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GALATES (ÉP1TRE AUX)


concis, se dérobait et vivait à l’écart des gentils. Ce revirement, entraînant celui des autres juifs d’Antioche et même île Barnabe, était préjudiciable à la liberté des gentils. S’ils ne voulaient pas se voir reléguer dans l’isolement d’une sorte d’Eglise inférieure, ils devaient se plier aux exigences des prescriptions légales. La volte-face de Pierre était donc condamnable à un double titre : elle constituait une entorse à ses propres principes, elle portait atteinte indirectement à l’affranchissement des gentils et par le fait même aussi à l’Évangile de Paul. C’est ce second motif principalement qui aura déterminé l’intervention franche et loyale de l’apôtre. Après avoir reproché publiquement à saint Pierre son changement de conduite, Paul accumule tous les motifs qui militent en faveur de la liberté évangélique contre le servage persistant de la loi, 15-21.

Le discours de Paul, 15-21, a-t-il été réellement adressé à Pierre, dans l’assemblée d’Antioche ? Paul n’est-il pas amené, par la relation de cet incident qui avait failli compromettre la liberté des gentils, à esquisser déjà pour ses lecteurs les preuves internes de son Évangile, qu’il développera à partir du c. ni ? Pierre, dit-on, d’accord avec Paul sur les principes, n’avait nullement besoin d’un aussi long discours où les questions fondamentales sont touchées, où Paul fait l’apologie de son Évangile qui n’était pas en cause, où il s’abandonne, à partir duꝟ. 18, à des confidences personnelles. D’ailleurs, aucune particule ne rattache leꝟ. 15 auꝟ. 14, et rien, dans les versets 15-21, n’indique que Paul continue à s’adresser à Pierre (Zahn). Nous croyons cependant avec les anciens (S. Éphrem, S. Chrysostome, S. Jérôme, etc.) et beaucoup de modernes que tout le passage fait partie du discours adressé par saint Paul à saint Pierre devant les fidèles d’Antioche. L’Évangile de Paul, ainsi que nous l’avons dit, était indirectement atteint, et la meilleure façon de faire ressortir l’inconséquence de Pierre, était de rappeler les principes admis par lui. Paul parle à Céphas en public, en pleine assemblée, parce qu’il a le dessein d’instruire les autres. Pour le même motif, il lui tient un discours plus long qu’il n’eût été nécessaire s’ils avaient été seuls. Enfin le verset 15, « nous juifs par nature, » s’adresse à Pierre et non pas aux Galates, et rien ne nous avertit que les interlocuteurs changent dans la suite.

Le raisonnement de saint Paul, pour prouver la liberté du juif converti vis-à-vis des obligations de la loi, se ramène aux propositions suivantes : Le Christ n’est pas mort en vain, mais il est mort pour nous procurer la justice ; mais si la mort du Christ doit nous obtenir la justice, c’est que la loi est impuissante à la produire ; et si la loi est impuissante à justifier, elle n’est plus obligatoire pour le chrétien. Car si elle était encore obligatoire pour le chrétien, celui-ci, en l’abandonnant pour chercher la justice dans le Christ, se constituerait pécheur, et ce péché rejaillirait sur le Christ, auteur et objet de sa foi. Mais cela n’est pas, au contraire, c’est en reprenant le joug de la loi qu’il avait d’abord secoué, que le juif se ferait pécheur et transgresseur de la loi.

