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FRÈRES PllKCIIEURS (LA THEOLOGIE DANS L’ORDRE DES)

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G. Le xiv siècle vit naître les premières disputes sur la conception immaculée de la sainte Vierge. Cette doctrine, mise explicitement au jour, au commencement du xiie siècle, par le bénédictin anglais Eadmer de Cantorbéry dans son Tractatus de conceptione scindée Mariée, édit. Thurston-Slater, Fribourg-en-Brisgau, 1904, resta à peu près étrangère aux théologiens du xme et du xive siècle. Et cependant le petit traité d’Eadmer est un des meilleurs qui ait été élaborés au moyen âge sur celle question. Au début de sa carrière théologique (1253-1254), Thomas d’Aquin affirma très explicitement que lalis fuit puritas bealæ Virginis, quæ a peccato originali et acluali immunis fuit. In IV Sent., 1. I, dist. XLIV, q. i, a. 3, ad 3um. Mais il s’aperçut vite, semble-t-il, au cours même de ce premier ouvrage, qu’une pareille affirmation, ainsi que diverses opinions qui se faisaient jour, aboutissaient à soustraire la sainte Vierge à la rédemption du Christ. C’est pourquoi tout son effort doctrinal tendit à sauvegarder les droits de Jésus-Christ sur la personne de sa mère dans l’œuvre du rachat de l’humanité. A cette fin, il posa toujours la question sous cette forme : la Vierge Marie n’a pas été sanctifiée avant son animation, afin que le corps de la Vierge, conçu dans les conditions ordinaires, représentât la cause instrumentale qui aurait produit le péché dans l’âme lors de l’animation. Toute l’argumentation de saint Thomas va à exiger ce que nous appelons, et ce qu’il appelle lui-même, le debilum culpse, et par là la nécessité de la rédemption pour la sainte Vierge. Quant à la question de savoir à quel moment exact la Vierge avait été sanctifiée dès le sein de sa mère, il l’écarta très consciemment. Il affirma que la sanctification avait suivi rapidement l’animation, mais déclara qu’on en ignorait le moment. C’est pour cela qu’il ne posa jamais la question de savoir si la Vierge Marie avait été sanctifiée au moment même de son animation. Plusieurs de ses prédécesseurs et contemporains, comme saint Bonaventure, avaient expressément posé le problème et l’avaient résolu par la négative. Saint Thomas, voulant laisser la question ouverte et ne pas prendre position, évita d’aborder le point critique pour n’avoir pas à donner une solution positive ou négative. Il lui eût été aisé, s’il l’eût voulu, de distinguer dans l’acte de la sanctification de l’âme de Marie, au moment de l’infusion, entre la priorité de nature et la priorité de temps, conformément à une distinction qui lui était familière et qu’il avait employée pour la sanctification des anges et du premier homme. Il crut devoir s’abstenir. S’il eût suivi son inclination personnelle, il eût sans doute conclu à l’affirmative, comme en témoigne sa pre mière déclaration dans le 1. I sur les Sentences. Mais le sens théologique supérieur de Thomas d’Aquin ne lui permettait pas d’aller plus loin en présence du silence de la tradition, de la position négative d’un grand nombre de théologiens, et en particulier de l’attitude réservée de l’Église romaine qui ne célébrait pas la fête de la Conception. Saint Thomas s’abstint de jeter le poids de son suffrage dans un sens ou dans l’autre. Sa pensée était celle même exprimée longtemps après par Grégoire XV, dans ses lettres du 4 juillet 1622 : Spirilus Sanctus nondum ianli mysterii arcanum Ecclesiæ suée patefecit. On eut donc tort, à mon avis, de vouloir tirer saint Thomas à soi dans les camps opposés, puisqu’il s’était volontairement abstenu. N. del Prado, Sanlo Tomas y la Immaculada, Vergara, 1909 ; Fr. Morgott, La doctrine sur la Vierge Marie ou Marialogie de saint Thomas d’Aquin, Paris. 1881, p. 139 sq.

