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traire, dès que la révélation a une portée sociale, dès qu’elle est destinée à toute la société religieuse, l’émotion du prophète n’est qu’un fait secondaire et accidentel ; l’important, c’est » qu’il ait été, entre les mains de Dieu, un bon instrument d’affirmation. » A. Gardeil, Le donné révèle, 1910, p. 55. Cf. p. 48-56.

Admettant des révélations privées, en quoi différons-nous des sectes illuminées du protestantisme ? — 1. Nous ne faisons pas comme eux, de ces révélations, une base nécessaire de la foi chrétienne. Pour nous, elles supposent la foi déjà constituée, et ne servent qu’à diriger la conduite, comme dit saint Thomas, non adnovam doctrinam fidei depromendam, sed ad humanorum actuum directionem. Sum. theol., IIa-IIæ , q. clxxiv, a. 6, ad 3um. — 2. Nous les regardons comme une exception, non comme la règle et le droit de tous les fidèles. — 3. Nous en exigeons des preuves sérieuses, et même chez les grands saints, nous les soumettons à une rigoureuse critique : témoin les procès de canonisation. Les âmes qui pensent avoir reçu des révélations ne sont pas crues facilement par leurs directeurs ; elles sont rappelées à une extrême prudence, et ne sont dispensées ni de l’obéissance ni des devoirs communs. Chez les illuminés, au contraire, souvent nul examen ; chacun s’attribue des révélations aisément et sans preuve, et s’en autorise aussitôt pour prêcher les autres, pour se dispenser des lois ordinaires ; de là, dans l’histoire de ces sectes, tant d’excentricités et même de crimes. Voir Milner, The end of the religious conlroversy, lettre vi, trad. franc., dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. xvii, p. 601 sq. Défaut de critique même aujourd’hui dans l’expérience religieuse des protestants, voir Expérience’religieuse, t. v, col. 1835, 1836, 1853. — 4. L’expérience mystique des illuminés tend à détruire toute autorité religieuse. Ainsi les quakers rejettent tout ministère ecclésiastique, toute liturgie : « Nos frères s’assemblent, dit leur apologiste Barclay, dans une salle privée de tout ornement… Là, sans prononcer une parole, assis sur des bancs, dans une immobilité complète, ils se recueillent en eux-mêmes et se préparent à recevoir l’inspiration d’en haut, » etc. Dans Mœlher, op. cit., p. 248 sq. Au contraire, nos mystiques respectent la hiérarchie, et sont toujours prêts à se soumettre à son jugement. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1860. Et l’Église, sans laisser aux prédicateurs le droit de répandre telle nouvelle prophétie ou révélation privée, évoque ces matières à son tribunal. Léon X au Ve concile de Latran en 1516, bulle Supernæ majestalis, Hardouin, t. ix, col. 1806 sq. Cette action régulatrice de l’Église sur les révélations privées est si évidemment bienfaisante que des protestants pieux, inquiets de leurs expériences mystiques, ont été amenés à l’Église catholique parce qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs la direction et le discernement dont ils sentaient vivement le besoin. Ainsi Hecker écrivait en 1886 : « J’ai été forcé de choisir un guide, sous peine de tomber dans le fanatisme le plus extravagant. » Dans W. Elliott, Le P. Hecker, trad. franc., 5e édit., 1897, c. x, p. 117. Cf. p. 114. D’autre part, l’Église, après avoir longuement examiné et suffisamment vérifié certaines révélations privées, s’en est servie pour la direction de quelques-uns de ses actes, ad humanorum actuum directionem, comme d’instituer une fête ou des dévotions, dont l’objet se justifie d’ailleurs indépendamment de la révélation privée, par des principes tirés de la révélation publique et de la foi chrétienne (institution de la fête du Saint-Sacrement, de la dévotion au Sacré-Cœur, etc.). Voir Cœur sacré de Jésus, t. iii, col. 293. Cette influence reconnue exceptionnellement par la hiérarchie à de simples laïques, à des femmes, rappelle à tous que la toute-puissance de Dieu brille dans les faibles ins truments dont il se sert, I Cor., i, 27 sq. ; qu’il est le souverain maître de ses dons ; que, s’il a attaché la grâce sanctifiante à l’action des ministres des sacrements, il s’est réservé la communication directe avec les âmes dans l’ordre de la grâce actuelle et dans celui des charismes ; qu’il fait briller dans tous les siècles de la vie de l’Église ces dons surprenants dont l’apôtre a affirmé la libre distribution par l’Esprit-Saint, même en dehors de la hiérarchie, I Cor., xii ; bien qu’à l’origine ils fussent plus répandus, pour autoriser et soutenir le christianisme naissant. Les révélations privées peuvent donc servir même à l’utilité générale, et c’est bien à tort que Mélanchthon et quelques autres protestants les ont attaquées. Voir Benoît XIV, De servorum Dei beatij. et canonizatione, 1. III, c. lui, n. 2, 3, Opéra, Prato, 1840, p. 600, 601.

