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HUMILITÉ

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générale, en ses manifestations intérieures ou extérieures, tandis que les autres vertus, ayant leur objet particulier, circonscrit, n’exercent pas une influence aussi complète sur la conduite de l’homme. C’est à raison de son extension morale qu’elle a été appelée le fondement des autres vertus. Non qu’elle soit supérieure aux autres à raison de sa dignité ; mais parce qu’elle dépage le cœur de toute pensée d’orgueil, de toute préoccupation de vanité persoinielle. Ainsi, elle ouvre la voie à l’arlion divine ; elle écarte les obstacles qui s’opposent à l’érection de l’édifice spirituel. C’est en se plaçant dans cet ordre d’idées que doivent s’interpréter les paroles connues de saint Augustin, comparant la vie chrétienne à l’édification d’un grand monument : Cogitas magnam fabricam construcre celsitudinis ? De jundamenlo prius cogita Immilitatis. Serm., Lxix, c. I, n. 2, P. L., t. xxxviii, col. 441.

II. Divisions.

1 " Sur ce point, il existe une grande divergence entre les maîtres de la vie sjjirituelle. Saint Benoît compte douze degrés de la vertu d’humilité. Régula, c. vii, P.L., t. lxvi, col. 371-375. Saint Grégoire le Grand. Moral, in Job, t. XXIII, c. iv, P. L., t. lxxvi, col. 258-299, établit quatre degrés d’humilité, qu’il oppose aux quatre degrés de l’orgueil. Saint Thomas, dans sa Somme théologique, IP IP’, q. clxii, a— 4, justil e la division de saint Benoît. Saint Bernard à son tour adopte le nombre de douze, dans son traité spécial des degrés de l’humilité, P.L., t. cxxxii, col. 943 sq. Saint Anselm" noml>rc /rof.s degrés. Fp st., lxxv, I’. L., t. ci.iy, col. 112. Mais Eadmer, ex osant les idéss de faint Anselme, compte sept degrés. Liber de S. Anselmi similitudinibus, c. lx sq., ibid., col. G65 sq. Saint Ignace compte seulement trois degrcs de la vertu d’humilité : le premier consiste à se soumettre au Seigneur ; le second écarte toute faute vénielle et toute convoitise des biens terrestres ; le troisième consiste en ce que l’homme humble, par amour de Dieu, choisit la pauvreté et le mépris de tous les avantages du monde. Exerciiia spiritualia, médit, ivæ diei M* hebd., p. m.

2>— (.ette opposition des auteurs spirituels n’est qu’apparente. Elle provient des points de vue différents où ils se sont placés. Les uns n’ont envisagé que les caractères essentiels de la vertu d’humilité. Les autres ont voulu, non seulement étudier sa nature intime mais encore énumérer les conséquences qui découK’nt de la praticiui ? de cette vertu.

II arrive ici ce que saint Ambroise, In Luc., t. V, n. 49, P. L., t. XV, col. 1649, signale au sujet de l’opposition de saint Luc et de saint Matthieu dans la recension des béatitudes évangéliques. Le premier n’en proclame que quatre : le second, au contraire, en énumàre huit. Mais, ajoute l’évêque de Milan, ces deux listes s’adaptent dans un ordre rigoureux : les huit béatitudes renferment I>s quatre autres, comme ces quatre contiennent les huit indiquées par saint Mattliieu. II en est de même des divers de « 4rés de l’humihté. En elïet, tous les auteurs cités admettent, sous une forme ou sous une autre, que l’tiumilité refrène l’impétuosité de l’âme vers les actes que la raison signale comme am’iitieux, et que cette répression de la passion est inspirée par le respect de la loi divine. L’accord est complet ju..qu : i-là. La différence des appréciations porte sur l’énumération des actes, des attitudes et de& paroles variées, qui jaillissent des actes internes. Les uns, comme saint Benoît, passent en revue tou’, .es ces conséquences : répression de sa propre volonté, déférence aux directions des supérieurs, courage pour dom)ter 1°S résistances opposées, aveu de son impuissance personnelle, cortscience de son incapacité à atteindre uu but élevé, reconnaissant de la supériorité des autres par rapport à cet objectif supérieur, amour de la position modeste que l’on occupe, répression de la précipitation des juge ments que l’on jiorte, mesure des termvs dont on se sert dans ces appréciations, retenue des regards, modération dans le ton du langage et dans les éclats de la joie trop bruj’ante. Ce sont là les rameaux et les fruits divers d’une même tige. Le même sol fournit la sève qui les multiplie. lui un mot, les écrivains mystiques, partant des mêmes principes, en déduisent des conséquences plus ou moins variées, selon les circonstances où ils se trouvent et les leçons pratiques qu’ils croient devoir donner aux disciples placés sous leur autorité.

