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FRÈRES PRÊCHEURS (LA THEOLOGIE DANS L’ORDRE DES :


biographie de saint Thomas et s’en vint avec Robert de Naples, à Avignon, où se trouvait la curie romaine, muni de pétitions de Marie, reine de Naples, des principaux membres de la noblesse du royaume et de l’université de Naples. Les deux délégués étaient à Avignon au mois d’août. Jean XNII, accédant à leur demande, nomma le 13 septembre l’archevêque de Naples et l’évêque ae Viterbe pour l’instruction du procès de canonisation, qui commença à Naples, le 21 juillet 1319. Les actes du procès furent portés à Avignon par les notaires, suivis par Guillaume de Tocco qui avait complété sa légende. Une nouvelle enquête eut lieu à l’abbaye de Fossanova au mois de décembre 1321. Après l’examen du procès, Jean XXII mit Thomas au rang des saints par ses lettres du 18 juillet 1323. Dans le palais pontifical de nombreux orateurs se firent entendre dans la cérémonie du 14 juillet. Le pape et Robert, roi de Naples, furent parmi les nombreux orateurs ; et les cérémonies du 18 juillet, présidées par Jean XXII, entouré du collège des cardinaux et des prélats du roi et de la reine de Naples et d’une nombreuse assistance, se déroulèrent pompeusement sous les voûtes de Notre-Dame d’Avignon ; et la ville entière célébra la fête comme au jour de Noël. Paris, Bibl. nat. lat. 3112 et 3113 ; Acia sanctorum, t. i martii, p. 655 sq. ; Bullar. ord. præd., Rome, t. n (1730), p. 159.

Saint Thomas d’Aquin était mort le 7 mars 1274 à l’abbaye cistercienne de Fossanova. Malgré son ardent désir, l’ordre des prêcheurs n’avait pu entrer en possession des restes de son illustre docteur. Les reliques, objet de multiples convoitises, avaient subi diverses vicissitudes. Le corps se trouvait aux mains du comte de Fondi, patron de l’abbaye de Fossanova, et la tête était conservée à Piperno, quand le maître général des prêcheurs, Hélie Raymond, en prit possession, en 1368. De par la volonté d’Urbain IV, les reliques furent transportées à Toulouse, où elles arrivèrent le 28 janvier 1369. Elles furent déposées au couvent des prêcheurs en grande pompe, au milieu d’un concours de peuple immense. Le chapitre général de Valence, en 1370, fit appel à l’ordre pour obtenir les ressources nécessaires pour élever au docteur angélique un somptueux sépulcre. Douais, Les reliques de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1903 ; Acia cap. gen., t. ii, p. 421.

IX. polémiques thomistes.

L’opposition que

les doctrines de Thomas d’Aquin avaient rencontrée au sein de l’ordre des prêcheurs étaient bien peu de chose auprès de celles qui devaient lui venir du dehors. L’action philosophique et théologique de Thomas d’Aquin avait jeté le désarroi parmi ses contemporains. Le phare qui s’était dressé sur le monde chrétien fut pour plusieurs une pierre d’achoppement et un signe de contradiction. Des maîtres dont la formation intellectuelle était close ; des esprits qui croient que tout est déjà achevé avec le passé ; des hommes chez lesquels l’esprit de corps et de parti est plus puissant que le goût de la recherche désintéressée et l’amour de la vérité ; tous ceux en un mot qui, pour une cause ou une autre, étaient impropres à s’assimiler une doctrine dont l’étendue et la profondeur dépassaient l’aune vulgaire des intelligences, tous ceux-là organisèrent la résistance ; les uns passivement, en continuant à se mouvoir dans des ornières faciles parce que longtemps creusées ; d’autres en mêlant des concessions aux réserves et aux réticences ; d’autres, enfin, en tentant de donner directement l’assaut à la forteresse thomiste. Mais, nous l’avons vii, dans son ensemble, l’ordre des prêcheurs, qui représentait la plus grande puissance intellectuelle du temps, était acquis, ou achevait de l’être, aux doctrines de son illustre maître. Pleinement conscients de la valeur de l’héri tage que la providence leur avait transmis, les prêcheurs allaient le propager avec un zèle inlassable et le défendre avec une tenace résolution contre les adversaires qu’ils rencontreraient sur leur route.

