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FOI


à relie de nos facultés sans les violenter. Ainsi les principes de la raison comme ceux de la révélation s’opposent à la théorie de Guillaume. En vain compare-t-il toute garantie de^vérité aux béquilles d’un estropié, qui prouvent en lui une maladie sans la guérir : mauvaise comparaison, puisque la garantie de vérité appartient à la santé même de l’esprit, à sa tendance essentielle. En vain se plaint-il qu’alors il n’y aura « plus de bataille de l’intelligence, plus de victoire, plus de couronne. » Le mérite de la foi ne consiste pas à faire un saut périlleux dans le vide, mais à recevoir la vérité mystérieuse que nous présente le divin témoin connu de nous comme souverainement véridique, sans toutefois pénétrer le mystère comme on le souhaiterait, sans preuve intrinsèque, en dépit des passions qui se sentent gênées par la parole divine, et du monde qui s’en moque. Il restera donc toujours assez d’obstacles à la foi pour qu’il y ait bataille et victoire. Enfin cette foi de Guillaume d’Auvergne, où le souci de la vérité n’aurait aucune place, serait « un mouvement aveugle » , ce que le concile du Vatican a rejeté. Sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1791 (1640). Peut-être Guillaume réserve-t-il son coup de force pour le moment précis de l’acte de foi, et suit-il d’ailleurs le grand courant de la tradition, en exigeant avant la foi la connaissance de la véracité divine et les preuves du fait de la révélation : on peut le conclure de textes cités par le P. Gardeil. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2266. Toujours est-il qu’il exige de l’esprit, au moment de l’acte de foi, une gymnastique impossible, et veut à tort exclure de cet acte toute vue de la véracité divine, qui en est l’objet formel et le motif spécifique.

6° Le motif de la foi chrétienne devant la raison naturelle ; raisons de convenance pour ce motif, et objections. — Peut-on prouver a priori, en partant de principes purement philosophiques, que la connaissance religieuse devait être fondée sur le témoignage de Dieu ? Non. La raison peut connaître avec certitude, sans passer par l’autorité du témoignage divin, sans se préoccuper de cette autorité ni de ce témoignage, un certain nombre de vérités religieuses. Voir là-dessus la définition du concile du Vatican et son commentaire à l’art. Dieu, t. iv, col. 824 sq. ; et l’exposé des preuves de l’existence de Dieu, au point de vue soit pratique, soit scientifique, col. 935 sq., 938 sq. Cela étant, pourquoi cette connaissance rationnelle et naturelle ne pourrait-elle pas servir de base à un culte, à une religion ? Dieu n'était pas tenu de nous donner davantage.

On dira que la raison naturelle, telle qu’elle fonctionne en pratique dans les circonstances de l’ordre actuel des choses, se trompe aisément, et que, sans un secours surnaturel, il est presque impossible de ne pas tomber dans quelque erreur sur un sujet aussi ardu que la nature de Dieu et les devoirs de la religion, comme le montrent l’expérience et l’histoire des anciens peuples allant presque tous au polythéisme, et transformant la religion en idolâtrie. Mais d’abord, dans cette dégradation païenne, il faut faire la part de la liberté humaine qui aurait pu égarer moins la raison, si elle l’avait voulu. Ensuite, Dieu ne peut-il tolérer des erreurs dans le genre humain ? Toute erreur sur Dieu est-elle de nature à supprimer toute religion et toute vie morale ? Enfin, si Dieu veut aider notre raison dans cette grande difficulté, s’il veut bien lui donner un secours gratuit, pas n’est besoin qu’il témoigne, comme il l’a fait : il aurait pu fortifier les énergies naturelles de la raison, il aurait pu lui donner une science infuse, qui n’eût pas été son témoignage, comme nous l’expliquerons en traitant de la révélation. La faiblesse de notre raison sur les choses divines ne prouve donc pas avec certitude que Dieu ait dû nous donner la

lumière de son témoignage, ni que croire Dieu sur parole soit la base nécessaire de toute religion.

