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GALLICANISM

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loin, et condamnait tous les livres des jésuites opposés à cette doctrine, le clergé de France ne se laissa pas gagner tout de suite. En 1612, le concile de Sens condamna le livre de Richer et, en 1614, le cardinal du Perron put dire au tiers, partisan des idées du syndic, que cette théologie était une nouveauté dans les écoles et en particulier dans les écoles françaises. Il est vrai qu’en 1682 Gilbert de Choiseul fera met Lie dans les Mémoires du cierge qu’en cette harangue M. du Perron avait exprimé une pensée purement personnelle : c’est qu’en quelques années le culte enthousiaste pour notre monarchie nationale restaurée par les Bourbons avait fait gagner beaucoup de terrain aux théories sur le droit divin des rois et sur l’absolue indépendance du pouvoir temporel établi par Dieu au même titre que le pouvoir spirituel. Quand, à l’occasion de la querelle de la régale, les évêques les eurent proclamées comme la pensée de l’Église de France, comme un dogme traditionnel, également nécessaire au bien des âmes et à la sécurité de l’État, ils se trouvèrent livrés à toutes les entreprises des magistrats sur la puissance spirituelle. S’emparant de la concession faite par les théologiens, les politiques ne s’en tinrent pas aux thèses négatives de notre clergé, ils achevèrent de construire, sur le même plan que Richer, l’édifice imposant des droits de la puissance temporelle sur la puissance spirituelle.

En 1765, le clergé voulut protester, c’était trop tard. Le parlement condamna les « Actes du clergé » . Les prélats qui les avaient rédigés reconnaissaient bien l’indépendance du roi en matière temporelle et son titre de protecteur de l’Église, mais ils avaient ajouté contre le gallicanisme des politiques : « Cette protection que les rois doivent à l’Église n’est point un droit qu’ils acquièrent sur ses décisions…, le jugement de l’Église n’emprunte pas sa force de la puissance royale, c’est donc agir contre les canons que de prétendre les interpréter à son gré sous prétexte de les défendre… »

Avant de voir comment les politiques entendaient les relations de l’Église et de l’État, il faut dire d’un mot ce que l’Église romaine pense, des thèses des théologiens gallicans sur la matière.

3° Condamnation de ces doctrines- — 1- La négation gallicane de tout pouvoir, même indirect, de l’Église sur le temporel du roi de France a-t-elle été l’objet d’une condamnation explicite ?

Plusieurs en doutent. Il est, en effet, remarquable que Pie IX et Léon XIII, quand ils ont traité ex professo des relations des deux pouvoirs, ont employé des termes que les gallicans auraient acceptés : ils affirment la souveraineté des deux puissances dans leur sphère propre, et réclament dans les questions mixtes seulement leur concorde, par exemple, encyclique Quanta cura, Denzinger, n. 1688 ; encyclique Diulumum illud, du 29 juin 1881, ibid., n. 1858 : Quæ in génère rcrum civilium versantur, ea in potestate snpremoque imperio eorum [principum] esse agnoscit et déclarât [Ecclesia ; ] in iis quorum judicium, diversam liect ob causam, ad sacrum civilemquc pertinct potestatem, vult existera inter utramque concosdiam, Encyclique Immorlale Dei, du 1 er novembre 1885, ibid., n. 1866-1870.

Il faut reconnaître cependant que la thèse gallicane est incompatible avec les déclarations théoriques et la pratique des papes de l’antiquité, par exemple, S. Léon le Grand, EpisL, clvi, P. L., t. liv, col. 1130, etc., du moyen âge, voir Boniface VIII, et des temps modernes. Ces derniers toutefois visent surtout les doctrines qui subordonnent l’Église à l’État, ou des conceptions établies beaucoup plus sur l’indiilérentisme en matière religieuse que sur le gallicanisme : Benoît XIV, encyclique Providas, 18 mai 1751 ;

