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FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES)


de Ferdinand et d’Isabelle, nous a laissé deux ouvrages polémiques en faveur de saint Thomas dont le plus important porte en titre : Novarum defensiomun doctrines angelici docloris bcati Thomaz de Aquino super quatuor libris Sententiarum quæsliones profundissimse et ulilissimse, 4 in-fol., Séville, 1517. La littérature des Defensoria peut revendiquer sa part de succès dans le triomphe du thomisme. Ce travail incessant des doctrines de Thomas d’Aquin avec celles de ses adversaires était éminemment propre à montrer la valeur respective des théories mises en présence. Les Defensoria représentent la part combative et conquérante du thomisme. Ils sont une littérature d’avant-garde qui témoigne de la vitalité de l’école et de la conviction du succès dont étaient animés ses adeptes.

5. L’école thomiste ne s’employa pas seulement à repousser les attaques dirigées contre la doctrine de son chef ; elle entreprit encore une suite de travaux destinés, soit à montrer l’unité de doctrine de saint Thomas sur les points où la pensée du maître avait subi quelques variations, soit à faciliter la consultation de ses œuvres. De ces préoccupations naquirent les concordances et les tables.

Une main inconnue, mais probablement celle d’un adversaire, rédigea, peut-être avant la fin du xiiie siècle, une suite de 32 conclusions, où il confronte divers points de doctrine du commentaire sur les Sentences avec les points similaires de la Somme théologique, pour en faire ressortir les dissemblances. Le problème de la concordance des doctrines de saint Thomas était posé. Un thomiste zélé, très probablement le frère prêcheur Benoît d’Assignano, dit aussi de Côme, ville dont il devint évêque (— ; — 1339), composa vers 1310-1312, à Paris, une concordance de cent articles, pris dans le commentaire des Sentences, avec la doctrine correspondante des autres écrits. Cet important travail est resté à l’état manuscrit. Un dominicain anglais, Thomas de Sutton, composa, vers la fin du xiii c siècle, une concordance de trente articles, dans laquelle saint Thomas lui-même semble se donner comme l’auteur du traité, conçu à la manière des Rétractations de saint Augustin. Cette composition est depuis longtemps éditée parmi les œuvres complètes de saint Thomas.

La littérature des concordances et, plus encore, la fréquentation quotidienne des œuvres de saint Thomas firent sentir le besoin de tables générales de ses écrits. L’œuvre du maître était trop étendue pour qu’il fût aisé de trouver immédiatement les passages où chaque point de doctrine était exposé, surtout avec le régime si incommode des manuscrits. La première table, ou index des matières des écrits de saint Thomas, fut entreprise par un religieux parisien, Hervé de La Queue. La composition de ce travail tombe, semble-t-il, entre 1350 et 1360. On en trouve d’assez nombreux manuscrits, mais il n’a jamais été imprimé. Au xve siècle, un nouvel essai de tables fut entrepris par un prêcheur lombard, Pierre de Bergame, professeur de théologie à Bologne (y 1482). Ces tables sont beaucoup plus développées que les précédentes. Elles furent éditées par l’auteur lui-même en 1475 à Bologne. Le travail de Pierre de Bergame est divisé en deux parties. La première est un index des matières sous ce titre : Index universalis in omnia opéra D. Thomse de Aquino ; la seconde est une concordance : Concordanliæ locorum docloris angelici, qux sibi invicem adversari videntur. Le fait que Pierre de Bergame a cru devoir constituer une partie spéciale pour établir la concordance des doctrines de saint Thomas témoigne que ce problème, dont les origines remontaient au xiiie siècle, n’avait pas perdu son actualité deux siècles plus tard. Les tables de Pierre de Bergame ont été souvent rééditées ; mais elles

ont subi des remaniements successifs, qui ont eu pour résultat de fondre ensemble les deux parties primitives et d’en développer beaucoup le contenu. P. Mandonnet, Premiers travaux de polémique thomiste, dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. vu (1<J13), P— 46 sq. ; F. Ehrle, Der Kampf und die Lchrc dis heiligen Thomas von Aquin in dem erslen fûnzigjahren nach seinem Tod, dans Zeilschrifl fur katholische Théologie, avril 1913, p. 266-318(1" article).

Polémiques spéciales.

Un certain nombre de

points doctrinaux ont spécialement émergé du domaine de la philosophie et de la théologie pendant la fin du moyen âge ; et l’école thomiste, qui était au premier plan, s’y est trouvée particulièrement engagée.

1. Saint Thomas d’Aquin avait formulé, avec une grande précision, la théorie de l’unité de la personne humaine en faisant de l’âme intellectuelle la forme unique du composé humain. Il avait été en butte, d’une part, à l’averroïsme parisien, partisan de l’unicité de l’intelligence dans l’espèce humaine, et de l’autre, au pluralisme augustinien des formes. Une première tentative de condamnation avait menacé l’hylémorphisme thomiste à Paris, en 1270 ; et l’archevêque de Cantorbéry, nous l’avons vii, l’avait prohibé en 1277. L’école thomiste défendit énergiquement ses positions. Les Correcloria, dont nous avons parlé, lui accordent une place importante, et de nombreux traités furent consacrés à ce problème. Avant le concile de Vienne (1311) où fut portée cette question, la Tabula scriptorum ordinis prædicalorum, close cette même année, nomme comme auteurs de traités sur cette matière, en dehors d’Albert le Grand et saint Thomas, Pierre de Tarentaise, Gilles de Lessines, Hugues de Billom, Guillaume de Hotham, Guillaume de Mackelfîeld, Thomas de Sutton, Jean de Fænza et Pierre de Pistoie. Vers ce même temps Hervé le Breton écrivit un important traité sur la même matière. La question fut portée au concile général de Vienne, qui définit la doctrine thomiste sur la nature du composé humaine, déclarant hérétique quiconque soutiendrait quod anima ralionalis seu intellecliva non est forma corporis humani per se et essentialiler. Cette doctrine fut confirmée par le Ve concile de Latran (1515), et par Pie IX dans sa lettre à l’archevêque de Cologne (15 juin 1857). Voir Forme du corps humain. On peut voir par la décision du concile de Vienne avec quelle rapidité s’opérait l’hégémonie doctrinale de Thomas d’Aquin, puisque le point le plus combattu peut-être de sa doctrine s’imposait en peu de temps aux définitions du concile général. Denifle, Archiv fur Lit.— und Kirchengeschichle, t. n. p. 226 ; T. M. Zigliara, De mente concilii Viennensis, Rome, 1878, p. 88-89 ; F. Ehrle, Zur Yorgeschichte des Concils von Vienne, dans Archiv, t. ii, p. 353.

2. La question de la nature de la pauvreté religieuse et de la pratique tenue par Jésus-Christ et les apôtres à l’égard des possessions priï/de graves proportions entre les prêcheurs et les mineurs. Saint Thomas avait formulé explicitement sa doctrine dans la Somme théologique, très vraisemblablement sous l’inspiration de l’Église romaine. Il tenait que la pauvreté n’est pas une fin, mais un moyen, et que la perfection de sa pratique dans les ordres^religieux consiste dans son adaptation au but poursuivi par la société ; en outre, quoique menant une vie pauvre, le Christ et les apôtres avaient possédé. Les polémiques furent violentes du côté des mineurs. Parmi les prêcheurs qui écrivirent sur ces matières, signalons Robert de Kilwardby, Jacques de Voragine, Pierre de la Palud, Jean de Naples, Robert de Bologne. Benoît de Côme, Hervé le Breton. Les auteurs_des Correcloria