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HUGUES DE SAINT-VICTOR


a conscience de commencer une œuvre ardue, toute nouvelle, qu’il ne s’y décide cjue sur les instances de ses disciples, que de lui-même il n’avait pas formé un pareil dessein. « Or, ce projet, la Siimma l’eût déjà réalisé. Klle présente, en effet, avec plus de netteté et de concision, dans uh cadre allégé des problèmes accessoires, cet exposé systématique de la théologie que, dans le De sucramentis, Hugues s’effraie et s'étonne presque d’entreprendre. » P. Clæys Bouiiaîrt, Revue d’histoire ecclésiastique, t. x, p. 279. Puis, la Somme n’a pas été achevée, ce qui s’explique bien si Hugues l’a écrite après le De sacrcimenlis vers la fin de sa vie — comme saint Thomas n’a pu achever la Somme théologique, l'œuvre des dernières années — moins bien, s’il l’a composée avant le De sacramentis. Enfin, que le De sacramentis et la Summa sententiarum aient un même auteur ou deux auteurs distincts, l’avance d’ensemble, que marque la Summa et que nous constaterons plus loin, prouve qu’entre ces ouvrages le temps a marché et que la priorité appartient au De sacramentis.

ni. Doctrine. — Un exposé complet des doctrines de Hugues de Saint-Victor serait fort long. A. Mignon, Les orit/ines de la scolaslique et Hugues de Saint-Victor, l’a tracé de façon diligente, et l’essentiel en est fourni aux divers articles de ce dictionnaire. Il suffira, ici, de caractériser le rôle de Hugues, d’indiquer les progrès cjui lui sont dus et les lacunes de son enseignement et de lui assigner sa place dans l’histoire de la théologie catholique.

r. //rfrfffs n/v s w.Y7'-v/c7-o/i philosophe, théologies scol.ASTiQVE ET MYSTKjUE. — « Hugues est un mystique prononcé », dit V. Cousin, Histoire générale de la philosophie, ll<^édit., Paris, 1884, p. 565 ; " cf. p. 244. Partantde là, on n’avoulu voir en lui que le mystique : on a nié le philosophe et le théologien scolastique, et même on en a fait un ennemi de la science et de la raison. Cf..A. Fouillée, Histoire de l : i philosophie, 5° édii., Paris, 1887, p. 204-205 ; P. Janet et G. Séailles, Histoire de la philosophie, 2e édit., Paris, 1894, p. 1001 ; A. Luchaire, Histoire d' France (Lavisse), Paris, 1901, t. II b, p. 377 : « Tout se réduit pour lui (Hugues) à cet axiome : savoir c’est croire et croire c’est aimer, La formule de réaction contre la scolastiqua était trouvée. » On comprend que ces écrivains peu familiarisés avec la scolastique aient parlé de la sorte. On se l’explique moins de la part d’un B. Hauréau, qui s’est tant occupé des scola cliques et de Hugues, et qui écrit, Histoire de la philosophie scolastique, Paris, 18'72, t. I, p. 423-424 : « Parmi les théologiens qui professent la même aversion pour toute philosophie, nous devons par ! iculièrement désigner Hugues de SaintVictor… Après avoir épuisé les sources diverses du savoir contemporain, Hugues a pris en dégoût la science elle-même, et n’a rien voulu retenir ni des livres de Platon ni de ceux d’Aristote. Hugues n’est en réalité qu’un mystique. » Hauréau a corrigé cette a])préciation dans son Hugues de Saint-Victor, Paris, 1886, p. 75, où il dit du De sacramentis de Hugues que c’est l’ouvrage le plus digne de sa grande renommée :

« dans aucun de ses autres écrits il ne parle un aussi

beau langage ; dans aucun il ne tempère les inclinations mystiques de son cœur par un meilleur emploi de la méthode dialectique. » Mais on lit dans Ucberweg-Heinzc, (jrundriss der Geschichle dcr Philosophie, S' édit. (revue, en ce qui regarde la scolastique. par M. Haumgartner), Berlin, 1905, t. ii, p. 222, 223, que saint Bernard et l'école de Saint-Victor représentent l’opposition à l’usage de la dialcctitiue en théologie, que Hugues et son élève Richard sont étrangers et hostiles à la philosophie ». Par ailleurs, le mysticisme de Hugues a été parfois déna’uré. Hugonin tout en reconnaissant qu’ainsi que la

DICT. DE TH(iOL. CATUOI, .

