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GALLICANISME


par une argumentation en deux temps : il prouvera d’abord que Jésus-Christ a voulu que son Église vécût dans le parlait dépouillement de toute propriété terrestre et de tout domaine, seigneurie, ou souveraineté temporelle qui lui fût propre ; il démontrera ensuite que, non content d’avoir refusé à la société spirituelle cette autorité directe sur les choses du temps, le divin instituteur a dénié aussi à son Église tout pouvoir sur ceux qu’il a lui-même chargés d’administrer les choses temporelles, en tant du moins que ces personnes sont considérées comme personnes publiques, comme rois et comme princes.

Voici les arguments invoqués en faveur de chacune de ces deux conclusions.

2. Le dépouillement parfait de l’Église au point de vue temporel. — a) Jésus-Christ, son chef et son auteur, a professé personnellement la pauvreté la plus complète. Voir sa parole : Vulpes joveas habent, etc., Matth., viii, 20, et l’interprétation doctrinale qu’en ont donnée et saint Bonaventure et, dans une décision solennelle, le pape Nicolas III (c. Exiit, De verb. sign., dans le Sexte), cette pauvreté est définie comme s’étendant non pas seulement à l’usage, mais encore au domaine des choses d’ici-bas.

Le même Jésus-Christ a recommandé et même ordonné à ses apôtres de suivre cet exemple, Matth., x, 9, et il a été obéi. Act., xx, 33.

b) Même rejet formel par Jésus-Christ de toute puissance qui ressemblât à un principal. Il nie que son royaume soit de ce monde, Joa., xviii, 36 sq. ; il défend aux siens d’aiïecter rien d’analogue, Marc, x, 42 ; Luc, xxii, 25 ; à l’égard des princes temporels, il s’est conduit uniquement en sujet, jamais en souverain. Ses apôtres ont agi tout pareillement.

c) Enfin si l’on examine quels pouvoirs il a conféré à ses disciples, on n’en trouve pas un seul qui soit d’ordre temporel. Les disciples peuvent et doivent prêcher, baptiser, lier et délier des consciences, consacrer l’eucharistie, frapper d’excommunication les rebelles, faire des lois et établir une discipline spirituelle. ..

Tous les textes ou faits qu’on allègue à rencontre de cette profession et de cette obligation d’un dépouillement temporel absolu doivent s’entendre ou de la puissance incommunicable que le Christ, comme Dieu, possédait sur toutes choses créées, ou bien au sens purement spirituel comme des métaphores et des allégories. Qui les interprète autrement et au sens charnel tombe dans la méprise des juifs rêvant d’un Messie roi temporel. Tournély s’attache à montrer qu’on a abusé au moyen âge de l’épisode évangélique des deux glaives : la pensée de Jésus-Christ, quand il déclarait à saint Pierre que ses deux glaives étaient suffisants, ne concerne en aucune manière la thèse débattue entre gallicans et ultramontains.

La doctrine gallicane pousse donc à l’extrême ses conclusions sur le caractère purement spirituel de l’institution ecclésiastique. On verra plus loin que, partant de cette concession, les légistes construiront toute une théorie des droits de l’État en matière ecclésiastique ; nos théologiens se gardaient d’approuver cette audacieuse tentative, ils s’en tenaient à leur négation : Jésus-Christ n’a concédé rien de temporel à son Église. Leur seconde conclusion se contentait d’écarter la théorie par laquelle Bellarmin avait tenté d’atténuer la rigueur de ce dépouillement total.

3. Négation du pouvoir indirect de l’Église sur le temporel. — Sur les princes, pris comme tels, l’Église n’a aucune autorité, même indirecte ; aucune sanction temporelle ne peut être édictée par elle pour les obliger à respecter ses droits, elle ne peut les déposer, ni absoudre leurs sujets du serment de fidélité.

