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FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES


sur le livre des Causes et les Semaines de lioèce, le Gouvernement des princes et le Gouvernement des Juifs.

Les écrits sur l’Écriture sainte comprennent des commentaires sur quelques livres de l’Ancien Testament et aar tous ceux du Nouveau, soit sur Job, le Cantique des cantiques, Isaïe, Jérémie, les Lamentations, les quatre Évangiles, les Épîtres de saint Paul, plus une glose continue sur les quatre Évangiles, composée avec des extraits des saints Pères et connue aujourd’hui sous le nom de Chaîne dorée.

Les ouvrages de théologie sont surtout représentés par les commentaires sur les Sentences de Pierre Lombard, la Somme Ihéologique, les commentaires sur les Noms divins de Denys l’Aréopagite et sur la Trinité de Boèce.

Les Questions disputées et les Quodlibeta sont des ouvrages mixtes, qui contiennent les sujets philosophiques et théologiques.

L’apologétique est spécialement représentée par la Somme contre les gentils, le Traité contre les erreurs des grecs, et trois ouvrages contre Guillaume de Saint-Amour et ses adeptes, pour défendre les droits des nouveaux ordres religieux mendiants.

Ajoutons à cette liste abrégée l’Office pour la fête du saint sacrement, une des plus belles œuvres de la liturgie catholique. Cf. Mandonnet, Des écrits authentiques de S. Thomas d’Aquin, 2e édition, Fribourg, 1910.

L’œuvre littéraire de saint Thomas n’est pas seulement très étendue, prise en elle-même, elle a été encore exécutée avec une surprenante rapidité. Elle a vu le jour en une vingtaine d’années (1253-1273) ; ce qui représente une moyenne d’environ mille pages in-4°, à deux colonnes, par année.. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que saint Thomas a constamment enseigné pendant ce temps, prêché fréquemment et accompli de nombreux et longs voyages à pied. A la lecture de ses écrits, où tout semble pesé et mûrement réfléchi, on serait porté à croire que le docteur angélique a procédé avec une extrême lenteur. Il n’en est rien. Il a composé ses ouvrages à la hâte, en homme pressé qui a le sentiment de sa fin prématurée. Rien, à cet égard, n’est plus significatif que son écriture. L’autographe de la Somme contre les gentils, aujourd’hui à la bibliothèque Vaticane, nous présente une écriture eursive extrêmement abrégée, presque illisible, et très personnelle. Au premier aspect on y reconnaît une main forte et vigoureuse, mais surtout rapide. Quelques-uns des écrits de saint Thomas sont aussi des reportations ou sténographies de ses auditeurs qu’il a lui-même revisées ; et le religieux qui lui servait de compagnon a pu lui rendre quelques services. Mais tout cela est bien peu de chose ; et c’est le maître, en somme, qui a porté à lui seul le poids de ce travail gigantesque.

Les ouvrages de Thomas d’Aquin sont de nature très diverse. Ils tendent toutefois à se concentrer sur la philosophie et la théologie, c’est-à-dire sur les sciences qui voient s’engager alors les problèmes capitaux pour la pensée chrétienne et pour l’Église. Le choix des sujets et le mode d’exécution sont le plus souvent imposés à leur auteur par les usages etles circonstances. De nombreux petits traités, et même quelques grandes publications, sont dus à des demandes de personnalités très haut placées dans l’Église ou la société civile, ou quelquefois même de simples particuliers au désir desquels saint Thomas n’a pas cru pouvoir se refuser. Cependant une partie principale de ses œuvres lui a été imposée par ses obligations professorales : tels ses commentaires sur le Maître des Sentences et sur l’Écriture sainte, les Questions disputées et quodlibétiqucs. Ses commentaires sur Aristote et sur quelques autres

auteurs classiques sont nés des besoins intellectuels du temps et des graves problèmes qui étaient alors posés. La Somme contre les gentils et la Somme théologique sont, comme facture, les œuvres les plus personnelles de Thomas d’Aquin. Il a pu s’y mouvoir en toute liberté, tout en y observant une technique d’exécution qui était classique de son temps. Mais, ici comme ailleurs, Thomas d’Aquin a déployé des qualités personnelles d’écrivain qui lui étaient propres. Il débarrasse son terrain de questions oiseuses ou superflues et y en introduit de nouvelles qui sont utiles ou nécessaires. Il limite les citations et les raisonnements à ce qui est essentiel et strictement propre à la question. Il développe son sujet avec de justes proportions et maintient un sage équilibre entre les parties, qui sont elles-mêmes logiquement coordonnées dans le tout. Quand il commente des textes classiques, qu’il s’agisse de l’Écriture, d’Aristote ou d’autres œuvres, il concentre, avant tout, son effort sur le sens littéral du livre, abondonnant les anciennes méthodes qui encombraient les commentaires de matériaux étrangers et d’amplifications inutiles. Enfin, son style est clair, précis, sobre et approprié à sa pensée. L’équation entre l’expression de l’idée et l’idée elle-même est telle que l’esprit n’est ni distrait ni embarrassé par les mots et les formules. Thomas d’Aquin est l’auteur le plus aisément lisible du moyen âge.

2° La méthode. — Le procédé de saint Thomas touchant son information littéraire et son sens critique dans l’utilisation de ses sources sont très en avance sur son temps. Sa méthodologie rejoint immédiatement celle que nous pratiquons de nos jours.

Thomas d’Aquin est venu à l’époque d’un afflux littéraire énorme, non seulement à raison des productions latines des lettrés du moyen âge, mais aussi à raison des traductions incessantes qui révélaient aux penseurs d’alors la sagesse des civilisations grecque et arabe. L’information de saint Thomas, favorisée par les recherches littéraires d’Albert le Grand, a été énorme pour son temps, où les manuscrits étaient à la fois rares et dispendieux. Il n’a rien négligé pour atteindre des sources encore inexplorées par ses contemporains. On se rappelle l’anecdote où il déclarait à un de ses disciples qu’il préférerait à la possession de Paris les homélies de saint Jean Chrysostonie sur saint Matthieu. C’est le symbole de la préoccupation constante où il fut d’atteindre le plus grand nombre de sources littéraires et surtout les meilleures. Thomas, secondé par l’ordre des prêcheurs, organisa une véritable exploration littéraire. Ses soins s’appliquèrent particulièrement à entrer en contact avec l’ancien monde grec. Un de ses confrères, Guillaume de Moerbeke, entreprit, sur son initiative, une revision des traductions d’Aristote sur le grec, ainsi que la traduction des livres encore inconnus des latins, comme les Politiques et les Économiques. De nombreux ouvrages de philosophes ou de savants grecs passèrent ainsi aux latins, comme V Elementatio theologica de Proclus, les commentaires de Simplicius sur les Catégories, sur le Ciel et le Monde et sur l’Ame, ceux de Thémistius sur l’Ame, la Synlaxis de Ptolémée, pour ne nommer que quelques-uns de ceux qu’utilise saint Thomas. Plusieurs traductions d’Aristote par Boèce, ou à lui attribuées, furent aussi retrou ées. Enfin Thomas fit traduire du grec quelques ouvi des Pères grecs qu’il utilise en particulier dans son Exposition continue des Évangiles (Catena aurca).

Sur cette base d’informations élargies et renouvelées, Thomas déploie un sens critique pénétrant. Il écarte résolument toute une littérature apocryphe, qui avait usurpé le nom d’Aristote et qui avait jeté quelques-uns de ses contemporains dans un complet