plupart des grands écrivains du moyen âge, notre victorin fut scolastique et mystique, P. L., t. clxxv, col. Lxx ; cf. t. cxcvi, col. xxxii, nous le montre érigeant l’ascension mystique en procédé scientifique. Cf. P. L.. t. CLXXV, col. Lxvii. Ce qu’il lui prête pour lui en faire honneur, d’autres lui en font un reproche. Tel le cardinal Z. Gonzalez, Histoire de la philosophie, trad. G. de Pascal, Paris, 1890, t. ii, p. 175, qui trouve en lui une « tendance mystico-idéaliste et même ontologique ». Cf. É. Blanc, Histoire de la philosophie, Lyon, 1896, t. i, p. 432.

Ces jugements tiennent, en partie, à deux causes. D’abord, on a cherché les doctrines de Hugues dans des ouvrages apocryphes : par exemple, É. Vacherot, Histoire critique de l'école d’Alexandrie, Paris, 1851, t. iii, p. 125-130 ; H. Bouchitté, Dictionnaire des sciences philosophiques, Paris, 1875, p. 734 ; Gonzalez, op. cit., p. 175-176 ; G. Grassi Bertazzi, La filosofia dï Hugo da San Vittore, Rome, 1912, ont puisé dans le De anima, compilation, curieuse du reste, de passages d’auteurs divers et même de Hugues, mais qui n’est pas de Hugues. Ensuite, on a demandé aux ouvrages de thcologie ascéliquo ou mystique, qui mettent au premier plan l'élément surnaturel, des renseignements sur sa théorie de la connaissance naturelle et sur l’usage de la raison. Hugonin s’est servi, pour conclure que Hugues arrive « par la méditation et la contemplation » à la connaissance des œuvres de Dieu, du De modo dicendi et meditandi. où sont juxtaposés au petit bonheur des textes de Hugues empruntés à ' Ëruditio didascalica, qui traite de la science humaine, et aux homélies sur l’Ecclésiaste, qui traitent de la perfection surnaturelle. B. Haurôau note le mépris de la science dans un passage du De institutionc novitiorum, c. vi, P. L., t. clxxvi, col. 931. où l’auteur dit très justement aux novices qui s’approchent « pour être instruits à l'école des vertus » : scire debelis contentiones verborum nullo modo deinceps ad vos pertinere, quia spiritualis doclrina' sludium non litiganles scd auscultantes requirit. Il y a là des erreurs de méthode à éviter.

° Le philosophe. — Hugues ne confond pas la philosophie et la théologie surnaturelle, et n’identifie pas à celle-ci celle-là. Pour nous en rendre compte, nous n’avons pas seulement des phrases isolées, des affirmations accidentelles ; la distinction est une de ses maîtresses idées qui commandent tout le reste. Prenons un de ses ouvrages les plus Importants, Y Ëruditio didascalica. Il y distingue les sciences humaines et les sciences divines, et tire de là sa division, P. L., t. ci.xxvi, col. 741 : Histruit autem tam sœcularium quam divinurwn Scripturarum lectorem, unde et in duas partes diriditur. La première partie (1. I-III) s’occui)c des sciences séculières connues par la raison, la seconde (1. IV-VI) des Écritures qui corroborent la foi, ad fidei corroborationem, t. IV, c. i, col. 778. Passons à son ouvrage capital, le De sacramentis : le plan, prol., c. ii ; 1. 1, part. I, c. xxviii-xxix, P. L., t. CLXxvi, col. 183-184, 203-204, s’inspire d’un point de vue qui lui est cher, car il s’y place dans toutes ses œuvres, cf. De Scripturis et scriptoribus sacris prœnotaliunculæ, c. xvii, P. L., t. clxxv, col. 24 ; De arca Noe morali, I. IV, c. iii, P. L., t. clxxvi^ col. 667-668 ; De vanitate mundi, t. II, /'. L., t. clxxvi, col. 716 ; Commentariorum in Hierarchiam cæleslem S. Dioni/sii, t. I, c. i, P. L., t. clxxv, col. 926 ; Excerptionum priorum (ouvrage douteux), t. II, c. i, P. L., t. cLxxvii, col. 203, à savoir que tout se ramène à la création et à la restauration : opus conditionis est creatio mundi cum omnibus elementis suis ; opus reslaurntionis est incarnatio Vcrbi cum omnibus sacramentis suis, sive lis quæ prirresserunt ab initia sxculi, sive lis quas subsequiintur usque ad finem mundi. Les

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