Ceci posé, y a-t-il obligation de croire à ces révélations ? Oui et non. Oui, s’il s’agit de la personne qui les reçoit, et si, après les examens et les contrôles voulus, elle reconnaît que Dieu lui a parlé, que le doute à cet égard n’est plus un doute prudent : s’abstenir alors de croire serait fane injure à Dieu ; s’il parle à quelqu’un, il fait appel à sa foi. Voir Lugo. De fide, dist. I, n. 227, 229, Opéra, Paris, 1891, 1. 1, p. 112, 113. — Non, s’il s’agit d’autres fidèles vers lesquels Dieu n’a pas dirigé la manifestation de sa pensée ; lors même qu’ils entendent parler de révélations privées faites à autrui, ils ne sont pas tenus de faire là-dessus une enquête, et peuvent passer leur chemin : ce n’est pas là mépriser une révélation peut-être réelle, mais exercer leur droit de ne pas s’en occuper. Dieu n’a pas fait appel à leur foi : on peut dire tout au plus qu’il a parlé devant eux, à leur connaissance, et non qu’il leur a parlé. « Ce n’est pas la même chose de parler d quelqu’un et de parler devant quelqu’un, » comme l’explique Lugo, loc. cit., n. 197, p. 101. Seule la révélation publique doit, dans l’intention divine, être transmise à tous et devenir l’objet de la foi de tous : c’est ce qui la caractérise.

De cette liberté laissée aux fidèles concluons que, si les prédicateurs peuvent faire une allusion utile à des apparitions ou révélations autorisées, devant un pieux auditoire où elles sont communément admises, ils auraient tort d’en surcharger des esprits qui ont déjà quelque peine à croire ce qui est d’obligation. Il en serait sans doute autrement si l’Église, en autorisant la diffusion d’une révélation privée, l’imposait par là même à la foi universelle des chrétiens ; mais tel n’est pas le sens de son autorisation. « Cette approbation, dit Benoît XIV, n’est pas autre chose qu’une permission de les pubher pour l’édification et l’utilité des fidèl « s, après mûr examen. » Et il cite Gerson d’après lequel « il importe peu qu’une pieuse croyance des fidèles tombe parfois à faux ; non pas qu’on puisse jamais croire le faux comme tel, et quand on le reconnaît comme tel, chose indigne de la piété des fidèles ; mais leur pieuse opinion n’est pas une question de vrai ou de faux, mais seulement de probabilité, d’apparence. » Benoît XIV, op. cit., 1. II, c. xxxii, n. 11, 12, p. 300, 301. Cf. Dogme, t. iv, col. 1577. Et Pie X, vers la fin de son encyclique contre le modernisme, après avoir rappelé que l’autorité ecclésiastique ne permet de jeter ces révélations dans le public qu’avec beaucoup de précautions, ajoute : « Encore l’Église ne se porte-t-elle pas garante, même dans ce cas, de la vérité du fait ; simplement elle n’empêche pas de croire des choses auxquelles les motifs de foi humaine ne font pas défaut. » Encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 85. Lors même que l’Église concède à quelque apparition une fête, un office liturgique, elle ne couvre pas de son infaillibilité le fait en question ; se trouvât-il faux, le culte qu’elle autorise atteindrait toujours un objet réel, c’est-à-dire la personne à qui il