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FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES) 882

tels qu’ils se présentaient à saintThomas, étaient entachés de graves erreurs. Thomas d’Aquin les a rectifiées. 11 a relevé chez Aristote et ses commentateurs, surtout chez Averroès, les théories de l’éternité du monde, de la négation de la providence, de l’unité de l’intelligence, etc. ; chez les néoplatoniciens et Avicenne, la théorie de l’émanation du monde ; chez Maimonide, celle de l’équivocité des attributs de Dieu et des perfections des créatures ; dans l’augustinismc, les raisons séminales, l’existence de la matière dans les esprits, la pluralité des formes, l’illumination intellectuelle, le primat de la volonté, etc.

L’œuvre philosophique positive de saint Thomas a abouti à la première et seule’grande systématisation scientifique capable de s’intégrer à l’enseignement chrétien.. Il a, le premier, proclamé fermement l’autonomie du savoir rationnel, engagé qu’il avait été avant lui, en fait et en principe, dans les spéculations théologiques, spécialement en théodicée, en psychologie et en morale. Joignant l’exemple à la théorie, il a exécuté ses travaux philosophiques sans se réclamer jamais d’une autre autorité que celle de l’expérience et de la raison pour établir ses conclusions scientifiques et les défendre.. Il a nettement formulé une théorie du progrès scientifique, défini et classifié les sciences, établi l’esprit propre à chacune, et exécuté le programme des sciences philosophiques particulières : Logique, Métaphysique et Théodicée, Cosmologie, Physique .de, Psychologie, Morale et Politique. Ses principaux ouvrages de philosophie se présentent sous forme de commentaires aux grands ouvrages d’Aristote ; mais toute son œuvre théologique et scripturaire est fortement empreinte de philosophie ; et l’on rencontre à chaque pas les formules les plus riches et les plus lumineuses sur tous les problèmes de la pensée. Établie sur la base de la connaissance sensible et de l’expérience pour l’état présent de l’homme, la philosophie de saint Thomas passe, dans le domaine de l’absolu, au plus haut et au plus pur intellectualisme. Par la sécurité de son point de départ, le monde sensible, elle se garantit contre les illusions des divers . et par sa transcendance intellectualiste, elle rend caduques les matérialismes anciens et nouveaux, les grossiers et les plus subtils. L’effort philonique de Thomas d’Aquin avait résolu le problème de l’assimilation d’Aristote et doté l’Église d’une philosophie chrétienne puissamment assise.

urne théologique. — — Elle dépasse en grandeur son œuvre philosophique parce que, non seulement elle augmente la force et la lumière de cette dernière, mais surtout parce que, en se. transportant sur le terrain de la révélation chrétienne, plus haut et plus vaste, Thomas d’Aquin y a déployé les mêmes quæs.

L’information théologique de saint Thomas ne le en rien.> son information philosophique. Elle nd aux soumis du dogme comme aux œuvres la pensée chrétienne. Thomas d’Aquin profonde de l’Écriture, di

octrinaux de l’Église romaine,

du droit canon, de. Pères et des écrivains ecclésiasniers, ceux dont il invoque le plu lent l’autorité sonl Augustin, Jérôme, . Nin-on le Grand, Grégoire le Grand, 1 : m Damasi

Vnselmc, Hugui

ird et Pierre Lombard, Opéra

t. vi, p. 721.

ni’nie que Thomas d’Aquin a proclamé l’auto l’ordre rationnel, ainsi a t d proclamé l’auordre révélé, en maintenant l’im]

d’un conflit réel entre deux ordres qui ont la

Dieu. Il existe Ml..

infranchissable entre la nature et la grâce ; la raison et la foi. Le dogme repose sur la seule autorité de Dieu révélant et de l’Église dépositaire de son autorité. De sa nature, la vérité dogmatique est hors de la portée de la raison, impuissante qu’est cette dernière â en donner une démonstration intrinsèque. Par là Thomas d’Aquin arrête le fidéisme qui ne pensait pouvoir sauver le dogme qu’en niant la valeur de la raison, et le rationalisme inconscient du xii c siècle, qui, tentant de donner une démonstration de l’objet de la foi, le réduisait à un concept purement rationnel. La raison humaine peut toutefois éclairer extérieurement la vérité de foi par des analogies et des motifs de convenance. Les grandes vérités philosophiques sur Dieu et sur l’âme sont des præambula fldei qui, de soi, n’appartiennent pas à l’ordre révélé, mais le deviennent accidentellement pour ceux qui n’en possèdent pas la certitude rationnelle. En prenant pour principes les vérités révélées, la raison peut en déduire des vérités secondaires, ou conclusions théologiques, et constituer ainsi une véritable science. Cette science, toutefois, est subalternée, parce que nous ne possédons pas, en ce monde, l’évidence de ses principes. Seuls les bienheureux, dans la vision béatifique, voient dans leur pleine clarté des vérités de la foi ; et ainsi la science théologique se trouve dans un état de subordination dans la connaissance présente de ses principes, mais non dans la certitude et la valeur de ses conclusions.

Thomas d’Aquin a donné à la théologie chrétienne, dans sa Somme théologique, un modèle d’exposition au point de vue de l’ordre, de la clarté et de la profondeur qui n’avait pas encore eu son analogue et n’a plus été égalé.

La valeur doctrinale permanente.

Aux yeux

de tout le monde, Thomas d’Aquin est le plus grand penseur du moyen âge ; et aux yeux de l’Église catholique, le plus grand philosophe et théologien chrétien. Ce fait est de notoriété universelle et on en trouvera diverses preuves dans la suite de cet article. Saint Thomas est devenu dans l’Église catholique une autorité théologique hors ligue..Mais il ne faut pas oublier que son autorité n’est que la conséquence de sa valeur scientifique. Thomas d’Aquin est une aulorilé d’ordre exceptionnel, puisqu’il a été un penseur de génie et a créé une œuvre doctrinale à nulle autre pareille. Ce n’est donc pas sur le nom de saint Thomas que s’appuient et l’Église et l’école thomiste, comme des esprits superficiels affectent quelquefois de le dire, mais sur la valeur sans pareille de savoir et de raison que ce nom représente. C’est pourquoi aussi cette valeur demeure permanente. Il est d’ailleurs aisé de voir les causes de ce fait.

Les qualités pédagogiques de saint Thomas en font le seul auteur du moyen âge directement utilisable dans ses propres écrits. Il n’est pas de manuel qui puisse être comparé à la Somme théologiquc. Les auteurs du moyen âge sont trop diffus, désordonnés. incomplets, d’une langue difficile, ou d’une doctrine peu cohérente. Thomas d’Aquin a évité tous ces écueils, et son œuvre doctrinale, si on la compare a celle des auteurs de cette époque, est d’une luminosité et (l’une richesse qui la classent, i pai I parmi celle des autres philosophes et théologiens.

Les qualités scientifiques de l’œuvre de saint Thomas Justifient aussi sa prééminence. Elle est basée sur des données éternelles, pourrait-on dire. Le docteur angélique a eu soin d’écarter l’artificiel, l’accidentel et le douteux de ses Idées systématiques et d.

conclusions ; tandis qu’il a toujours pris, comme point de départ de ses cou si lllcl ions (loctlinales. les données empiriques ou rationnelles de première éi dence it dont la portée n’est pas susceptible < !. rier. En outre, l’elendue et l’élasticité de ses eoncep