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GALLICANISME


et aliénables : telle est la transformation subie, par exemple, par le droit d’amortissement, compensation du relief sur les fiefs eclésiastiques, qui devient alors loi primordiale interdisant à l'Église toute possession de terre, sauf dispense du roi acquise à titre onéreux ; telle est encore la transformation de la régale. Aucune liberté ecclésiastique ou locale ne résiste à pareille procédure.

D’autre part, c’est l'époque où le concordat de 1516 met aux mains du roi la fortune de l'Église et son haut personnel. Le souverain devint « le plus riche dispensateur de rentes viagères qu’il y eût dans la chrétienté, » il eut les moyens de récompenser magnifiquement les serviteurs de la monarchie : ses magistrats, à commencer par le chancelier du Prat, négociateur du concordat, meurent le plus souvent sous une mitre, les évêchés et les abbayes mis en commende achètent au roi des partisans en Italie et jusque dans le SacréCollège : l'Église de France fut alors, comme elle ne l’avait jamais été, la chose du roi. Ce ne fut pas pour son plus grand bien.

D’ailleurs, si le concordat assujettissait le haut clergé au souverain, il ne devenait pas la règle dont s’inspiraient les magistrats français. A l’issue du grand schisme, l'Église de France réunie à Bourges en 1437 avait adopté en partie la discipline proposée par le concile de Bàle, et Charles VII avait fait des décisions de cette assemblée ecclésiastique une pragmatique sanction célèbre. Bien qu’abolie au Ve concile de Latran par l’accord du pape et du roi, cette pragmatique demeura le code de nos tribunaux, le droit commun auquel le concordat, qualifié de privilège, ne dérogeait que par exception strictement interprétée, la charte de nos anciennes libertés. La discipline du concile de Trente ne put jamais prévaloir contre ce texte qu’un faux célèbre avait muni de la garantie du roi saint Louis, et les décrets disciplinaires de l'Église assemblée en ce synode œcuménique ne purent jamais être promulgués : au moment où le roi étendait sa puissance sur le personnel ecclésiastique, le parlement affirmait donc la sienne sur la législation canonique.

L’apparition du protestantisme, mollement combattu, favorisé même par quelques prélats indignes, fit passer aux parlementaires le soin de rechercher et de punir l’hérésie. Quand, après des années de luttes sanglantes, la Ligue, appuyée sur le pape, les princes lorrains et l’Espagne, s’opposa si vigoureusement aux fidèles du roi de Navarre, devenu chef de la maison de France, ceux des parlementaires qui mettaient, avant même le souci des intérêts religieux du pays, le culte de la foi salique, élaborèrent les traités célèbres qu’on invoquera dans tous les conflits ultérieurs. En 1590, Claude Fauchet, dans son Traité des libertés de l'Église gallicane, insiste sur les restrictions à apporter à la puissance du pape ; Charles Faye, dans son Discours des raisons et moyens pour lesquels Messieurs du clergé ont déclaré nulles et injustes les bulles moniloriales de Grégoire XIV contre les ecclésiastiques demeurés en la fidélité du roi (1591), affirme la compétence du prince en matière de discipline ecclésiastique, et restreint l’autorité pontificale aux personnes privées ; Antoine Hotman, Traité des droits ecclésiastiques, franchises et libertés de l'Église gallicane, 1594, quoique très gallican, est plus attentif à ne pas trop favoriser l’erreur protestante ; Guy Coquille, Institution au droit français, Traité des libertés gallicanes, écrits en 1586 et 1594, mais publiés seulement après 1603, expose nettement, avec les deux maximes fondamentales que reprendra Pithou, l’ensemble de nos libertés ; il les entoure d’un commentaire juridique et historique et en fait le fond d’un projet de réforme de notre législation ecclésiastique. Pierre Pithou enfin

enferme tout le système en quelques articles, rattachés, comme on l’a vii, à deux principes : c’est l'évangile définitif dont Le Vayer de Boutigny fera comme la théologie 1 — Tout semblait conspirer pour le succès des conceptions de nos légistes.

4. Au xviiie siècle, à la faveur des querelles autour de la bulle Unigenilus, les principes du gallicanisme des politiques portèrent tous leurs fruits : ils furent empoisonnés.

On sait qu’en vertu des théories gallicanes les parlements voulurent connaître du refus d’absolution aux jansénistes opiniâtres, et cela à double titre : parce que ce refus constituait une injure, et parce qu’il suscitait des troubles. Cette intervention maladroite fut plus que ridicule, elle discrédita à la fois l'Église et le pouvoir civil. Le 7 septembre 1731, le parlement de Paris résuma les principes du gallicanisme des politiques en quatre articles : a) La puissance tempo* relie est absolument indépendante de toute autre puissance et nul pouvoir ne peut en aucun cas y donner directement ou indirectement atteinte, b) Les canons et règlements que l'Église' a droit de faire ne deviennent loi d'État qu’autant qu’ils sont revêtus de l’autorité respectable du souverain, c) A la puissance temporelle seule appartient la juridiction qui a droit d’employer la force visible et extérieure pour contraindre les sujets, d) Les ministres de l'Église sont comptables au roi, et en cas d’abus à la Cour sous son autorité, de la juridiction qu’ils tiennent du roi, même de tout ce qui pourrait, dans l’exercice du pouvoir qu’ils tiennent directement de Dieu, blesser la tranquillité publique et les maximes du royaume.

Un arrêt du conseil rendu le lendemain fit lacérer cette déclaration, mais une vingtaine d’années plus tard (24 mai 1766) le même conseil disait à son tour : « L'Église a reçu de Dieu une véritable autorité qui n’est subordonnée à aucune autre dans l’ordre des choses spirituelles qui ont le salut pour objet…, le gouvernement des choses humaines et tout ce qui intéresse l’ordre public et le bien de l'État est entièrement et uniquement du ressort [de la puissance temporelle]. » L'Église seule décide ce qu’il faut croire et pratiquer, mais le prince, avant d’autoriser la publication des décrets de l'Église et d’en faire des lois d'État, a droit d’examiner « leur conformité avec les maximes du royaume, » seul il peut employer les peines temporelles, la force visible et extérieure pour les faire pratiquer ; il ne peut pas imposer le silence aux pasteurs sur l’enseignement de la foi et de la morale, mais il peut empêcher « que chaque ministre soit indépendant de la puissance temporelle en ce qui touche les fonctions extérieures appartenant à l’ordre public… et écarter de son royaume des disputes étrangères à la foi et qui ne pourraient avoir lieu sans nuire également au bien de la religion et de l'État. »

Dans leur remontrance à Louis XV, les évêques. par la bouche de Loménie de Brienne, firent observer qu’au nom de cette espèce de pouvoir indirect du temporel sur le spirituel, les parlements avaient envahi toute la sphère réservée à l’action de l'Église. Le roi ne répondit rien et ne pouvait rien répondre : c'était l’essence même du gallicanisme des politiques qu’on lui dénonçait.

Vingt-quatre ans plus tard, ce même Loménie de Brienne acceptait la constitution civile du clergé. Dans un des opuscules faits pour la défense de cet acte, Accord des vrais principes de l'Église, de la morale et de la raison, l’archevêque prévaricateur aurait pourtant pu lire les principes mêmes qu’il condamnait en 1766 : Tout ce qui est extérieur est de droit naturel soumis à la puissance qui fait les lois.