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FUITE PENDANT LA PERSECUTION


permission de Dieu, en ce sens qu’il veut positivement le bien, et que, respectant la liberté humaine, il ne lui enlève pas la possibilité de faire le mal. Mais si Dieu permet le mal, ou mieux, ne l’empêche pas, pour en tirer un plus grand bien, il ne le réprouve pas moins pour cela. Or, malgré les avantages qui en résultent par l’effet de la sagesse divine, la persécution en elle-même n’en est pas moins un mal, puisqu’elle est une injustice et une impiété. C’est le vice cherchant à opprimer la vertu ; c’est l’idolâtrie s’insurgeant contre le culte qui n’est dû qu’à Dieu. Vouloir faire remonter jusqu’à Dieu cette iniquité, c’est vouloir faire de la source de tout bien la cause du mal. Si les raisons invoquées par Tertullien étaient vraies, on serait aussi coupable, durant les maladies, de recourir aux médecins et d’user des remèdes, que de fuir durant la persécution, car les maladies viennent de Dieu aussi, puisque rien n’arrive sans sa volonté. Cf. Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. XVII, De fîde théologien, disp. VII, De exlerna fidei confessione, dub. i,

2, n. 14, 20 in-8°, Paris, 1870-1883, t. xi, p. 355.

2. Son principe supposé, ’prouvé et reconnu, désormais, comme incontestable, Tertullien en déduit les conséquences pratiques. Maintenant que nous savons d’où vient la persécution, dit-il, il nous est chose facile de démontrer qu’on ne doit la fuir en aucune manière, et, le voudrait-on, on ne le peut : si enim a Deo evenit, uullo modo jugiendum erit quod a Deo evenit… quia neque debeal cvilari, neque evadi possit, c. iv, col. 106. Si Dieu veut la persécution, force vous est de la subir ; et s’il ne la veut pas, vous n’avez rien à craindre de la fureur des persécuteurs, c. ni, col. 106. Ceux donc qui fuient la persécution, d’abord, font une injure à Dieu, puisqu’ils considèrent comme un mal (car sans cela ils ne la fuiraient pas) cette persécution qui est un bien, attendu qu’elle vient de Dieu et que Dieu ne veut rien si ce n’est ce qui est bon ; et c’est un crime le repousser le bon, quia delictum sit quod bonum est, recusare ; ensuite, ceux qui fuient la persécution font un acte inutile et insensé, car on ne peut éviter ce que Dieu veut : jnm vero non. posse vilari, quia a Deo evenit, cujus volunlas non potest evadi. En résumé, fuir la persécution, c’est blasphémer la sagesse divine, ou se croire plus fort que Dieu : Igitur qui puions fugiendum, <ntl malum exprobrant Deo, si perseculiones uti malum fugiant : bonum enim nemo devllal ; mit forliores se Deo existimant qui putant se evadere posse, si Deus taie aliquid voluerit evenire, c. iv, col. 107. Un argument de ce genre, pour peu qu’il fût pressé, fournirait un excellent appui au fatalisme des musulmans. Cf. Mgr Freppeî, Tertullien, leçon xiv » , 2 in s*. Paris, 1864, t. i, p. 313 sq.

3. Il prévoyait bien qu’à sa conclusion trop absolue, on ne manquerait pas d’opposer les paroles de Xotre eur : Quand on VOUS persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Matth., x, 23. Aussi s’cfforce-t-il de démontrer que ces paroles ne concernaient que les apôtres, et encore uniquement pour le temps que devait durer la mission spéciale que le divin Maître leur confiait alors. Hoc in personas proprie apostoloimn et m (empora, et in causas enrum pertinere vi, col. 109. La raison Invoquée en faveur de cette proposition est, pour le moins, singui n effet, dit il. quand ils reçurent

tnmandement, n’étaient envoyés qu’aux brebis perdues de la maison d’I « raël. Défense même leur était faite d’entrei dans les villes drs Samaritains : In oiarn genlium ne abierills, ri in civiiates Samariianorum ne intraverltis ; ud poilus lie tut unes quæ uni domut Israël, Matth… 5-6 ; tandis que

