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FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES)


comme celle des prêcheurs, ne pouvait manquer de renfermer quelques dissidents, comme il s’en rencontra toujours d’ailleurs au cours de son histoire. La condamnation, faite à Oxford le 18 mars 1277, de la théorie de l’unité des formes, par l’archevêque dominicain de Cantorhéry, Robert de Kilwardby, un augustinien de grande marque, provoqua la première intervention de l’autorité officielle de l’ordre. La province d’Angleterre, dont Kilwardby avait été longtemps le plus illustre maître et le provincial, était par la force des choses plus augustinienne de doctrine que les autres provinces de l’ordre ; et quelques maîtres avaient dû, sinon seconder l’archevêque, du moins souscrire à sa condamnation. Le chapitre général de Milan, en 1278, délégua en toute hâte, en Angleterre, deux religieux de la province de Provence, Raymond de Mévouillon et Jean Vigouroux, avec pouvoir de châtier ceux qui auraient mal parlé des écrits du vénérable père frère Thomas d’Aquin, jusqu’à les priver de leurs charges et même les exiler de leur province, s’ils étaient reconnus coupables. L’affaire était sans doute moins grave qu’on ne l’avait cru, car le chapitre de l’année suivante n’y revient pas et quelques années plus tard nous trouverons les dominicains anglais parmi les défenseurs les plus résolus des doctrines de saint Thomas. Acla cap. gen., t. i, p. 199 ; Siger de Brabant, t. i, p. 233 ; C. Douais, Essai sur V organisation des éludes, p. 91.

Jusqu’au milieu du xive siècle, les chapitres ont l’occasion de renouveler, une fois ou l’autre, leurs menaces contre ceux qui s’attaqueraient aux doctrines de Thomas d’Aquin, et ces interventions de l’autorité correspondent sans doute à quelques-unes des manifestations antithomistes qui nous sont connues. Acla capil. gêner., t. i, p. 199, 204 ; t. ii, p. 64, 81, 191, 297, 303, 308, 313, 340, 350.

La correction de 1278 semble avoir suffi à mettre au pas la province d’Angleterre, ainsi que nous l’avons dit. Il est assez douteux qu’au xive siècle Robert Holcot († 1349) ait été un dissident, bien qu’on l’ait signalé comme tel. Scripl. ord. prsed., t. i, p. 629 ; Charl. univ. paris., t. ii, p. 592. —. Il en fut autrement de la province de Teutonie, où un augustinien, teinté de néoplatonisme, a trouvé des adhérents sans former toutefois une école au sens strict du mot. L’influence d’Albert le Grand n’est peut-être pas étrangère à une partie de ces tendances. Ulrich Engelbert de Strasbourg (y 1277), dans son importante Somme De summo bono, restée manuscrite, est encore dans la direction augustinienne de la première tradition dominicaine avec des influences arabonéoplatoniciennes. Scrip. ord. prsed., t. i, p. 356 ; M. Grabmann, Studien iiber Ulrich von Slrassburg. Bilder wissenschaftlichen Lebens und Slrebens aus der Scinde Alberls des Grossen, dans Zeilschrifl fur kalhol. Théologie, t. xxix (1905), p. 82-107. Le célèbre maître Jean Eckhart de Hochheim († 1327), le théoricien et l’inspirateur de la mystique allemande, au xive siècle, incline fortement vers quelques doctrines néoplatoniciennes. Voir t. iv, col. 2054 ; H. Denifle, Meislcr Eckeharls lateinische Schriflen und die Grundauschauung seiner Lelirc, dans Archiv fur LU. und Kirchengeschichle, t. n (1886), p. 417, 672. Thierry de Freiberg (f vers 1315), dont l’activité littéraire s’est particulièrement étendue aux sciences naturelles, est un augustinisant fortement influencé par Avicenne. Il n’hésite pas à combattre directement saint Thomas sur des points essentiels de sa philosophie. E. Krebs, Meisler Dietrich (Theodoricus Teutonicus de Vriberg). Sein Leben, seine Werke, seine Wissenschafl, Munster, 1906, dans Beilrdge zurGeschichte der Philosophie des Mittelallers, t. v, p. 5-6 ; du même. Le traité « De esse et essentia » de Thierry de Friberg,

dans la Revue néo-scolaslique, t. xviii (1911). p. 516. C’est sans doute sous les mêmes influences qu’un disciple de Thierry de Friberg, Berthold de Mosburch, écrivit un commentaire de V Elementalio llwologica de Proclus. M. Grabmann, dans Philosophisches Jahrbuch, t. xxiii (1910), p. 53-54 ; Cl. Bàumker, Der Anle il der Elsass an den geisligen Bewebungen des Mittelallers, Strasbourg, 1912.