Ces propositions renferment la quintessence de la théologie de saint Paul, et elles ne sont pleinement intelligibles pour nous que dans l’ensemble de cette théologie. Nous ne pouvons songer à les exposer complètement ici. Certaines d’entre elles reçoivent, dans le passage même que nous examinons, un commencement de développement, d’autres sont simplement énoncées. Que la mort du Christ n’ait pas été stérile dans l’œuvre de notre salut, c’était la persuasion intime de tous les chrétiens. Que l’efficacité réelle de la mort du Christ soit incompatible avec la justification par les œuvres de la loi, cela ressort de l’oppo sition entre les deux économies : la justice des œuvres est une justice acquise, la justice obtenue par la mort du Christ est un don de Dieu. Cette opposition, que saint Paul fera ressortir davantage dans l’Épître aux Romains, est simplement indiquée ici : « Je ne rends pas vaine la grâce de Dieu ; or si la justice est le fruit de la loi, le Christ est mort inutilement, » ii, 21. Que la loi soit impuissante à justifier, cela ressort d’abord de la démarche de Pierre et de Paul : quoique conscients de leur supériorité sur les gentils et des privilèges que leur conférait leur qualité de juifs, ils ont reconnu que l’homme n’atteint pas la justification par les œuvres de la loi, et c’est dans cette persuasion qu’ils ont cru en Jésus-Christ et renoncé à l’observation de la loi, n, 16. Cette impuissance est d’ailleurs attestée par l’Écriture. En affirmant, Ps. cxi.ii, 3, qu’aucun vivant ne sera justifié devant Dieu, le psalmiste atteste que l’homme n’arrive pas à la justice par ses propres efforts, donc non plus par l’observation de la loi, ii, 16.

Les judaïsants reprochaient aux judéo-chrétiens qui abandonnaient la loi de descendre au rang des païens, de devenir eux aussi des pécheurs (/.ai kutoî â]j.apT(’)).oi duꝟ. 17 rappelle = ? lôvfflv àu-api’oXo : duꝟ. 15). C’est déjà l’éternelle objection qu’on lancera toujours à saint Paul. S’il en était ainsi, dit saint Paul, il faudrait rendre le Christ responsable de cette situation ; si, en cherchant à être justifiés dans le Christ, nous étions trouvés pécheurs, le Christ, au lieu d’être ministre de justice, serait serviteur du péché, car c’est à cause de lui et pour lui que nous avons abandonné l’ancienne économie pour nous engager dans la voie nouvelle. Or aucun chrétien ne pourrait supposer, même un instant, que le Christ soit au service du péché, 17. Aussi, ce n’est pas en abandonnant la loi qu’on devient pécheur, mais en la reprenant, après l’avoir quittée : on va alors directement à rencontre du but même de la loi, on la transgresse pour ainsi dire, 18. N’est-ce pas là le comble du paradoxe, transgresser la loi en l’observant ? En une explication extrêmement concise, qui renferme tout un monde d’idées, Paul va montrer comment revivre à la loi, c’est la violer : « Par la loi, je mourus à la loi, afin de vivre pour Dieu, j’ai été crucifié avec Jésus-Christ, » 19. Paul a cru au Christ ; sa foi au Christ l’a amené au baptême ; le baptême est une mort mystique où nous sommes unis au Christ mourant ; mais la mort, étant le terme des obligations passées, éteint notre dette envers la loi qui n’a plus de créance à faire valoir contre nous (Rom., vii, 1 : Lez in homine dominatur quanlo tempore vivit ; 4, vos mortificati estis legi per corpus Christi). Paul est donc mort à la loi. Mais c’est la loi elle-même qui, en amenant Paul à la foi au Christ et au baptême, a brisé tous les liens qui l’attachaient à elle. Comment la loi a-t-elle rempli cet office ? Précisément parce qu’il était dans son rôle de nous conduire au Christ : 6 vo’fio ? -a13ayo>yJ ; s !  ; Xo’.axo’v. Gal., ni, 24 Nous dirons plus loin en quoi consistait cette fonction de pédagogue attribuée par Paul à la loi.

Ne dirait-on pas, d’après la façon dont l’apôtre parle de sa conversion au Christ dans les versets 18 et 19, que cette démarche fut de sa part spontanée et réfléchie, motivée par l’expérience qu’il avait faite de l’impuissance de la loi à justifier ? Comment concilier cette conception avec le récit miraculeux de sa conversion ? Dans la mesure où elles visent vraiment son histoire personnelle, ces réflexions semblent devoir s’appliquer à la période qui suivit sa conversion, elles paraissent faire allusion au travail lent de raisonnement et de synthèse qui s’est fait dans l’âme de Pau après l’événement de Damas, surtout pendant le séjour en Arabie. Mais il nous paraît plus probable que Paul parle ici, moins en son nom propre, qu’au nom