nous, ajoutait ii, nous sommes envoyés dans le monde

entier ; aucune ville n’est excepté* : … et, quand QOUS

nés pris, ce n’est pas dans les s, | ls

Juifs qu’on nous flagelle ; mais c’est devant les tribunaux romains que nous sommes traînés. La fuite était commandée ad lempus, temporairement, aux apôtres, parce qu’il fallait prêcher, d’abord, aux brebis perdues d’Israël, et il était à craindre que l’emprisonnement de ces premiers messagers de la bonne nouvelle n’empêchât la dissémination de l’Evangile. Maintenant que cette œuvre primordiale et fondamentale est accomplie, le précepte de la fuite n’a plus de raison d’être. Comment ne pas voir aussi que ce précepte ne s’étendait pas au delà des frontières de la Judée, seul territoire vers lequel le divin Maître envoyait alors ses disciples ? Ne leur disait-il pas, en effet : Non consummabitis civiiates Israël ? Matth., x, 23. En même temps, il leur faisait une défense formelle d’aller vers les nations, in viam genlium ne abieritis ; mais après que les Juifs eurent repoussé la parole de Dieu qui leur était apportée, à eux, d’abord, saint Paul ne les a-t-il pas avertis que, puisqu’ils s’étaient rendus ainsi indignes de la vie éternelle, les apôtres se tourneraient, désormais, vers les nations païennes’?… quoniam repellitis illud, et indignas vos judicatis œlernæ vit se, eccc convertimur ad gentes. Act.. xiii, 46. Si ergo cessavit exceplio vise nalionum, poursuit Tertullien, cur non cessaveril et fugæ. prseceplum pariler emissum ? De fuga, c. vi, col. 109.

L’exemple de saint Paul fuyant de Damas, pardessus le mur d’enceinte, l’embarrassait bien un peu. Sous peine d’accuser et de condamner le grand apôtre, il est obligé d’avouer que le précepte, ou le conseil de la fuite durant la persécution existait encore. Mais comment Tertullien n’a-t-il pas remarqué qu’à ce moment les apôtres avaient déjà franchi les frontières de la Judée, évangélisé Samarie et porté la bonne nouvelle aux nations païennes ? Cf. Act., viii, 4 sq., 14 sq. ; ix, 31 ; x, 35 sq., 45 sq. : xi, 1, 18 sq. Puis, n’est-il pas manifeste que ce précepte ne concernait pas seulement la première mission des apôtres ? Au cours de celle-ci, eu effet, ils n’eurent aucune persécuta n à soulïrir, et furent bien reçus par les Juifs, a tel point que, loin d’être obligés de fuir, ils revinrent vers le Clirist pleins de joie. Luc, xi, 17. lai les envoyant vers la Judée, Jésus leur donnait des conseils et des ordres pour toute leur vie. Nous ne voyons pas, dans l’Écriture, qu’il leur en ait donné d’autres, même après sa résurrection.

1. Non moins curieux est le dilemme par lequel Tertullien, montanistc, termine son c. vi : ou ce princepte fut temporaire, ou les apôtres ont certainement péché, puisqu’ils n’ont pas continué à fuir. Or, il n’est pas croyable que tous les apôtres aient depuis constamment désobéi à leur Maître ; donc le précepte est seulement temporaire : mit si perseverare illud Dominas voluit, deliquerunt aposioli qui non usqut in finrm fiii/eir iiirupirunl. Le dilemme comporte une échappatoire. Il ressort de la conduite des apôtres que les paroles de Noire— Seigneur, au sujet tic la fuite durant la persécution, étaient moins un précepte

rigoureux qu’un conseil dont l’observance dépendait de multiples circonstances, comme nous l’exposerons

plus bas.

."). Tertullien achevé son argumentai ion en revenant à son erreur première, l.a persécution étant l’uuvrc directe de Dieu, comment llicu peut il ordonner de fuir celle persécution que lui même envoie ? c. vii,

col. 110. Le divin Maître veut que nous le confessions

devant les hommes, Matth., x. 31 ; comment h’confesserions-nous en fuyant ? il proclame bienheu reux ceux qui souffrent persécution a cause de lui. Matth., v, il. Donc, conclut Tertullien, malheur à ceux qui fuient la pei sécul ion.

Mais si ces raisons sonl vraies, elles le (ni'