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HL’GUES DE S A I NT— V ICTOR

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Reconnaissons toutefois qu’on ne trouve pas, dans ce coninientaire, la précision et l’originalité liabituelles de notre victorin ; c’est l’œuvre d’un ])àle disciple du pseudo-Denys et de Jean Scot itriugène. Hui/ues se révèle autre chose et beaucoup mieux que cela dans une suite de traités qui conduisent des premiers degrés de la vie spirituelle aux sommets de la contemplation.

Deux écrits développent, à l’usage des religieux, les principes de l’ascétisme. Encore le premier, le 1)< instilulioni’noinliuriim, P. L., t. clxxvi, col. 925-9.52, traite-t-il moins des vertus que des qualités extérieures : maintien, tenue, modestie, politesse, etc., qui rendent facile et bonne l’existence en commun. IJ Exposilio in rcgidam B. Auguslini, P.L., t. clxxvi, col. 881-92 1, est une exjilication de la règle de saint Augustin adoptée par les chanoines de Saint— Victor : de l’avis d’un écrivain très peu " mystique », B. Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Viclor, 2e édit., Paris, 188(), p. 115, elle fait honneur à Hugues. Aux récriminations de Luther contre les excès des mortilications monastiques, H. Denifle, Luther et le luthéranisme, trad., J. Paquier, Paris, 1911, t. ii, p. 258, a opposé la discrétion réclamée par VExposilin, c. iii, col. 893, laquelle eut une autorité officielle dans tout l’ordre des augustins.

La contemplation est la cime de l’ascension mystique. Comme point de départ ou plutôt comme anticipation lointaine, il y a une connaissance de Dieu spontanée, « quasi-in’.uitive » résultant d’un « sentiment d’inquiétude, d’inassouvissement, de manque et de disproportion en présence du fini qui nous entoure, du passager qui nous entraîne, du monde matériel qui nous enserre. Ce sentiment ne trouve son contentement, cet appel sa réponse, ce désir profond son apaisement nécessaire que dans un rapport personnel avec l’Esprit de Dieu… Saint Augustin a tout dit là-dessus dans une formule dont un incessant usage a presque efïacé le relief, et où il faut donner au mot

« cœur » le sens prégnant qu’il a retrouvé dans Pascal :

Fecisti nos ad te. et ideo inquietum est cor noslrum donec requiescat in te. » L. de Grandmaison, L’élément mystique dans In religion, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, t. i. p. 190, 197. Hugues a repris le mot de saint Augustin, De arca Noe morali, prol., P. L., t. CLXXVI, col. fil9-620, et quatre ouvrages de lui en sont un commentaire très riche, un peu diffus, un peu subtil, parfois, mais souvent aussi ému, entraînant, ingénieux, délicat, ailé. Les In Satomonis Ecclesiasten homilias XIX, P. L., t. clxxv, col. 113-256, débutent par une remarquable description de la contemplation et considèrent les différentes espèces de vanité qui, à sa lumière, apparaissent dans les choses caduques. Le De arca Noe morali, P. L., t. CLXXVI, col. 617-680, le De arca Noe mgslica, P. L., t. CLXXVI, col. 681-704, et le De vanitate mundi— et rerum transeuniium usa, P. L., t. clxxvi, col. 703740, forment une sorte de trilogie, où nous voyons l’homme déchu de la contemplation de Dieu que Hugues prête à Adam innocent ; sa maladie, eccc ostendimus morbum cor fluctuans, cor instabile, cor inquietum ; la cause du mal, qui est l’amour du monde ; le remède qui est l’amour de Dieu. Pour arriver à l’amour du Dieu, il est nécessaire de se déprendre du monde vain, changeant, périssable, et de chercher Dieu, pour être avec lui dans sa maison, arche de salut qui est l’Église, la grâce, l’àme ; il s’agit d’édifier en nous cette arche mystique, d’y entrer, de l’habiter, de s’élever vers Dieu par la contemplation des créatures, d’aller des pensées utiles aux actes meilleurs. en sorte que tout ce que nos regards humains aperçoivent de bon au dehors, nous nous efïorcions de le présenter au dedans aux regards divins, que nous ne

voyions, que nous n’attendions, que nous ne désirions que.Notre-Seigneur Jésas-( ; hrist, et qu’ainsi, sicut prius hoino per visibilia a contamplutione Dei ceciderat, itu nune. j>er visibilia Dei opéra admonitus, ad ipsum iterum contemplundum resurgere ronsueseal. De vanilate mundi, t. II, col. 71(5-717 ; cf. J)e arca Noe morali, l)rol., 1. 1, c. I, II : t. II, c. IV, vi, col. 619-620, 621, 626, 637-638, 610, etc.

