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HIGUES DK SAINT-VICTOR


L’artiuinent tiré dus manuscrits de la Somme et de l’iinonymal de la plupart d’entre eux paraissait à II. Denifle compromettre l’attribution à Hugues. M. Grabniann))cnse, au contraire, Ceschiclile der scholiistischen Mclhode, t. ii, p. 295, que la tradition manuscrite est l’argument le plus fort pour la maintenir. Si le l’ius grand nombre des manuscrits du xne siècle est anonyme, la plupart de ceux de !.i Somme qui sont du xii'^siècle, et, parmi eux, ceux quisont vraiment anciens, portent le nom de Hugues. B. Hauréau a cité le cod. lot. 2916 de la Bibliotlicquc nationale de Paris ; M. Grabmann cite les codd. lai. 14160 cl 22031, de Munich, l’un et l’autre du xiie siècle et dont le premier figure dans un catalogue de 1158. Chose digne de remarque, ajoute-t-il, dans les manuscrits du xne siècle la Su7777n « senleniiarum est unie aux écrits authentiques du victorin, à preuve les manuscrits 471 de Laon et 246 de Grenoble Pourtant J. de Ghellinck. Le mouvement théologique du xil'e siècle, p. 120, n’est pas convaincu : en attendant « de revenir ailleurs sur cette question », il ne juge pas la tradition manuscrite assez ferme pour ébranler les invraisemblances de l’attribution à Hugues.

A ses yeux, en effet — et d’autres sont de cet avis — les principaux arguments sont ceux que fournit la critique interne : le De sacramentis et la Somme diffèrent tant par la méthode et par les doctrines que l’unité d’auteur est inadmissible. Le De sacramentis procède j ar larges exposés ; quoique tout imprégné de saint Augustin et des Pères, Hugues les cite rarement et il s’assimile si bien leur pensée que son œuvre a un caractère tout à fait personnel. La Somme est brève, sèche, toute « scolastique » ; l’auteur accumule les citations des Pères et s’eflace derrière eux. En outre, à la dillérence du De sacramentis, la Somme, dans son plan, dans maintes opinions et même dans quelques erreurs, porte l’empreinte abélardienne. Cf. E. Kaiser, Pierre Abélard critique, p. 286-308. Ces considérations, si elles donnent à réfléchir, ne sont pas absolument probantes. Hugues de Saint-Victor était un de ces grands esprits, très intelligents, toujours en éveil, qui ne s’immobilisent pas sur despositions occupées une fois pour toutes, qui progressent jusqu’au bout. En le supposant auteur de la Somme comme il l’est du De sacramentis, les divergences entre les deux écrits seraient-elles vraiment inexplicables ? Les citations patristiques, rares dans le D, ' sccramentis, abondent dans la Summe. C’est vrai ; mais déj ; >, dans le De sacramentis, Hugues multiplie les références patristiques en traitant de la Trinité, t. II, part. I, c. iv, col. 376-391 ; du mariage, t. II, part. XI, col. 479-520, et des fins dernières, t. II, part. XVl-XVIII, col. 579-618. Cf. J. Turmel, Histoire de ta théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1904, p. xxvi. Ce qu’il avait commencé de la sorte, pourquoi ne l’aurait-il pas étendu à la théologie entière ? La Somme témoigne d’une influence exercée par les écrits d' Abélard. L'étonnant serait que Hugues n’eût pas tenu compte de ces écrits de plus en plus retentissants et dont quelquesuns venaient à peine d'çtre achevés. Cf., sur leur chronologie, G. Robert, Les écoles et l’enseignement de la théologie pendant ta première moitié du xile siècle, p. 187-211. Abélard avait lancé dans la circulation théologique tant d’idées fécondes qu’un esprit ouvert ne pouvait pas, tout en se gardant de ses erreurs, ne pas les accueillir et les utiHser. La Somme ne peut être de Hugues sans que celui-ci ait changé. Quel est le professeur qui ne modifie en rien sa manière d’enseigner et son enseignement ? Est-ce que saint Thomas n’a pas changé? Est-ce que, entre le commentaire sur les Sentences et la Summa theologica, il n’y a pas des changements notables ? Du reste, Hugues luimême ne nous avertit-il pas, dans la préface du De I

sacramentis, P. L., t. clxxvi, col. 173-174, qu’il a changé, que, insérant dans le texte de ce Uvre, des morceaux dictés auparavant avec assez de négligence, quædam in ipsis mutare, qurrdam vcro adji(e : e vel detrahere ratio postulabat' ! Ce qu il lit au moment de la composition du De sacramentis. il put le faire