La province de France donna, dans la personne de Durand de Saint-Pourçain, un des adversaires les plus acharnés de saint Thomas. Son commentaire sur les Sentences, souvent réédité, est un véritable manifeste et l’auteur a été considéré comme un des fondateurs du nominalisme. Voir t. iv, col. 1964 ; Scripl. ord. prsed., t. i, p. 586 ; C. Urbain, De concursu divino scholasiici quid senscrint, Paris, 1894. Ce qui peut paraître plus étonnant, c’est que l’Italie elle-même produisit quelques adversaires des doctrines thomistes. C’est ainsi que le chapitre provincial d’Arezzo, en 1315, punit Ubertus Guidi, bachelier de Sainte-Marie-Nouvellc, à Florence, pour avoir attaqué les doctrines de frère Thomas d’Aquin dans ses disputes et ses leçons. Clutrt. univ. paris., t. ii, p. 174. Le chapitre général du Puy, en 1344, intervient contre Thomas de Naples, qui a dirigé son enseignement contre saint Thomas. On n’est pas peu surpris d’une semblable attitude chez un religieux qui, non seulement était le compatriote de Thomas d’Aquin, mais encore occupait la chaire même que le grand docteur avait illustrée par ses dernières années d’enseignement. Acla cap. gêner., t. ii, p. 303 ; Charl. univ. paris., t. ii, p. 614.

L’autorité officielle de l’ordre des frères prêcheins ne devait pas limiter son action à la répression des adversaires que la doctrine de Thomas d’Aquin pouvait trouver chez quelques-uns de ses subordonnés. Elle fit hautement l’éloge de l’enseignementduplusillustredes docteurs del’ordre et ordonna énergiquement dele promouvoir. Ce fut le chapitre général de Paris, tenu en 1286, qui débuta dans cette voie. Son initiative fut indubitablement provoquée par la condamnation que Jean Peckham, un frère mineur, ancien adversaire de saint Thomas à Paris, devenu archevêque de Cantorbéry, porta le 30 avril 1286. Regislrum epistolarum fratris Johannis Peckham, édit. C.-T. Martin, Londres, t. m (1885), p. 921. Dans ses admonitions, le chapitre général écrit : Districtius injungimus et mandamus ut fralres omnes et singuli, proul sciunt et possunl, efficæem dent operam ad doctrinaux venerabilis magistri fratris Thomee de Aquino, recolendæ memoriw. promovendam, et saltem ut est opinio defendendam : et si qui contrarium facere atlemptaverent assertive… ipso facto ab officiis propriis et gratiis ordinis sint suspensi. Acla cap. gen., t. i, p. 235. Le chapitre général de Saragosse, en 1309, porte cette ordonnance : Volumus et districte injungimus lectoribus et sublecloribus universis, quod leganl et déterminent secundum doctrinam et opéra venerabilis docloris fratris Thomee de Aquino, et in eadem scolares suos informent, et sludenles in ta cum diligenlia sludere teneantur. Acla, t. ii, p. 38. Le chapitre général de Metz, en 1313, non seulement maintient l’enseignement de saint Thomas mais qualifie sa doctrine de façon telle que nous pouvons voir le progrès accompli dans la diffusion et l’acceptation de la doctrine thomiste, même hors de l’ordre : Cum doctrina venerabilis docloris fratris Thomst de Aquino sanior et communior reputetur, et eam ordo nosler spccialitcr prosequi leneatur, etc. Acla, t. ii, p. 64. Les chapitres généraux ultérieurs reviennent, à l’occasion, sur l’obligation où sont les membres de l’ordre des frères prêcheurs de s’attacher à la doctrine de saint Thomas et de la promouvoir. Mais ces démarches sont assez rares pour voir qu’il n’est guère nécessaire deprendreenmain les intérêts d’une cause gagnée.