La parfaite humilité iiôsséde trois degrés. Au premier, l’homme humble se soumet à son supérieur et ne s’estime pas au-dessus de son égal. Cette mesure est suffisante pour que celui qui la pratique ne viole pas le précepte. Au second degré, l’humble se soumet à son égal, et ne se préfère pas à son inférieur. Ce degré est supérieur au premier, parce qu’on y observe le conseil évangélique. Au troisième degré, l’homme humble arrive à se soumettre même à son inférieur ; il accomplit ainsi toute la justice dont parle l’Esprit-Saint dans l’Écriture.

3° En partant de l’ordre d’idées inspiré par cette dernière considération, les maîtres de la vie spirituelle traitent des huit degrés de l’humilité héroïque, <]u’ils ont signalés d’une façon spéciale.

Le premier degré de cette hiunilité, supérieur aux trois premiers, consiste en ce que l’homme, parvenu déjà à l’union infinie avec Dieu, reconnaît les bienfaits dont le Seigneur l’a comblé : convaincu, d’autre part, de sa bassesse et de son impuissance, il en est tellement pénétré, qu’il désire ardemment qu’on lui attribue à lui-même toutes les défectuosités, toutes les défaillances que l’on constate en lui. Il demande, en outre, qu’on rapporte au Seigneur la gloire de tout le bien qu’il peut posséder et accomplir, et qu’enfin Dieu seul soit loué en sa personne et à son occasion. Cet état est conforme à ces belles paroles de saint Bernard : Magna et rara virtus profecio est, ’cum magna opereris, magnum te nescire. Cum omnibus nota sit sanctitas tua, te solum lateat, cum omnibus mirabilis appareas, tibi soli vilescas. Serm., xiii, in Cantica, P. L.. t. CLXXxiii. col. 837.

Le second acte héroïque d’humilité est de soustraire aux regards, dans la masure possible, tous les dons naturels et surnaturels dont on a été doté par la providence divine.

Le troisième degré de l’humilité héroïque est la patience à supporter les injures, sans un mouvement qui trahisse aucune émotion intérieure ou extérieure. Cet acte est supérieur, en eflet, à celui qui consisterait à décliner les honneurs, à s’abstenir de la vaine gloire.

Au quatrième degré, l’humilité héroïque fait accepter avec joie les avanies qu’on subit. Ce degré dépasse encore l’humilité ordinaire, qui supporte les injures avec patience.

Le cinquième degré héroïque est la provocation du mépris des autres, par la manifestation de ses défauts personnels. Cette pratique est au-dessus de la patience, qui supporte seulement les travers que la malignité du prochain nous attribue à tort. Quelle différence avec cette humilité de parade, purement hypocrite, qui semble se rabaisser en parole, pour s’attirer des éloges ! Est qui nequiter se humiliai et interiora ejus plena sunt dolo. Eccle., xix, 23.

Le sixième degré consiste à se considérer soi-même comme la dernière des créatures. Saint Bernard dit que l’humilité indique à l’homme son néant, en l’éclairant sur sa réelle impuissance, lorscpie, d’après sa signi flcation étymologique, la superbe, superbia, l’excite à s’élever au-dessus des autres.

Dans le septième degré, l’iiomnii s’attribue, à raison de ses péchés, tous les maux, tous les désastres qui se produisent dans le monde.