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G A I A NITE (CONTRO VE RS E)

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qui lui est dû ; si d’ici quelques jours il n’est ni corrompu ni altéré, ni changé, il sera évident que votre doctrine est vraie, et que le Christ est en effet, depuis l’union hypostatique, de toute façon incorruptible ; s’il est corrompu ou changé, il faudra convenir nécessairement ou bien que vous ne recevez pas le vrai corps du Christ, mais une simple figure, ou bien que le Saint-Esprit n’est pas descendu sur le pain à cause de votre doctrine perverse, ou bien qu’avant sa résurrection, le corps du Christ est corruptible, comme étant immolé, mis à mort, blessé, partagé, mangé. Hoclegus, c. xxiii, P. G., t. lxxxix, col. 297. C’est sans doute parce qu’il ne distinguait pas le corps du Christ des accidents du pain et du viii, et qu’il se figurait que ce corps dans l’eucharistie était passible comme pendant sa vie mortelle, qu’Anastase a parlé ainsi. C’est l’interprétation que suggèrent deux autres passages de Y Hoclegus, c. xiii, col. 208-209 ; c. xiv, col. 248. Il est évident que les gaianites, s’ils avaient de l’eucharistie une idée moins réaliste et plus orthodoxe, pouvaient facilement rompre les mailles du filet où voulait les prendre leur adversaire.

Saint Jean Damascène consacre à la question qui nous occupe deux chapitres du IIIe livre de la Foi orthodoxe. Dans le premier, c. xx, P. G., t. xciv, col. 1081-1084, il affirme que le Christ s’est soumis aux passions naturelles et irrépréhensibles. Il entend parla la faim, la soif, la fatigue, la peine, les larmes, la corruption, f, cpOopâ, la crainte, l’agonie sanglante et autres impressions ou émotions qu’éprouvent naturellement tous les hommes. Ces infirmités sont les suites de la transgression d’Adam. Le Christ les a prises, mais très volontairement, de sorte qu’on peut dire qu’elles étaient en lui à la fois selon la nature et d’une manière surnaturelle ; selon la nature, /.a-’x çûotv, parce qu’il laissait sa chair éprouver normalement ce à quoi elle était naturellement sujette ; d’une manière surnaturelle, û « èp cpôatv, parce que ces infirmités ne s’imposaient pas à lui contre son gré. C’est volontairement qu’il eut faim, volontairement qu’il eut soif, volontairement qu’il eut peur, volontairement qu’il mourut. Dans le second chapitre, c. xxviii, col. 10971100, le saint docteur attaque directement Julien et Gaianos. Il commence par déclarer que le mot corruption, cpOopdc, peut signifier ou ces passions naturelles et irrépréhensibles dont il a déjà parlé, ou la dissolution du corps en les éléments qui le composent. Jésus-Christ a connu la première sorte de corruption, mais a ignoré la seconde, et son corps est devenu tout à fait incorruptible et impassible après la résurrection. Par la manière dont il s’exprime, le Damascène pourrait faire croire que Julien niait la réalité des souffrances du Sauveur et par là même la consubstantialité de son corps avec le nôtre ; mais à y regarder de près, on s’aperçoit que c’est par voie de déduction qu’il attribue à l’évêque d’Halicarnasse une pareille doctrine. Il a déjà dit, en effet, De hæresibus, 84, col. 756, que les gaianites reconnaissaient que le Christ avait réellement éprouvé les passions naturelles et irrépréhensibles.

La controverse gaianite ne fit guère de bruit en Occident. Deux Pères seulement, saint Fulgence de Ruspe et Eusèbe de Thessalonique ; paraissent s’en être occupés ex pro/esso. Interrogé par un certain comte Réginus, qui avait eu vent de la querelle entre Sévère et Julien, saint Fulgence exposa aussi brièvement que clairement une doctrine équivalente pour le fond à celle de Léonce de Ryzance. Après avoir déclaré que le mot « corruption » s’entend soit du péché, soit de la peine infligée pour le péché, corruplionem dupliciler dicimus, cujus una pars in sola hominis culpa, altéra invenitur in pœna, Epist., xviii, P. L., t. lxv, col. 494, il enseigne que Jésus-Christ s’est soumis aux pénalités