Dans l’ascension nnstique, la méditation a un rôle importanl. Hugues lui a consacré un petit traité, que les éditeurs ont intitulé De meditando seu meditandi artifuio opusculum uureum, P. L., t. cl.xxvi, col. 993-998, mais qui ne porte dans les manuscrits que ce titre De meditationc ou De arte meditandi. Cf. B. Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint— Victor, p. 135. Il en traite aussi ailleurs, par exemple, dans l’Erudilio didascalica, I. III, c. xi, col. 772. Surtout le De tribus diebus, devenu indûment le I. VII de VEruditio didascalica, est une admirable méditation ou <i élévation dogmatique » ; de la connaissance des choses visibles on monte à celle de Dieu un et trine, et de la connaissance de Dieu on revient à celle de l’âme et des créatures inférieures : nunc iam mens noslra ad semelipsam redcat et quid sibi e.v hac cognitione utilitatis provenire possit attendat, c. xxvi, col. 835.

Au-dessous de la méditation il y a la prière, qui s’élève sur ces deux ailes : la misère de l’homme et la miséricorde du rédempteur. De modo orandi, c. i, col. 977, et à laquelle la méditation est indispensable : sic ergo oralioni sancta meditatio neceSsaria est, ul omnino perjccta esse oratio nequeat si eam meditatio non comitetur uut præceded. Le De modo orandi, quelque peu lassant par l’abondance des divisions et subdivisions, a des considérations très pieuses sur la prière en général et, en particulier, c. iv-viii, col. 981-988, sur la prière qui consiste à se servir, sive pro nostra sive pro uliorum salute, des textes de l’Écriture qui n’ont pas la forme de la prière.

A-t-on prié ? Deinde restât tibi ut cul bonum opus accingaris, ut quod orando pctis operundo accipere mereuris… Sicque fit ut supradictum eum (Deum) quod (sic, pour quem) oratio quærit conlemplatio invenit-Eruditio didascalica, t. V, c. ix, col. 797.

Nous avons vu ce que Hugues dit de la nature de la contemplation et de sa division en spéculation et contemplation tout court, ou contemplation acquise et infuse. Il y a une gradation mystique. Si le De contemplatione, publié par B. Hauréau en appendice à Hugues de Saint-Victor. Nouvel examen de l’édition de ses œuvres, avec deux opuscules inédits, Paris, 1859, était certainement authentique, nous serions fixés sur la manière dont il entend cette doctrine des degrés et des modes de la contemplation, et il serait aisé d’y retrouver, avec une terminologie partiellement différente, les idées qui rempliront les ouvTages des théologiens mystiques des siècles suivants. Cf. —. Mignon, Les origines de la scolastique, t. ii, p. 378-387. Les œuvres dont l’authenticité est de tout repos contiennent au fond, sous des allures moins didactiques, le même enseignement. Citons, d’abord, le Soliloquium de arrha animæ, P. L., t. clxxvi, col. 951-970. Comment le rédacteur de la notice consacrée à Hugues de Saint— Victor dans l’Histoire littéraire de la France, t. XII, p. 16, a-t-il pu dire queleJDfi arrha * est sec, plein de jeux de mots et va plus à l’esprit qu’au cœur  ? Rien n’est plus vivant, au contraire, délicieux et tendre, et d’un joli style, souple et caressant, à peine gâté — mais si peut — par un commencement d’afféterie, que ce Soliloque où sont retracées les privautés mystiques, où est racontée la visite du Bien-Aimé

« qui vient invisible, caché, incompréhensible, pour

toucher sans être vii, pour avertir sans être compris, non pour se répandre tout entier, mais pour s’offrir