« luand il composa la Somme. A vrai dire, la difficulté

consiste moins dans le fait des changements que dans la manière dont ils se seraient accomplis. Entre ces deux ouvrages, P. Clæys Bouiiacrt Revue d’histoire ecclésiasliquc, t. x, p. 719, aperçoit non seulement ' des différences de doctrine ou de méthode comme telles, mais des divergences plus iirofondes de temI érament intellectuel et moral ". et même « un antagonisme foncier de qualités et de défauts ». Pour qu’ils aient le même auteur, il faudrait admettre en lui « un changement de mentalité qui ne paraît plus vraisemblable à un moment où les travaux de Hugues avaient montré si nettement le relief de sa personnalité », dit J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du xii'e siècle, p. 119. Ni la personnalité de Hugues ni l’antagonisme de qualités et de défauts des deux ouvrages ne nous paraissent accusés à ce point, et il ne semble pas impossible d’expliquer leurs différences par la différence de programme de l’auteur en les composant. L'état d’inachèvement de la Somme autorise à croire que l’auteur n’a pas mis la dernière main aux parties rédigées, et de là pourraient provenir ces » menus fléchissements dans la pensée et le raisonnement » que note P. Clæys Bouuac-rt, p. 175, et par où la Somme est inférieure au De sacramentis. Toutefois, si l’argument n’emporte pas la pleine conviction, il a du poids ; s’ajoutant à ceux qui sont tirés du silence de Indiculum du recueil de Gilduin, du passage de la Somme sur la reviviscence des péchés, et de la citation qu’elle fait de Gilbert, il rend très douteuse l’attribution traditionnelle à Hugues.

La question d’antériorité.

Elle est moins

complexe que la précédente et, à cette heure, on peut la tenir pour résolue. Les anciens éditeurs, étrangers aux préoccupations scientifiques, avaient placé au hasard la Somme avant le De sacramentis, et, pour ce motif, c'était devenu une habitude de traiter du De sacramentis après avoir traité de la Somme. Cf. Histoire littéraire de la France, t. xii, p. 37, 49 ; Hugonin, P. L., t. clxxv, col. cxxiii-cxxiv ; P. Féret, La faculté de théologie et ses docteurs les plus célèbres. Moyen âge, t. i, p. 9-10. Le texte du Liber de vera philosophia, exhumé par P. Fournier, Annales de l’université de Grenoble, t. x, p. 171-181 ; cf. Études sur Joachim de Flore, p. 68-70, donne cet ordre comme l’ordre chronologique. Dans ses attaques contre les théologiens modernes, l’auteur du Liber ne nomme pas Hugues de Saint-Victor, mais il le désigne clairement : il énumère seize propositions, qui se retrouvent dans la Summa sententiarum, et dit que celui qui les avait enseignées par écrit composa plus tard un autre gros Uvre intitulé De sacramentis et rétracta, dans la préface, les propositions précitées. Ce témoignage, postérieur d’au moins quarante années à la mort de Hugues, n’est qu’une interprétation tendancieuse et inexacte de cette préface. Hugues y annonce moins des corrections doctrinales que des améliorations de composition et de style ; en fait, non seulement il ne rétracte pas les seize propositions incriminées, mais encore, sur les seize, cinq sont reproduites dans le De sacramentis. Cf. G. Robert, Les écoles et l’enseignement de la théologie pendant la première moitié du xile siècle, p. 223. Le dire du Liber de vera philosophia sur l’antériorité de la Somme est donc sans valeur. Au surplus, tant la préface que le prologue et plusieurs chapitres du De sacramentis, col. 173-174, 183-184, 187, 205, montrent que Hugues