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HUGUES DE SAINÏ-YICTOR


festera plus tard dans l’excellence de lu contemplation divine, moindre, en d’autres termes, que celle de la vision béatiflque. Si l’homme eût persévéré, elle eût été progressive. Définir le mode de cette connaissance divine est difficile, excepta eo quod dixiinus quod, per internam inspirationem visibiliter edoctus, nullalenas de ipso crcalore siio dubitare pntuil. Donc ni la seule connaissance de la foi ni la vision béatiflque, mais une certaine vision, une certaine présence de contemplation, une illumination intérieure ne permettant pas de douter de la pi'ésence de Dieu, tel fut, d’après Hugues, le lot d’Adam. Cf. encore De arca Noe morali, prol. ; t. I, c. iv ; 1. IW, c. v, P. L., t. clxxvi, col. 619-620, 632-633, 670-671. Tel est, en conséquence, le lot de l'âme qui, par une grâce extraordinaire, retrouve " l'œil de la contemplation ».

On a discuté ces derniers temps, sur la caractéristique de la mystique chrétienne Un des écrivains qui ont le mieux défendu la thèse qui met dans une certaine intuition de Dieu cette note distinctive, J. Maréchal, L’intuition de Dieu dans la mystique chrétienne, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1914, t. v, p. 130, 147-148, a cru cette doctrine assez répandue au moyen âge pour pouvoir l’appeler t commune » et s’est réclamé de Richard de Saint-Victor, « le maître spirituel de tout le moyen âge ». Hugues, le maître de Richard, peut être cité aussi, à la condition de ne pas oublier qu’il différencie de la vision béatiflque cette intuition de Dieu : elle est, sinon la Visio Dei per essentiam passagère et imparfaite, du moins une intuition telle que l’intelligence connaît Dieu sans recours au phantasme, ni au procédé discursif, ni à une inférenc^, si élémentaire soit-elle.

Avons-nous besoin de dire cjue le mysticisme de Hugues n’est ni le panthéisme, ni l’ontologisme, ni l’idéalisme néo-platonicien, ni le quiétisme ? Ce n’est pas le panthéisme, car il n’identifie pas l'âme et Dieu ; il se contente d’aiïirmer, avec saint Paul et la théologie catholique, la transformation accidentelle opérée par la grâce. Ce n’est pas l’ontologisme : Hugues enseigne, non pas que nous vojons naturellement Dieu et toutes choses en lui, mais qu’il existe parfois, en passant, par une faveur extraordinaire de Dieu, une certaine contemplation de Dieu, distincte de la vision béatificfue. Ce n’est pas l’idéalisme néo-platonicien. A coup sûr, Hugues subit l’influence néo-platonicienne, tant à travers le pseudo-.réopagite, dont il commente la Céleste hiérarchie, qu'à travers saint Augustin, dont il accepte la théorie de la connaissance intellectuelle, en faveur au moyen âge, d’après laquelle Dieu aurait <lans notre connaissance le rôle que les aristotéliciens attribuent à l’intellect agent. Voir t. i, col. 2334-2337, en ce qui regarde saint.ugustin, et, en ce qui regarde Hugues, Erudilio didasndica, t. I, c. III, P. L., t. CLXXVi, col. 743 ; De sapicnti<t animx Christi, P. L., t. clxxvi, col. 849 : De unione corpnris et spiritus, P. L., t. clxxvii, col. 289, etc. Mais la théorie augustinienne. fquclle que soit sa valeur intrinsèque, n’est pas inconciliable avec le dogme, et, du reste, c’est une théorie de la connaissance naturelle, non de la connaissance mystitpic ; et, si le commentaire sur le pseu<lo-.réopagite reflète des conceptions néo-plaloniciennes, c’est, <le l’aveu de Z. Gonzalez, Histoire de la philosophie, trad. G. de Pascal, t. II, p. 173, "'sans sortir de la sphère orthodoxe ou catholique ». Cf. W. Prcger, Geschichle der deustchen Mystik im Mittelalter, t. i, p. 237-241. Enfin, le mysticisme de Hugues n’est pas le quiétisme : il ne fait pas de la contemplation mystique un acte perpétuel, un état, mais un acte nécessaircment transitoire, et il demande la pratique des vertus et l’est ime des œuvres que les quiélistes ont déclarées indignes de l'âme parenueàIa’p ?rfpclion.Cf. Ernditio didascnlira.

t. V, c. IX, col. 797-798 ; De arca Noe morali, 1. Hl, c. X, P. L., t. CLXXVI, col. 655-657, et parmi les œuvres douteuses, Allegorise in Novum Testamentum, 1. HI, c. iii, P. L., t. cLxxv, col. 804-805 ; Miscellanea, t. IV, lit. cxxviii ; t. VI, tit. ii, P. L., t. clxxvii, col. 746747, 812. Vrai philosophe et vrai théologien, Hugues est un mystique véritable.

