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GÉORGIE


lui a attribué des aventures merveilleuses que nous ne saurions rapporter ici. Les récits parallèles plus ou moins défigurés que l’on retrouve chez les auteurs arabes, syriens et coptes lui donnent le nom symbolique de Thêognoste. Elle est connue en Occident sous celui de Chrétienne et mentionnée dans le martyrologe romain à la date du 15 décembre. Le nom de Nino ou Nina (Nounê en arménien) qu’elle a reçu dans l’Église géorgienne est probablement la déformation de Nonna, appellation par laquelle on désigna de bonne heure les vierges consacrées à Dieu.

Les historiens byzantins et géorgiens sont unanimes à affirmer que l’empereur Constantin, sur la demande du roi Mirian, envoya au Caucase un évêque et des prêtres. Le nom de ce prélat n’est pas connu d’une façon certaine, bien que les Géorgiens l’appellent Jean. On ne sait pas non plus quel fut l’évêque byzantin qui l’envoya. Gélase de Cyzique (vers 475) est seul à dire que ce fut Alexandre, évêque de Constantinople. Ceriani, Monumenla sacra et profana, Milan, 1866, t. i, p. 139. D’après une opinion qui n’est guère connue que depuis la fin du xviiie siècle et qui se base sur des documents du xiie siècle trop obscurs pour qu’on puisse rien en tirer de certain, ce serait le patriarche Eustathe d’Antioche qui serait venu lui-même baptiser les Géorgiens et leur ordonner un évêque. Comme l’Église de Géorgie dépendit de celle d’Antioche, au moins jusqu’au viiie siècle, il faut admettre que de très bonne heure se sont établies entre ces deux Églises des relations très étroites, sans quoi on ne pourrait pas expliquer que la Géorgie soit restée si longtemps fidèle à cette dépendance, ni qu’elle l’ait demandée plus tard, alors qu’elle pouvait se déclarer autonome. Une fois organisée, elle n’aurait pas accepté d être soumise à une Église lointaine à laquelle rien ne la rattachait. Aucun document ne nous apprend comment s’établit ce lien de dépendance. Il semble que l’ambassade du roi Mirian arriva auprès de Constantin pendant la célébration du concile de Nicée. Il se peut très bien que l’empereur ait confié à saint Eustathe, choisi l’année précédente comme patriarche d’Antioche et dont l’influence était alors considérable, la mission de faire droit aux demandes des Géorgiens. Antioche exerçait à cette époque sur l’Orient tout entier, en dehors de l’Egypte, une suprématie incontestée, et il rentrait tout naturellement dans les attributions de ses patriarches d’organiser les Églises nouvelles des régions orientales. On peut donc admettre sans trop de difficulté que le premier évêque envoyé aux Géorgiens a été désigné et consacré par saint Eustathe, et que cette intervention a créé au profit des patriarches d’Antioche un droit de suzeraineté. Quant au voyage que le saint aurait fait en Géorgie, il nous paraît nettement improbable. Eustathe fut élevé sur le trône patriarcal en 324 et déposé six ans plus tard sous l’influence des ariens. On ne trouve dans les auteurs grecs aucune trace de la mission qu’il aurait remplie entre ces deux dates et il est bien improbable que l’empereur Constantin l’ait envoyé en Géorgie après sa déposition.

Il ne faudrait pas croire que tous les Géorgiens aient été convertis à la foi chrétienne sous le roi Mirian. Outre que celui-ci n’étendait pas son autorité sur toutes les tribus, il s’en faut que dans la région qui lui était soumise le paganisme eût entièrement disparu. Nous verrons plus loin qu’il y eut une lutte très vive de la part des mazdéistes contre la religion nouvelle. Dans la Géorgie occidentale (Colchide, Lazique et Abazie), la vraie foi n’avait gagné que le peuple. C’est vers 522 seulement que le roi de ce pays embrassa la religion chrétienne. Un certain nombre d’auteurs ont pensé que la nation entière suivit alors son prince. Il n’en est rien. Procope (565) nous apprend que les

Lazes étaient de très fidèles observateurs du christianisme, De bello persico, 1. I, c. XII, et qu’ils possédaient un couvent et une église dans le désert de Jérusalem, De sedificiis, I. IV, c. vii, ce qui indique chez eux une vie chrétienne intense.

