Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée
1087
1088
GALILEE


égard pour la décision des cardinaux du Saint-OfTïcc ou par peur de la censure, il renonça à enseigner publiquement la doctrine du mouvement de la terre, mais il ne consentit pas pour cela à l’abandonner. Vers la fin de novembre 1633, il écrivait au P. Mersenne : « Je vous diray que m’estant fait enquérir ces jours à Leyde et à Amsterdam, si le Sisleme du monde de Galilée n’y était point à cause qu’il me semblait avoir appris qu’il avait esté imprimé en Italie l’année passée, on m’a mandé qu’il estait vrai qu’il avait esté imprimé, mais que tous les exemplaires en avaient esté brûlez à Rome au mesme temps, et luy condamné à quelque amande : ce qui m’a si fort estonné, que je me suis quasi résolu de brûler tous mes papiers, ou du moins de ne les laisser voir à personne. Car je ne me suis pu imaginer que luy qui est italien, et mesme bien voulu du pape, ainsi que j’entens, ait pu estre criminalisé pour autre chose, sinon qu’il aura sans doute voulu establir le mouvement de la terre, lequel je scay bien avoir été autrefois censuré par quelques cardinaux ; mais je pensais avoir oùy dire que depuis on ne laissait pas de l’enseigner publiquement mesme dans Rome ; et je confesse que, s’il est faux, tous les fondements de ma philosophie le sont aussi, car il se démontre par eux évidemment. Et il est tellement lié avec toutes les parties de mon traité que je ne l’en sçaurais détacher sans rendre le reste tout défectueux. Mais comme je ne voudrais pour rien au monde qu’il sortit de moy un discours, où il se trouvas ! le moindre mot qui fusl désaprouvé de l'Érjlise, aussi aymé-je mieux le supprimer que de le faire paraître estropié. » Œuvres de Descaries, t. i, p. 270. Cette soumission du savant français n’engageait pas son intelligence. En février 1634, il exprime l’espoir que ni le pape ni le concile ne ratifieront la sentence de la Congrégation des cardinaux, et il demande à Mersenne « ce qu’on en tient en France et si l’autorité des cardinaux a été suffisante pour faire de leur sentence un article de foi. » Ibid., t. i, p. 281.

Lorsqu’il eut parcouru le livre de Galilée, sa réserve s’accentua encore : « Les raisons pour prouver le mouvement de la terre sont fort bonnes, dit-il ; mais il me semble qu’il ne les estale pas comme il fault pour persuader. » Œuvres de Descartes, t. i, p. 305. Un homme qui parle de ce ton ne ratifiait sûrement pas dans son for intérieur la sentence doctrinale du Saint-Office. Un peu plus tard, il essaie de se tirer d’embarras en établissant le mouvement de la terre, non d’après Copernic, « mais en suivant le système de Tycho. » Ibid., t. v, p. 550, lettre de 1644.

Grâce à ce subterfuge, par lequel il maintenait les droits de sa raison, le philosophe français était en règle avec l’autorité ecclésiastique. Les théologiens, en effet, le tiennent quitte de toute autre marque de respect. Ils reconnaissent volontiers qu’on ne saurait imposer « une adhésion intérieure au savant qui a la certitude scientifique de l’erreur contenue dans une décision faillible de l’autorité » enseignante. « En ce cas, dit l’abbé Jaugey, non seulement le savant n’est pas obligé d’adhérer soit intérieurement soit extérieurement au décret, mais il ne peut pas le faire sans pécher ; il ne peut qu’observer un respectueux silence. » Le procès de Galilée et la théologie, p. 120. Cf. Grisar, Galileistudien, p. 249-259.

Tous ne gardèrent pas cette attitude un peu forcée. Le P. Mersenne, au grand étonnement, presque au scandale de Descartes, entreprit de réfuter un ouvrage intitulé : Contra motum lerræ, que l’auteur (probablement J.-B. Morin) avait dirigé contre la doctrine copernicienne. Œuvres de Descarles, t. i, p. 324. « Pour le mouvement de la terre je m’estonne qu’un homme d'Église en ose écrire, en quelque façon qu’il s’excuse, » écrivait encore Descartes à Mersenne, avril 1634.

