure que, dans le système de saint Thomas, la nature individuée ne se distingue pas de la personne, comme l’essence de l’existence ; l’essence et l’existence sont deux réalités, incomplètes sans doute et inséparables dans l’être qu’elles constituent, mais néanmoins distinctes de tout point l’une de l’autre ; la personne n’est pas une réalité complètement distincte de la nature : elle est la nature plus quelque chose de réel qui est l’existence en soi et par soi. La personne se distingue donc de la nature d’une distinction inadéquate, comme disent les scolastiques.

Saint Thomas paraît donc pleinement favoriser la thèse attribuée à Capréolus.

7° On objecte à cet exposé qu’en maints endroits de ses œuvres, le docteur angélique affirme l’identité du suppôt ou hypostase et de la nature individuée. C’est l’objection de Tiphaine, op. cit., c. vii, et de Fran zelin, op. cit., th. xxx. Les textes invoqués, concernant les substances spirituelles et même les substances corporelles, sont principalement : Sum. theol., I", q. ni, a. 3 ; q. xxix, a. 2, ad 3°"’; IIl%q. ii, a. 2 ; a..5, ad 1°"’; De potentia, q. ix, a. l, a. 3, ad 2°™ ; Compendium theol igiip, c. ccxi ; Qaodlibet II, a. 4 : De veritate, q. iii, a. 2, ad S’i™ ; Omtru génies, t. IV, c. liv, etc. De plus, lorsque saint Thomas parle de différence réelle entre la nature et la personne, ou Lien il parle de la nature spécifique comparée à la nature individuée, Sum. theol., 1% q. 111, a. 3 ; III », q. ii, a. 2 ; In IV Sent., t. III, dist. V, q. I, a. 3 ; De potentia, q. ix, a. 1 ; Quodlibet II, a. 4, 9, a. 2, ad 1°’" ; In melaph., l.VIl, lect. ix-xi ; I. "VIII, lect. iii ; ou bien il parle des éléments constitutifs de l’hypostase comparés à tout l’amas des propriétés et des accidents qui."i’ij ajoutent dans l’hypostase. In IV Sent., t. III, dist. V, q. i, a. 3. Ces deux dernières observations sont justes et expriment bien le sens des textes allégués. Mais ces textes ne suppriment pas pour autant ceux que l’on a rapportés plus haut et qui établissent nettement une diflérence entre la nature et l’hypostase. Y aurait-il donc contradiction dans la pensée du saint docteur ?

La solution semble indiquée par Capréolus, un c}es plus sûrs interprètes de saint Thomas. L’être subsistant n’étant pas autre chose que la substance possédant son existence propre, on peut l’envisager sous un double aspect, soit dans la totalité des éléments qui le constituent, substance et existence — et c’est alors le suppôt formellement ou réellement considéré — soit dans la seule substance concrète, prise en elle-même, quoique’connotant » toutefois l’existence par laquelle elle subsiste — et c’est alors le suppôt considéré dénominativement. Ce double point de vue se justifie, car le concept d’existence est formellement distinct du concept d’essence. Selon donc que saint Thomas s’attache à l’un ou à l’autre aspect du suppôt, il parle l’un ou l’autre langage, sans qu’il y ait en sa pensée la moindre contradiction : Album est duplex, dit Capréolus, denominativum et formule ; ita etiam persona vel suppositum potest dici dupliciter : primo modo denominative et sic suppositum dicitur illud individuum quod per se subsistit ; secundo modo formaliler, et sic suppositum dicitur compositum ex iali individuo et ex sua subsistentia per se. In IV Sent., t. III, dist. V, q. III.

Un autre sujet d’éqjivoque dans la terminologie thomiste, c’est la façon dont saint Thomas s’exprime pour désigner la nature concrète, représentée tantôt comme le sujet possédant l’existence (ut quod est). Contra gentes, t. IV, c. liv ; tantôt comme la raison spécifique selon laquelle est possédée lexistence par le sujet, esse consequitur naturam, non sicut habentem esse, sed sicut qua aliquid est. Sum. theol., III », q. xvt, a. 2, ad 1°". La première façon de parler semble donner raison à Tiphaine dans son interprétation de saint Thomas ; mais on a déjà expliqué, sur ce point, par la distinction des deux aspects du suppôt, la vraie pensée du docteur angélique. La seconde paraît indiquer la nécessité d’un complément à la nature pour la rendre susceptible d’existence en soi, et favoriser la thèse de Cajétan. On a déjà vu qu’il n’en est rien. Sans doute, l’essence de l’individu réalisée et l’individu lui-même, composé de l’essence et des principes individuels, ne se distinguent pas dans la réalité, voir Essence, t. v, col. 844 ; toatefois, ce sont là des formalités bien distinctes. L’essence réalisée, considérée non pas seulement dans ses éléments strictement spécifiques, mais dans tous les caractères qui en font cette nature individuelle, est seule capable d’être actuée par l’existence ; elle est donc vraiment le sujet existant, id quod est. L’essence réalisée, mais considérée dans les seuls éléments spécifiques, abstraction faite

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