Il nous restc. à propos de la conversion de la Géorgie, à traiter une question qui, depuis de longs siècles, met aux prises Arméniens et Géorgiens. Les historiens arméniens ont créé autour de la vie de sainte Xino toute une série de légendes dans le but évident d’attribuer à leur pays une partie de l’honneur d’avoir introduit la vraie foi dans les régions du Caucase. Moïse de Khorène, Histoire de l’Arménie, Venise, 1865, 1. II, c. lxxxvii, p. 169 sq., et beaucoup d’autres après lui n’ont pas hésité à faire de l’apôtre de la Géorgie une compagne des saintes Hripsimés, célèbres vierges arméniennes martyrisées au ive siècle. Quand la Géorgie parut disposée à se faire chrétienne, disent-ils, sainte Nino envoya, sur la demande du roi Mirian, une ambassade à saint Grégoire l’Illuminateur pour réclamer son concours dans l’œuvre apostolique qu’elle avait entreprise. L’apôtre de l’Arménie lui envoya des missionnaires et un morceau de la vraie croix qui tut longtemps vénéré en Géorgie comme le palladium de la nation. On connaît suffisamment aujourd’hui les déformations systématiques de l’histoire dont s’est rendu coupable Moïse de Khorène au profit de sa patrie pour qu’il ne soit pas ici encore sujet à caution. Son antiquité est d’ailleurs fort contestée de nos jours. Beaucoup d’auteurs admettent avec M. Carrière, Moïse de Khorène et les généalogies patriarcales, Paris, 1891 ; Nouvelles sources de Moïse de Khorène, Vienne, 1893 ; Les huit sanctuaires de l’Arménie païenne, Paris, 1899, qu’il n’est pas du vie siècle, comme on l’a cru pendant longtemps, mais de la fin du viie ou du commencement du viii e. Son récit a donc été composé à une époque trop éloignée des événements pour qu’il ait la même valeur que celui des historiens latins et byzantins. Nous dirons plus loin que, d’après les Arméniens, une union étroite exista pendant un siècle environ entre leur Église et celle de Géorgie. C’est probablement sous l’influence de ce fait vrai, ou faux et pour augmenter le prestige de leur nation, que les historiens arméniens s’accordent à regarder saint Grégoire l’Illuminateur comme l’envoyé de Dieu qui aida sainte Nino dans son œuvre apostolique. Il n’y avait guère qu’une trentaine d’années qu’il avait converti le roi et une partie de la population de l’Arménie lorsque se produisit le mouvement qui entraîna la Géorgie vers le christianisme. Il lui restait assez de travail dans sa patrie pour qu’il ne dispersât pas son zèle sur deux contrées aussi vastes que l’Arménie et la Géorgie. Un grand nombre d’auteurs modernes croient du reste qu’il mourut entre 315 et 320, c’est-à-dire quelques années avant les événements que nous venons de raconter. De plus, nous avons deux graves raisons de ne point admettre la tradition arménienne : 1° Les auteurs latins et grecs, comme Rufin, P. L., t. xxi, col. 480 sq. ; Théodoret, P. G., t. lxxxii, col. 972 sq. ; Socrate, P. G., t. lxvii, col. 129 sq., et Sozomène, P. G., t. lxvii col. 953, qui écrivaient à une époque assez rapprochée des événements et qui n’avaient aucun intérêt à les déformer dans un sens défavorable aux Arméniens, ne disent pas un mot des relations de sainte Nino avec saint Grégoire l’Illuminateur. Les historiens byzantins postérieurs, Gélase de Cyzique par exemple, sont également muets sur ce point. 2° Si la Géorgie avait reçu la vraie foi de l’Arménie, comment expliquer qu elle dépendît si longtemps de l’Église d’Antioche ? Les catholicos arméniens étaient soumis à Césarée et non a Antioche. Quant à prétendre que c’est après s’être séparée de l’Église d’Arménie, à la fin du vie siècle, que celle de Géorgie a réclamé