Léon XII, 13 novembre 1826 ; Grégoire XIII, encyclique Mirari vos, du 15 août 1832. Pie IX est plus explicite dans la condamnation de la 24e proposition du Syllabus, Denzinger, n. 1724 : Ecclesia vim injerendx potestatem non hubcl neque potestatem ullam temporalem directam vcl indirectam, et dans celle de la proposition 54e : Reges et principes non solum ab Ecclesim jurisdictione eximuntur, verum etiam in quæslionibus jurisdiclionis dirimendis superiores sunt Ecclesia. Ibid., n. 1754. Léon XIII enfin, dans l’encyclique Immortale Dei, a introduit une phrase d’où se déduit immédiatement le pouvoir indirect de l’Église sur le temporel : Pariter non licere aliam officii jormam privalim sequi, aliam publiée, ila scilicet ut ECCLESIM AVCTOR in vila privala observetur, i publica RESPUATEir Ibid., 1885.

2. Les théories qui refusent à l’Église toute propriété temporelle, tout pouvoir coercitif extérieur, qui ne seraient pas de pures concessions de l’empereur et de la puissance séculière, ont été fort souvent réprouvées par les papes et les conciles. Rappelons seulement les condamnations de Marsile de Padoue : Quod omnia lemporalia Ecclesise subsunt imperatori, etc., quod Ma Ecclesia simul juncta nullum hominem punirc potest punitione coacliva, nisi concédât imperalor, Denzinger, n. 495-599, celles de la 4e proposition du synode de Pistoie, n. 1504-1505, des propositions 19, 20, 24, 25, 26, 27, etc., du Syllabus.

III. Le gallicanisme des politiques.

1° Le

gallicanisme parlementaire et le gallicanisme royal. — On donne souvent comme charte du gallicanisme des politiques l’opuscule, que Pierre Pithou, en 1594, dédia au roi Henri IV : Les libertés de l’Église gallicane, et l’on n’a point tort : peu d’ouvrages ont eu sur les institutions et les pratiques de l’ancien régime une influence aussi profonde. Son texte fut commenté, appuyé de preuves par Dupuy et Durand de Maillane et cela jusqu’à la veille de la Révolution française ; ses éditeurs successifs y joignirent les opuscules de Ch. du Moulin, de Fauchet, de Pasquier, d’Hotman, de Servin, de Leschassire, de Jean du Tillet, etc., pour en faire la somme du gallicanisme parlementaire. Il faut donc le faire connaître.

1. Pierre Pithou ne s’est pas borné à ramasser en 83 propositions courtes tout ce qui était qualifié de libertés gallicanes, il les a rattachées à deux principes : « Les particularitez de ces libertez pourront sembler infinies et néanmoins estant bien considérées se trouveront dépendre de deux maximes fort connexes que la France a toujours tenues pour certaines. La première est que les papes ne peuvent rien commander, n’y ordonner, soit en gênerai ou en particulier, de ce qui concerne les choses temporelles es pays et terres de l’obéissance et souveraineté du roy très chrestien ; et s’ils y commandent ou statuent quelques choses, les subjets du roy r, encore qu’ils fussent clercs, ne sont tenus de leur obéir pour ce regard. La seconde, qu’encore que le pape soit recogneu pour souverain es choses spirituelles, toutefois en France la puissance absolue et infinie n’a point de lieu, mais est retenue et bornée par les canons et règles des anciens conciles de l’Eglise receus en ce royaume. Et in hoc maxime consista liberlas Ecclesiæ gallicanse… De ces deux maximes dépendent ou conjointement ou séparément plusieurs autres particulières qui ont esté plustot pratiquées et exécutées qu’escrites par nos ancêtres… » A s’en tenir à ces deux négations fondamentales de l’autorité du pape et de l’Église, il serait difficile d’assigner une différence entre le gallicanisme des ecclésiastiques et celui des politiques : les divergences apparaissent dans les conséquences que Pithou prétend en tirer ; son souci dominant n’est pas le même que celui des prélats, ni sa méthode, ni ses conclusions.