La forme complexe de cette seconde proposition était imposée aux théologiens gallicans par la teneur du 1 er article de la Déclaration de 1682 : attentifs à prévenir les mesures que le pape Innocent XI, irrité par l’usurpation de la régale dans les évêchés méridionaux, menaçait de prendre à l’égard de Louis XIV, les évêques voulaient affirmer que les sentences pontificales ne sortiraient pas en France les effets que réclamaient pour elles certains docteurs du moyen âge et de la Renaissance catholique en Italie ; mais la pensée des théologiens dépassait le cas particulier de la déposition d’un roi par le pouvoir spirituel, et s’opposait à toute immixtion autoritaire de l’Église dans le domaine temporel : à cet égard, princes et rois lui échappent absolument, nullalenus subjaccnl.

Les preuves de cette négation sont fort développées.

a) C’est seulement une preuve négative que fournit l’Écriture : un procès-verbal de carence. Nulle paît elle ne fait mention d’un pouvoir indirect quelconque du Christ et de ses disciples sur le temporel des rois. Ni pour la prédication de l’Évangile, ni pour la défense, la liberté de leur ministère, Jésus-Christ et les apôtres n’ont affecté d’autorité à l’égard des princes de la terre. Saint Paul aurait cru, s’il avait exigé que leur puissance se mît au service de son apostolat, rendre vaine la croix du Christ.

D’ailleurs, le divin Maître a eu le soin de marquer nettement que rien n’était plus étranger à l’esprit de l’Évangile que des procédés rappelant la terreur que les princes doivent inculquer aux rebelles… Nescilis cujus spirilus estis, Luc, ix, 55, a-t-il répondu aux fils de Zébédée trop portés à sévir. Enfin l’Écriture inculque la vérité qui s’oppose contradictoirement à la thèse ultramontaine : de Dieu seul les rois tiennent leur puissance, à Dieu seul ils en doivent compte, lui seul peut les en priver ; il interdit qu’on résiste par la force à l’abus qu’ils peuvent faire de leur pouvoir, ses interprètes inspirés prêchant l’obéissance aux princes ne distinguent pas entre les princes bons et les princes mauvais, Pierre et Paul portaient cette loi de la soumission complète au temps même de Néron. D’où la conclusion de Tournély : Ex quibus omnibus Scripluræ iesiimoniis hoc invictum deduci potest argumentum : Non pontijex, non Ecclesia ipsa universa ea subvertere potest quæ sunt instilutionis divinse ; atqui potestas principum est inslitulionis divinse, obedienlia quam ipsis debent eorum subdili juris pariter divini est ; ergo nec privari possunt principes sua auctorihde, nec subdili ab obedienlia ipsis débita dispensari.

b) Une enquête à travers les affirmations patriotiques aboutit à la même conclusion. Tournély la fait porter sur ces quatre points : a. SS. Patres docent regum et principum potestatem immédiate esse a Dco et ab Mo solo pendere. [i. SS. Patres docent peccata principum, quoad pœnas temporales, solius Dei judicio subjacere. y. SS. Patres docent principibus ctiam potestate sua abutenlibus obediendum esse nec vi aut armis obsislendum. o. SS. Patres docent Ecclesiam carere omni gladio matcriili et habere t.mlum spiritualem, quo suos in relig’onis officiis contineal : eo modo quo reges gladium dumlaxat habent materialem, ita ut neutra potestas in alteram excurrere possil.

On le voit, c’est la négation de toute puissance coercitive matérielle.

Saint Irénée, Athénagore, Justin, les Alexandrins : Clément, Origène, Denys, Théophile, Athanase, Cyrille ; les Asiates : Épiphane, Grégoire de Nazianze, Chrysostome ; les Africains : Tertullien, Cyprien, Optât’et Augustin ; les Espagnols : Lactance, Agius, Isidore ; les Italiens ou prêtres romains : Jérôme, Ambroise, Cassiodore, le Gaulois Grégoire de Tours, les papes Libère, Damase, Félix III, Symmaque, Gélase, Jean I er, Agapet, Sylvère, Grégoire le Grand, Martin I er,