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FRUITS DE LA MESSE


plusieurs personnes déterminées, c’est l’application de la messe.

Sa légitimité et son efficacité se basent sur ce principe rationnel que le prêtre, ministre du sacrifice eucharistique, peut avoir, en l’offrant, telle intention qu’il lui plaît, pourvu que soient sauvegardées les intentions supérieures voulues par Dieu et par l’Église ; elles se basent encore sur le pouvoir formellement accordé au prêtre, au jour de son ordination, de dire la messe « tant pour les vivants que pour les morts ; » elles se basent surtout sur la volonté de Jésus-Christ, authentiquement interprétée par la pratique de l’Église. Pourquoi, en effet, celle-ci permettrait-elle la coutume depuis longtemps générale chez les prêtres de dire la messe à une intention déterminée, si cette intention ne correspondait à aucune réalité ? Pourquoi leur permettrait-elle, pour cette application, de recevoir des honoraires ? Pourquoi, loin de les supprimer comme un abus, s’occuperait-elle avec tant de soin de les réglementer, si elle n’était sûre que l’application de la messe possède une véritable efficacité ? Pourquoi surtout imposerait-elle à certains jours cette application, comme elle le fait aux pasteurs d’âmes ? Si l’application faite par le prêtre qui célèbre n’avait pour effet d’attirer des grâces spéciales sur telle personne, d’offrir à Dieu une satisfaction en faveur de telle âme du purgatoire, cette pratique autorisée par l’Église ne serait qu’une duperie.

C’est ce que prétendirent les prêtres réunis au synode de Pistoie. Désireux de réformer l’Église d’après leurs principes joséphistes et jansénistes, voulant la ramener à ce qu’ils considéraient comme la simplicité des temps apostoliques, ils virent un abus dans la pratique des honoraires de messes, et, pour supprimer l’abus, ils attaquèrent ce qui en est le fondement, à savoir, la doctrine de l’application de la messe. Ils enseignèrent « que le prêtre ne peut appliquer les mérites du sacrifice à qui il veut ; » que c’est là « une offense aux droits de Dieu qui seul peut distribuer à qui il veut les fruits du sacrifice et selon la mesure qu’il lui plaît ; » que, par conséquent, les fidèles sont dans l’erreur, qui croient « qu’en donnant un honoraire au prêtre pour qu’il célèbre une messe, ils reçoivent de cette messe un fruit spécial. » Ce fut pour l’Église l’occasion d’affirmer sa croyance en justifiant sa conduite. Pie VI, par la bulle Auctorem fldei du 28 août 1794, prop. 30, condamna l’erreur du synode comme fausse, téméraire, pernicieuse, injurieuse à l’Église, conduisant à une erreur déjà condamnée dans "Wiclef. Denzinger-Bannwart, n. 1530. Cf. erreurs de Wiclef condamnées au concile de Constance, prop. 19 et 25, Denzinger-Bannwart, n. 599, 605. D’après la bulle, la messe « est plus utile à ceux à qui on l’applique, toutes choses égales d’ailleurs, qu’à tout autre ; un fruit spécial leur est attribué par suite de l’application spéciale. »

Il convient évidemment de tenir compte des éléments moraux qui, nous l’avons dit, peuvent contrarier l’efficacité de la messe ; la quantité des grâces accordées et surtout leur résultat dépendent des dispositions de ceux qui les reçoivent. Il faut tenir compte plus encore de la volonté de Dieu qui, après tout, reste le maître de ses dons, malgré la puissance toute particulière de supplication que possède le saint sacrifice. La mesure des grâces ou des satisfactions que produit une messe pour ceux à qui on l’applique demeure donc enveloppée de mystère. Mais une chose est certaine, parce qu’elle est affirmée par l’Église, c’est que ipsa oblatio seu applicatio sacrifteii quæ fit a sacerdole magis prodesl, céleris paribus, Mis pro quibus applicatur, quant aliis quibusqué. Bulle Auctorem fldei, loc. cit.