L’école thomiste suivit dans son ensemble la direction négative. Mais on juge souvent très mal de sa position, parce que, employant la terminologie même de saint Thomas, elle appelle péché originel dans la

sainte Vierge le debilum culpæ, er vertu duquel Marie appartient à l’ordre de la rédemption, ce qui est la doctrine même catholique, exposée dans la définition du dogme de l’immaculée conception. En tant que 1rs théologiens thomistes ont nié la sanctification de Marie dans le premier instant de sa conception personnelle, ils ne pouvaient se réclamer de saint Thomas ; mais ils se sont réclamés du silence de la tradition ecclésiastique primitive, et de sa position assez ii tive, depuis que ce problème avait été explicitement soulevé, et c’est leur sens théologique de la tradition qui leur a fait prendre semblable position ; ils protestèrent toujours d’ailleurs qu’il appartenait à l’Église romaine de déterminer cette question. Au reste, la violence des polémiques qui éclatèrent à propos de ces matières, entre les thomistes d’une part, et les nominalistes et les scotistes de l’autre, dut son acuité beaucoup plus aux oppositions de tempérament et d’intérêts des combattants qu’à l’objet même de la dispute. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que les divers adversaires de l’école thomiste, qui avaient eu à subir des défaites doctrinales multiples, portèrent de préférence leur effort sur ce terrain polémique, où ils pouvaient plus aisément irriter l’opinion publique en donnant à l’attitude des thomistes une apparence odieuse à l’égard de la Vierge Marie.

Le premier éclat se produisit en 1387, à l’université de Paris, à l’occasion de la maîtrise en théologie du dominicain aragonais Jean de Montson. La faculté de théologie, dévoyée dans le nominalisme et le gallicanisme, n’attendait qu’une occasion d’entrer en conflit contre l’école thomiste, boulevard d’une saine doctrine théologique et des droits pontificaux. Elle fit condamner quatorze propositions de Jean de Montson. Celui-ci, et l’ordre après lui, en appelèrent à la curie romaine d’Avignon. Clément VII évoqua l’affaire à son tribunal, le 12 juillet 1391. L’état de trouble où se trouvait alors l’Église, à raison du schisme, fit lai la cause en suspens. Les dominicains restèrent hors de l’université jusqu’en 1403. Ils y furent réintégrés à condition de ne pas enseigner les propositions condamnées. De là le fait qu’un certain nombre de prêcheurs parisiens se trouvent parmi les défenseurs de l’immaculée conception. Chart. univ. paris., t. iii, p. 486 ; t. iv, p. 56. Le concile de Bâle aborda aussi cette question, et chargea Jean de Torquemada (Turre ( remata ) de faire un rapport aux Pères sur ce sujet. Le Tractatus de veritate conceptionis beedissimee Virginis fut présenté au mois de juillet 1437 (Rome, 1517 : Oxford et Londres, 1869). C’est un des plus beaux travaux d’érudition du xve siècle. Au temps du V" concile de Latran, Léon X demanda un mémoire la même question au maître général de l’ordre, Thomas cle Vio Cajétan, qui répondit par un court traité daté de Rome, 1515, conçu avec une grande précision théologique et exécuté avec beaucoup de tact et de modération. Opuscula, Venise, 1531.

7. Le xive et le xve siècle furent témoins des luttes contre les droits de la papauté et de la constitution cle l’Église. Les prétentions du pouvoir civil, la connivence des clergés nationaux et l’action néfaste de l’université cle Paris et des théologiens nominalistes, jetèrent l’Église romaine dans la situation la plus fâcheuse. Ce furent les doctrines de Thomas d’Aquin qui servirent d’arsenal aux défenseurs des droits de la papauté, et au premier plan se trouva l’ordre des prêcheurs. Ses théologiens défendirent par la plume les droits pontificaux dans de nombreux ouvrages dont quelques-uns sont des plus remarquables.

Au temps de Philippe le Bel, Jean de Paris, subissant plus que de raison l’influence du milieu français, écrivit son Tractatus de potestate regia et papali, qui semble avoir inspiré Dante dans sa Monarchia.. Il est.