du péché originel qui n’ont rien de peccamineux, procul dubio, in quantum corpori ejus ineral suscepta mortalitas, in tanltim ei poluil inesse corruptiouis infirmitas, illius scilicet corruplionis, quee abest ab omni peccalo, col. 495. Il ajoute : Ad corruplionem peiiinel corporis animalis et mors quw præcedil pulredinem, et putredo quse sequitur morlem. Le Christ a passé par la mort, mais son corps a échappé à la dissolution, non qu’il fût naturellement incorruptible, mais parce qu’il est ressuscité sans retard, col. 496. Toute la pensée de Fulgence est bien résumée dans cette phrase : Quocirca appurel Christum ante passionem, imo usque ad passionem et morlem, morlnle atqur animale corpus habuisse, et pro nobis in eodem corporc veram famem, veram sitim (aligalionemque sensisse, vera clavorum ac lancese percepissc vulnera, et ex hoc verum dolorem non necessitale sed voluntate sensisse, verseque morlis acceptatione pro nobis animam suam propria potestate posuisse. Des infirmités du corps Fulgence passe à celles de l’âme, à ce que nous appelons proprement les passions. I.e Christ les a éprouvées, mais elles ont été chez lui volontaires et exemptes de toute faute morale, noslrarum animarum infirmitates habuit Christus, veras quidem, sed volunlarias. C’est à la fois pour être notre modèle et notre consolation que le Christ a voulu se rendre ainsi semblable à nous.

L’ouvrage d’Eusèbe de Thessalonique contre le moine aphthartodocète André ne nous est pas parvenu, mais Photius en donne un bon résumé dans sa Bibliothèque, 162, P. G., t. ciii, col. 453-457. Le moine que réfute Eusèbe était un gaianite sui generis. C’est ainsi qu’il ne voulait entendre le mot « corruption. tfOopx, que du péché, qu’il enseignait que le monde était incorruptible et impérissable, qu’il prétendait qu’Adam avait reçu un corps incorruptible et impassible de sa nature et que l’argile dont Dieu l’avait formé était elle-même incorruptible. Ce moine n’admettait pas non plus la distinction entre les —âOr, ào’.âÇArjta et les —àOr ; iùSiiZlr^a. et déclarait, en conséquence, que Jésus-Christ avait pris un corps soustrait au changement, à la souffrance, à la corruption, au flux vital. C’était, à ce qu’il semble, un aphthartodocète, au sens vrai du mot. Dans sa réfutation, Eusèbe insistait sur les significations multiples du mot oCopâ et des composés y.aTaçôopâ et S’.açOopâ, sur le caractère surnaturel et gratuit des dons d’immortalité et d’impassibilité accordés à Adam innocent, et déclarait que le corps du Christ avait été passible et mortel jusqu’à la résurrection. Il empruntait des arguments aux deux Testaments et aux Pères : Athanase, les trois Grégoire, Jean Chrysostome, Cyrille d’Alexandrie, Proclus, Méthode le martyr et Quadratus, tous docteurs dont André avait travesti la pensée.

L’argument de tradition joua un grand rôle dans la controverse gaianite. C’est, semble-t-il, le souci de concilier entre elles les affirmations des saints Pères qui suggéra à Julien sa théorie de l’incorruptibilité originelle du corps du Christ. Ses disciples en appelèrent toujours à certains témoignages des anciens, et il y a lieu de se demander si ce fut toujours à contresens. Il est incontestable que la thèse défendue par Léonce de Byzance et saint Fulgence a pour elle la très grande majorité des docteurs antérieurs, mais il faut reconnaître que les julianistes étaient fondés à se réclamer de certains noms illustres et qu’ils trouvaient dans les Pères les plus orthodoxes des pass favorables à leur doctrine, au moins en apparence. Notre intention n’est pas de relever ici tous ces passages. Qu’il nous suffise de signaler ceux qui parlent d’une certaine déification de la chair du Christ, Bétosiç, donnée comme un résultat de l’union hypostatique. Saint Grégoire de Nysse en particulier a des expressions très fortes, qui paraissent même dépasser Julien et