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GALLICANISME


Le gallicanisme doctrinal n’est pas un système unique. Après Bossuet, Lettre au cardinal d’Eslrées, décembre 1681, Correspondance, édit. Urbain et Levesquc, t. ii, p. 277, on divise généralement ses tenants en deux grandes classes et l’on distingue soigneusement le gallicanisme des évêques et le gallicanisme des magistrats ; on dirait aussi bien : le gallicanisme des théologiens et le gallicanisme des politiques.

Ici l’on s’occupera d’abord et surtout du gallicanisme des théologiens ; on donnera ensuite quelques indications sur le gallicanisme des politiques.

II. Le gallicanisme des théologiens.

Le

gallicanisme des théologiens n’est pas lui-même un système unique ; car ce n’est pas à proprement parler une doctrine positive : il consiste essentiellement en négations que les différents auteurs entendent et justifient diversement suivant les époques et les écoles. Ces constructions spéculatives diverses sont par conséquent secondaires et accidentelles, au regard de la négation fondamentale en quoi consiste notre doctrine.

Cependant après l’Assemblée de 1682, le gallicanisme de nos théologiens s’est fixé en une théorie assez cohérente et assez uniforme, enseignement commun et pratiquement obligatoire dans toutes les chaires du royaume, dans les séminaires comme dans les universités : c’est de ce corps de doctrine qu’on trouvera ici l’expoé.

Pour type représentatif de nos maîtres gallicans, on peut choisir avec avantage l’un des plus modérés, mais aussi l’un des plus savants et des plus étendus : Honoré Tournély, né à Antibes le 28 août 1658, professeur à Douai de 1688 à 1692, a la Sorbonne de 1692 à 1716 et mort en 1729. Voir Tournély ; cf. Joseph Hild, Honore Tournély und seine Stellung zum Jansenismus, Fribourg-en-Brisgau, 1911, et les recensions de ce livre : J. Bainvel, dans les Études, t. cxxxi, p. 789 sq. ; t. cxxxii, p. 65 sq. ; P. Godel, dans la Revue du clergé français, t. lxvii, p. 178 sq.

Les Prselecliones Iheologicæ quas in scholis sorbonicis habuit Honoralus Tournély, parues en 16 vol. in-8° de 1725 à 1730, eurent un grand succès. « Tournély, disait en 1764 un pamphlétaire janséniste fort dépité, est dans notre France presque seul lu et enseigné en grand ou en petit. » Tournély en petit, « 'est le célèbre abrégé en deux ou même un seul volume qu'à l’usage dis séminaristes fit le lazariste Collet, Paris, 1744 ; Lyon. 1767. Notre auteur a donc assuré la formation théologique d’une bonne partie des prêtres français de l’avant-dcrnier siècle. Cf. A. Degert, Histoire des séminaires français jusqu'à la Révolution, Paris, 1912, t. ii. p. 250 sq. C’est pourquoi l’on peut lui emprunter le résumé « lis doctrines alors communément professées par le clergé gallican.

D’autre part, Tournély est un des maîtres les plus

parfaits de ce qu’on pourrait appeler la méthode

gique gallicane <le la fin de l’ancien régime. A

l’opposé de celle des gallicans des xiv et w siècles,

cette méthode n’a rien de scolastique, presque rien

de proprement spéculatif, elle prétend être positive,

même historique ; elle l’est en une certaine

mesure ; elle a surtout des affinités avec certaines

méthodes juridiques : elle s’attache à étayer ses

sur l’exéi i se et le groupement de textes brefs

qu’elle extrait des documents témoins d’une tradition

encore Incomplètement connue, quoique déjà fort

étudiée, el s’efforce de tirer de cette lettre, un peu

servilement Interprétée, la formule des lois constitu de la société chrétienne. On aura nue Idée du

lé en parcourant la série des preuves donl

nély appuie ses conceptions eccléslologlques.