Les luttes que les prêcheurs soutinrent pendant la fin du moyen âge, pour défendre leur école, eurent pour but, les unes, de faire face aux agressions d’ensemble de l’augustinisme, les autres, de prendre position sur des questions spéciales qui furent soulevées à raison de diverses circonstances historiques.

Polémiques générales.

1. La première agression

suivit de près la mort de Thomas d’Aquin. Le 7 mars 1277, l’évêque de Paris, Etienne Tempier, condamna deux cent dix-neuf propositions visant, pour la plupart, l’averroïsme parisien, mais dont quelques-unes paraissaient toucher l’enseignement de Thomas d’Aquin. Le 18 mars, l’archevêque de Cantorbéry, Robert de Kilwardby, O. P., solidarisé avec l’évêque de Paris, condamnait à son tour diverses propositions dont quelques-unes relatives à la théorie de l’unité des formes substantielles. L’ordre n’entra pas directement en polémique avec l’évêque de Paris. Il tint pour non avenue la démarche d’Etienne Tempier en tant qu’elle pouvait atteindre son enseignement. Ce ne fut que pendant l’année scolaire 1316-1317 que Jean de Naples agita à Paris dans ses disputes quodlibétiques cette question : Ulrum licite possil doceri Parisius doctrina fralris Thomse quoad omnes conclusisones ejus. L’auteur détacha ensuite la question de ses disputes quodlibétiques et la fit précéder d’un prologue pour en constituer un traité spécial (Paris, Bibl. nat. lat. 14549, fol. 130). Mais un des successeurs même d’Etienne Tempier, Etienne de Bourret, allait se charger lui-même d’achever de rendre caduque la condamnation de 1277 en la rapportant dans le cas où elle aurait touché Thomas d’Aquin, par ses lettres du 14 février 1325, dans lesquelles il insère l’éloge le plus flatteur des doctrines du nouveau saint. L’ordre fut moins passif à l’égard de la démarche de l’archevêque de Cantorbéry. La raison en était que Robert de Kilwardby était un de ses membres et qu’il s’en était pris à une doctrine déterminée, fondamentale dans la philosophie thomiste. Un prélat dominicain, Pierre de Con flans, archevêque de Corinthe, qui résidait à la curie romaine, fit des remontrances à son confrère anglais, qui lui adressa un mémoire justificatif, mais ne dut pas le convaincre. Un religieux du couvent de Paris, Gilles de Lessines, écrivit quillet 1278) un traité pour défendre la théorie de saint Thomas contre les cantorbériens. Siger de Brabant, t. i, p. 231 ; M. De Wulf, Le traité De unilale formas de Gilles de Lessines, Louvain, 1901.

2. La réaction augustinienne contre le thomisme se cantonna spécialement chez les frères mineurs. Venant d’une grande collectivité, elle devait avoir plus de force et de ténacité que chez des docteurs isolés. Mais la faiblesse de la réaction augustinienne tenait des défauts mêmes de l’augustinisme que nous avons précédemment signalés. A cette infériorité congénitale s’ajoutait l’impuissance des maîtres augustinisants à s’entendre entre eux sur une multitude de problèmes. Leur unité n’avait d’autre fondement que leur commune opposition à l’école thomiste.

L’opposition franciscaine, qui datait du vivant de-Thomas d’Aquin, se manifesta la première. Vers 1280, un frère mineur anglais, Guillaume de la Mare, probablement professeur à Oxford, écrivit une suite de 117 annotations relatives à divers points de doctrine, pris dans les œuvres principales de Thomas d’Aquin et qu’il improuvait très vivement. Le chapitre général des mineurs, tenu à Strasbourg, en 1282, ordonna qu’on ne laissât, dans l’ordre, la Somme théologique de Thomas d’Aquin qu’aux mains des lecteurs les.