/I. LAPniWSOPHIE, LS THÉOLOGIE ET LA MYSTIQUE

nE HUGUES DE s.iLv / - 1 /< : ro/(. — 1° La philosophie. — 11 ne faut pas s’attendre à trouver dans les écrits de Hugues une philosophie complète : les temps n'étaient pas mûrs pour une œuvre pareille. En logique, il ne fait ciueffleurer, exactement : du reste, le problème des universaux. Cf. J. Kilgenstein, Die Gotteslehre des Hugo von St. Victor, Wurzbourg, 1898, p. 8487. L’ontologie est absente. Sur la nature, il n’a qu’une ébauche : sur ce qu’il dit de la composition des corps, des rationcs séminales, de la possibilité de l'éternité du monde, cf. t. i, col. 2504-2506. Sur l'âme, plus d’une solution manque ou est donnée sans preuves : sur l’indépendance substantielle qu’il attribue à l'âme vis-à-vis du corps, Cf. t. i, col. 2504. « La science est commencée, mais elle n’est pas faite « , dit A. Mignon, Les origines de la scolaslique, t. i, p. 144. Avec ces lacunes il y a des progrès notables, notamment sur la notion de la philosophie, sa division et les conditions requises pour l'étudier fructueusement, cf. Erudilio didascalica, I. I-III ; t. VI, c. xiv, P. L., t. clxxvi, col. 741-778, 809-810 ; Commentariorum in Hierarchiam cxlestem, t. I, c. i, P. L., t. ci.xxv, col. 927-928 ; Spéculum de mijsleriis Ecclesise (de l'école de Hugues), c. VIII, P. L., t. CLXXVII, col. 375-376 ; A. Mignon, t. I. p. 68-8 1 ; sur riiarmonie du monde, cl. Erudilio didascalica, I. VH, col. 811-838 ; A. Mignon, p. 89-96 ; sur la théorie de la connaissance, nonachevée, mais de beaucoup supérieure aux essais des scolastiques de cette période, cf. De unione corporis et spiritus, P. L., t. CLXXVII, col. 28.5-289 ; A. Mignon, p. 111-121. L’ensemble des idées de Hugues sur l’homme et ses facultés s’enchaîne logiquement et forme, malgré quelques vides, « un vrai traité de psychologie ». A. Mignon, p. 126. Cf. H. Ostler, Die Psychologie des Hugo von St. Viklor, Munster, 1906.

La théodicéc de Hugues est remarquable. Dans sa Geschichte der (ioltrsheireise im Millehdler bis : u.Ai ; sgang der Hochscholastik, Munster, 1907, G. Gruiwald dislingue quatre phases : celles de saint.ugustin, des victorins, de saint Bonaventure, de saint Thomas. L’apport des victorins, c’est surtout le recours à l’expérience, soit interne, soit externe. Abandonnant résolument les raisons purement aprioristiqucs, Hugues s’appuie d’abord sur l’expérience interne. Tandis que saint Augustin jjart de l'âme, étudiée dans ses rapports avec l’univers et placée à la cime de l'échelle des êtres, et de là s'élève à Dieu, Hugues part de ce fait d’expérience, fque l'âme a conscience d’exister ; il en conclut qu’elle a dû commencer, sinon elle se serait toujours connue. Or, elle voit en ellemême qu’elle ne s’est jias donné l’existence. Donc elle a dû exister par le fait d’un autre, qui lui-mcine ne tient l’existence de i)crsonne, c’est-à-dire de Dieu. C’est l’argument tiré de la contingence de l'âme. Le môme argument, basé sur l’expérience externe, vaut pour expliquer l’origine des choses mondaines, changeantes et périssables.Cf. De sacramentis, 1. 1, part. 111. c. vi-x, col. 219-220 ; Eruditio didascalica. I. VII. c. XVII, col. 82 1-826. Hugues ignore rargiini’iil aristotélicien (lu premier moteur. Mais il a sa preuve à lui tirée du moivenu’nt, ou plutôt c’est sous le point de vue du mouvement quil envisage les données de l’expérience interne et externe. La connaissance que l'âme a d’ellemême, dp son commencement, de sa contingence, et donc d’un créateur qui n’a pas eu de commencement.