Telle est l’efficacité de l’application de la messe ;

elle dirige vers une ou plusieurs personne » déterminées, vivantes ou défuntes, un fruit spécial OU ministériel, peu importe le nom sous lequel on le désigne, c’est-à-dire cette portion des fruits de la messe qui reste à la libre disposition du prêtre. Cela seul est admis par l’Église. Le prêtre ne peut donc détourner de leur véritable destination les fruits que nous avons appelés général ou spécial, ceux qui de chaque messe se répandent sur chacun des fidèles et spécialement sur les assistants et les coopérants ; leur application se fait d’elle-même par la volonté de l’Église, supérieure à celle du célébrant. Peut-il se priver de son fruit personnel pour le donner à d’autres ? La question, bien que très communément résolue dans le sens négatif, reste spéculativement douteuse. L’Église défend seulement au prêtre de percevoir un honoraire pour cette attribution dont la valeur est incertaine ; la proposition 8 condamnée par Alexandre VII, le 24 septembre 1665, était ainsi conçue : Duplicalum slipendium potest sacerdos pro eadem missa licite accipere, applicando petenti parlem etiam specialissimam fruclus ipsimet celebranti correspondenlem. Denzinger-Bannwart, n. 1108. Voir t. i, col. 734 sq.

2° A qui peut être appliquée la messe ? — Le principe est posé très clairement par Noldin, n. 175, p. 202 : « En général, on doit dire que le sacrifice de la messe peut être offert pour tous ceux qui sont capables d’en recevoir quelque fruit, à moins qu’il n’y ait une défense de l’Église. » Et après avoir indiqué quels sont ceux qui ne peuvent profiter de la messe, à savoir, les saints dans le ciel, les damnés dans l’enfer et les enfants morts sans baptême, le même auteur ajoute qu’en dehors de ces exceptions, tous, vivants ou défunts, peuvent recevoir les fruits du saint sacrifice ; « donc pour tous, même pour les pécheurs, les enfants, les possédés, les hérétiques, les infidèles, on peut offrir et appliquer la messe, à moins d’une prohibition particulière de l’Église. »

Que tous, à part les exceptions indiquées, puissent profiter des fruits de la messe, il suffit, pour nous en convaincre, de nous rappeler ce que sont ces fruits. Aux âmes du purgatoire, la messe fournira une satisfaction pour leurs peines, donc un soulagement ou la délivrance ; aux âmes des justes de la terre, elle sera encore une satisfaction pour leurs dettes et en même temps une source de grâces pour leur persévérance et leur perfectionnement ; et aux âmes des pécheurs, chrétiens ou non, si la messe ne peut avoir pour elles d’effet satisfactoire, elle obtiendra de Dieu des grâces de conversion et de pardon.

Il est évident d’autre part que la messe ne peut plus être d’aucune utilité aux âmes dont le sort est définitivement fixé pour l’éternité, aux élus, aux damnés, ou aux enfants morts sans baptême. Les fruits d’une messe dite pour elles, en l’absence d’une intention secondaire formulée par le célébrant, ne pourraient que tomber dans le trésor de l’Église.

11 faut donc étudier si, par des prohibitions positives, l’Église n’a pas défendu d’appliquer la messe à des âmes auxquelles, par elle-même, la messe pourrait être utile. Les textes dont nous nous servirons sont intégralement cités dans l’Ami du clergé, 5 novembre 1908, p. 1033 sq. ; les principaux sont utilisés par la plupart des moralistes.

1. Messes appliquées aux vivants.

L’Église permet d’appliquer la messe aux intentions des infidèles vivants, « pourvu qu’il n’y ait pas de scandale, que l’on n’ajoute rien de spécial à la messe et que certainement l’intention de l’infidèle qui donne l’honoraire ne contienne ni mal, ni erreur, ni superstition. » S. C. Concilii, 12 juillet 1865, dans Colleclanea S. C. de Propagunda flde, n. 888, Borne, 1893, p. 32’» :