Ibid., p. 288. Mersenne ne se lassait pas de témoigner publiquement son admiration pour Galilée. « Tous ceux qui ont écrit contre ce grand homme, disait-il un jour, ne sont quasi pas dignes qu’on les nomme, de sorte que je me contente d’agir noblement avec lui en parlant de ses expériences. » Ibid., t. i, p. 578579. D’autres furent plus hardis encore. Le dominicain Campanella publia en 1637 un livre où il défendait le système de Copernic et le déclarait expressément « non contraire à l'Écriture. » Dispulationum in quatuor partes sux philosophiæ realis libri IV, Paris, 1637, t. il. Cf. Œuvres de Descartes, t. i, p. 324. Ce fut le premier ouvrage de ce genre qui parut en France après la condamnation de Galilée.

Louer comme Mersenne, en toute occasion, les expériences de Galilée ou déclarer, comme le faisait Campanella, que le système de Copernic n'était pas contraire à l'Écriture, c'était méconnaître la valeur doctrinale de la sentence des Congrégations romaines. En France, Où l’on tenait volontiers pour non avenues les décisions de l’Index, une telle conduite n’avait pas trop de quoi surprendre. Mais une pareille audace ne pouvait être le fait de tous les esprits. Nombre d’entre eux, flottants et hésitants, durent faire aux décrets de 1616 et de 1633 un acte d’adhésion qui leur coûtait, autant qu’il les déconcertait. Et c’est ce sacrifice moral qu’il s’agit d’apprécier.

Certains apologistes en prennent aisément leur parti et, au lieu de voir dans la décision qui frappa le système de Copernic une erreur dont les suites furent pour quelques-uns extrêmement fâcheuses, ils y découvrent au contraire une attention particulière de la providence et un bienfait pour les âmes. Voici comment ils raisonnent : « Tout, disent-ils, dans l'économie du plan divin, tend au salut de l’humanité ; l’ordre naturel est subordonné à l’ordre surnaturel. la science à la vertu, la raison à la foi. Or, qui ne voit que la somme de vertus pratiquées par les savants, qui se soumirent de cœur et d'âme aux décisions des tribunaux romains, vaut infiniment plus, non seulement aux yeux de Dieu, mais encore pour le progrès de l’humanité, que le développement d’une science, fût-ce de la science astronomique ? D’ailleurs, la providence, qui veille sur les petits comme sur les grands, en permettant qu’une hypothèse destinée à renverser l’enseignement reçu fût arrêtée dans son développement, a voulu ménager les faibles, que la transformation trop rapide de cette hypothèse en vérité scientifique aurait scandalisés. Sans doute, les partisans du système condamné devaient aussi se scandaliser du coup qui les atteignait. Mais, tout compte fait, ce scandale est peu de chose en comparaison de celui qui eût éclaté si les coperniciens avaient été autorisés à troubler les esprits par le libre exposé de leur doctrine. L’arrêt momentané de leurs recherches a donc été plutôt favorable aux intérêts supérieurs de l’humanité, et il est permis d’y voir une marque que Dieu veillait sur son Église… »

Telle est, réduite à sa plus simple expression, la thèse que soutient le P. Grisar, Galileistudien, p. 123, 344, 354-356. Malgré la part de vérité qu’elle renferme, elle a bien l’air d’un paradoxe et d’une gageure.

Que la vertu soit d’un prix incomparablement supérieur à la science, on peut très bien l’admettre sans que cette concession justifie le moins du monde la condamnation de la théorie copernicienne. Le progrès de la science n’est pas incompatible avec la pratique de la vertu. Si les Congrégations romaines voulaient obtenir un acte d’obéissance des catholiques dans la question controversée, il dépendait d’elles que leur décision fût juste, au lieu d'être erronée. La soumission des esprits n’eût pas été moins méritoire