Mais où manque la démonstration rationnelle, les raisons de convenance ne manquent pas ; et elles suffisent à justifier, aux yeux de la raison même, la sagesse du plan divin. Voici les principales :

1. Il convient à la bonté de Dieu de se communiquer à nous. Saint Thomas, étudiant les convenances de l’incarnation, ne craint pas d’invoquer cette naturelle expansion de la bonté divine ; et pourtant l’incarnation de Dieu est un don bien plus extraordinaire, bien autrement au-dessus de nos aspirations et de nos besoins, que le don de son simple témoignage. « Par nature, dit le grand docteur, Dieu est l’essence de la bonté, tout ce qui convient à celle-ci convient à Dieu. Or, se communiquer aux autres, tel est le propre de la bonté. Dès lors, il appartient à la souveraine bonté qui est Dieu de se communiquer d’une manière souveraine à ses créatures. » Sum. theol., III', q. i, a. 1. « Cette maxime, ajoute le P. Janvier, me permet de penser que, par un mouvement tout spontané, Dieu se sentira porté à se révéler à l’homme, à se donner à son esprit. Sa vérité qui est bonne, ou pour mieux dire qui est la bonté même, aura une tendance à franchir les frontières du temps, à se manifester à ceux qui ne le connaissent pas. Nous affectons parfois de nous étonner qu’elle nous ait parlé, nous serions plus étonnés encore si elle avait gardé le silence. » Conférences de Notre-Dame de Paris, carême 1911, La foi, 2e édit., p. 63. Le silence, Dieu n'était ni physiquement forcé ni moralement obligé de le rompre, même dans l’hypothèse de notre création ; et cela suffit pour que sa parole, son témoignage, soit un don gratuit et surnaturel. Mais comme il convenait qu’il nous parlât, venant ainsi avec plus de bonté au secours de nos ignorances et de nos misères 1

2. Il convenait que l’homme rendit à son créateur toute espèce d’hommages ; or, il est un hommage spécial, qui consiste à croire Dieu sur parole, et pour que cet hommage fût rendu de fait, et par l’intelligence en même temps que par la volonté, il fallait que Dieu parlât et témoignât ; il convenait donc qu’il le fît. Saint Paul fait allusion à ce culte et à ce sacrifice de l’intelligence par la foi. Voir col. 68.

3. La foi au témoignage d’autrui joue un grand rôle social : elle supplée aux insuffisances de l’individu isolé, elle tend à rapprocher les personnes, et devient ainsi un fondement des sociétés humaines, comme le remarquaient déjà les Pères, voir col. 110, et saint Thomas. Opusc, LXIII, 7/i lib. Boetii de Trinilale, q. ni, a. 1, Opéra, Parme, 1864, t. xvii, p. 366. De même, si Dieu témoigne, si à ce témoignage répond notre foi, ce sera le fondement d’une société entre Dieu et nous ; nulle espèce de connaissance ou de croyance ne peut donc servir de base meilleure à une religion ici-bas.

4. La religion, la société avec Dieu, deviendra singulièrement intime, si Dieu nous communique ses propres secrets, de même que d’homme à homme la communication des secrets est un signe ou une cause d’intimité ; et puis, il est de ces secrets divins qui sont pour nous de la plus grande importance et de la plus haute valeur religieuse : comme de savoir si Dieu veut nous pardonner de graves fautes, et combien de fois, et à quelles conditions ; dans quelle mesure et à quelles conditions il exauce nos prières ; quelles récompenses et quelles peines il prépare aux âmes dans l’autre vie. Or, le témoignage de Dieu est la seule voie par laquelle nous puissions connaître avec certitude ces décrets de sa libre volonté, ces mystérieuses déterminations de l’avenir ; de même que d’homme à homme le témoignage est le seul canal des secrets. La foi à un témoignage divin était donc nécessaire à une religion intime