I niiii |i les arguments mêmes de Ton

oui justement les thèses et les arguments qui furent

produits dans les discussions du concile du Vatican par les adversaires de l’infaillibilité pontificale. On ne l’y nomme guère ou point du tout, mais c’est ce gallican modéré que les uns suivent et que les autres réfutent, tant avait été profonde l’influence de ce professeur dans la formation du clergé de toute une grande Église.

Ces indications sur la doctrine et la méthode gallicanes, telles qu’on les rencontre dans les ouvrages d’Honoré Tournély, seront complétées par des notes sur quelques autres théologiens gallicans, antérieurs, contemporains ou postérieurs : on y verra les variations du gallicanisme, ce qui forme peut-être une de ses meilleures réfutations.

Pour le reste, exposé et preuves de la doctrine orthodoxe ou solutions des objections, on voudra bien se rapporter aux divers articles contenant les éléments du traité de l'Église.

Le système théologique de Tournély sur la constitution de l'Église (droit public interne) et sur ses relations avec l'État (droit public externe) est contenu à peu près entier — sauf renvoi au traité de l’Ordre — dans son traité De Ecclesia Christi. L’auteur eut le temps d’en donner deux éditions : on utilisera la secunda editio ab auclorc rccognila, Paris, 1739. Les éditions ultérieures de Cologne, Venise et Naples ont en effet été amendées dans un sens ultramontain et ne livrent pas la pensée même de nos gallicans.

I. LES SYSTÈMES GALLICANS SDR LA CONSTITUTION DE

VÉGLISB. — 1° Système d’Honoré Tournély. — § 1. La définition de l'Église. — Dès le début de son œuvre, Tournély établit sa définition de l'Église. Il l’emprunte à Canisius et à Bellarmin, deux ultramontains : Ccelus hominum unius et cjusdem fldeichristianæ professione et eorumdem særamentorum communione conjunclus, sub regimine legitimorum paslorum. ac præcipue romani pontifteis. De Ecclesia, q. i, a. 2, conclusio, t. i, p. 25. Il dit préférer cette définition à celle de Richer : Ecclesia est politia monarchica, ad fincm supernaturalem spirilualem instiiula, regimine aristocralico, omnium oplimo et naturse convenientissimo, temperata a summo animorum pastorc Domino Jesu Christo. Il reproche à cette formule, et non sans raison, d'être enveloppée, muette sur la communauté de foi et de sacrements, aussi bien que sur le pape, et de viser plutôt le mode de gouvernement (politia monarchica) de cette société que la société elle-même. Ibid.

Il défend ensuite son propre texte contre les attaques de I.aunoy. Celui-ci ne voulait pas qu’en la définition de l'Église on fît mention des pasteurs et du pape, et pour la raison même que Tournély invoquai ! contre Richer : Istud enim paslorum regimen ad station Ecclesise pertinct, non vero ad Ecclrsin : naturnm et essenliam, Ibid.

Contre cette objection, Tournély démontre correctement que deux choses sont essentielles ;) l’Eglise : l’union de ses membres et la subordination des uns aux autres : unio sciliccl corum qui illam constituant et subordinatio seu dependentia eorumdem ab iis qui societatem moderantur et rcgunl. Ibid., p. 26.

Ainsi est déterminée très nettenient la position du gallicanisme à la fin de l’ancien régime : ce n’est pas une théorie démocratique ; si. au sujet de la constitution de l'Église, la doctrine gallicane se dislingue de la doctrine romaine, ce n’est pas qu’elle se sépare d’elle

sur ce caractère essentiel à l'Église de Jésus-Christ

d'être une lodété de membres Inégaux, une société

hiérarchique ; e’csi seulement parce qu’elle conçoit

un peu nullement l’organisation de celle hiérarchie.

2. L’organisation de la hiérarchie. In formule

qui exprime celle conception se rencontre dans le

he Eccletta de Tournély, q iii, De auctorttate Ecclesise in rebut ad rellgionem pertinentibus, a. 8, Quate sit