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867 FRÈRES PRÊCHEURS (LA THÉOLOGIE DANS L’ORDRE DES

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études philosophiques, mais en procédant prudemment. Seuls les religieux de l’ordre furent admis à fréquenter ces leçons pendant le xiiie siècle. On commença tout d’abord à laire un choix de religieux pour ces études, qui furer t en quelque sorte un enseignement privé. Mais à partir du milieu du siècle on établit dans les provinces de véritables écoles d’arts : logique, sciences naturelles, morales et politiques. Les prêcheurs durent à cette initiative une culture philosophique prédominante parmi les hommes de leur siècle, et ils fournirent les plus illustres philosophes d’alors, Albert le Grand et Thomas d’Aquin. C’est pour cela aussi que, dès l’origine, même leurs œuvres théologiques portent un cachet philosophique extrêmement marqué. Mais cette résolution n’alla ni sans dénigrements, ni sans mauvaise humeur de la part de beaucoup d’hommes d’Église, attardés dans des idées et des pratiques scolaires surannées.

Pour des besoins d’apostolat et aussi des raisons d’étude, les prêcheurs établirent dans leur ordre des écoles d’orientalisme. Le chapitre généralissime de 1236 avait donné une première et forte impulsion en ordonnant que, dans tous les couvents et toutes les provinces de l’ordre, on apprît les langues des peuples voisins. C’est ainsi que les provinces de Grèce, de Terre Sainte et d’Espagne se livrèrent particulièrement aux études du grec, de l’arabe, de l’hébreu et des langues asiatiques. Un écrivain protestant, C. Mobilier, a pu résumer dans ces quelques mots l’activité des prêcheurs dans leurs studio, linguarum : « Ils ne se contentent pas de voir professer dans leurs couvents l’ensemble déjà suffisamment complexe de toutes les divisions de la science, telle qu’on l’entendait alors. Ils y ajoutent un ordre entier d’études, qu’aucune école chrétienne, honnis les leurs, ne semble avoirpossédé dans ce temps, et où ils n’ont véritablement pour rivaux que les rabbins de Languedoc et d’Espagne. » Guillem Bernard de Gaillac et l’enseignement chez les dominicains, Paris, 1884, p. 30.

Mais l’action scolaire des frères prêcheurs dépasse encore les limites déjà tracées. Elle s’étend particulièrement aux universités qui s’établissent successivement dans toute l’Europe, dès les débuts du xin’siècle. Les prêcheurs prennent une part prépondérante dans la vie des grandes écoles, et A. LHchaire a pu les qualifier avec raison de a clergé universitaire » . L’université de Paris sous Philippe-Auguste, Paris, 1899, p. 53. Les universités qui, comme Paris, Toulouse, Oxford, etc., possèdent une faculté de théologie dès l’origine, s’incorporent l’école conventuelle dominicaine, qui est organisée selon le type des écoles des studia generalia. Quand les universités s’établissent dans une ville, et c’est le cas le plus ordinaire, après la fondation d’un couvent de frères prêcheurs qui possède toujours d’office une école de théologie, les lettres pontificales accordées pour l’établissement de l’université ne concèdent pas de faculté de théologie. Celle-ci est considérée comme existant déjà à raison de l’école dominicaine et des autres écoles de religieux mendiants qui suivirent, peu à peu, l’exemple des prêcheurs. Pendant un temps plus ou moins long, les écoles des prêcheurs sont simplement juxtaposées à ces universités, qui n’ont pas de faculté de théologie, et elles en sont juridiquement indépendantes. Quand ces grands établissements demandent au Saint-Siège une faculté de théologie et que la pétition est concédée, ces universités incorporent d’ordinaire l’école dominicaine qui devient un membre de la faculté de théologie. Cette transformation commence au courant du xive siècle et dure jusqu’aux premières années du xvie siècle. Une fois établi, cet état de choses subsiste lui-même jusqu’à la Réforme protestante dans les pays qui l’ont subie, et jusqu’à la Révolution française et

à sa propagation ultérieure chez les nations latines. Bien plus, les archevêques qui, d’après le décret du IVe concile de Latran (1215). devaient établir dans leur église métropolitaine un maître en théologie pour l’instruction de leur clergé, se considèrent universellement comme dégagés de cette obligation, par suite de la création dans leur ville archiépiscopale d’uni école de frères prêcheurs, ouverte aux clercs séculiers. Quand les archevêques estimèrent cependant devoir exécuter le décret du concile, ou qu’ils y furent contraints par les souverains pontifes, ils firent fréquemment appel aux services d’un frère prêcheur pour desservir la chaire de leur église métropolitaine. C’est ainsi, par exemple, que l’école cathédrale de l’archevêque de Lyon fut confiée constamment aux prêcheurs, depuis les premiers temps de leur établissement dans cette ville jusqu’au début du xvie siècle. J.-M.-H. Forest, L’école cathédrale de Lyon, Paris, Lyon, 1885, p. 238, 368 ; J. Beyssac, Les prieurs de Notre-Dame de Confort, Lyon, 1909. Le fait, pour être moins continu, est cependant très fréquent ailleurs, à Toulouse, Bordeaux, Tortose, Valencia, Urgel, Milan, etc.

Les papes, qui pouvaient se croire moralement obligés à payer d’exemple relativement au décret scolaire du concile de Latran, se contentèrent, d’ordinaire, pendant le xiiie siècle, des écoles établies à Rome par les prêcheurs et d’autres religieux venus après eux. Ils suivirent en cela la pratique de la plupart des archevêques. Les maîtres dominicains qui

enseignaient à Rome, ou dans les autres villes des

[ États de l’Église, où se transportaient les souverains pontifes, prenaient le nom de lecteur de la curie, lector j curise. Cependant, quand les papes s’établirent à Avignon et commencèrent à exiger des archevêques l’exécution du décret de Latran, ils instituèrent eux-mêmes, dans leur palais, une école de théologie. Cette initiative est due à Clément V (1305-1314). Sur la demande du cardinal dominicain Nicolas Alberti de Prato, cette fonction fut confiée, dès l’origine, i , perpétuité à un frère prêcheur, qui porta dès lors le | nom de magisler sacri palatii. Le premier titulaire fut Pierre Godin, qui devint plus tard (1312) cardinal. L’office de maître du sacré palais, dont les attributions furent successivement accrues, est resté jusqu’à I ce jour le privilège de l’ordre des frères prêcheurs. J. Catalani, De magistro sacri palatii, Rome, 1751 (tout à fait insuffisant pour la question des origines).

Enfin, lorsque vers le milieu du xiiie siècle les anciens ordres monastiques commencèrent à entrer dans le mouvement scolaire du temps, les cisterciens, en particulier, firent parfois appel aux prêcheurs pour avoir des maîtres en théologie dans leurs abbaL-. Pendant les derniers siècles du moyen âge, les dominicains fournirent, par intervalles, des professeurs à différents ordres religieux qui n’étaient pas eux-mêmes voués aux études. Denifle, Quellen zur Gelelirtengeschichte des Prcdigerordens im 13 und 14 Jahrhundcrt, dans Archiv fur Lilcralurund Kirchengeschichle, t. ii, p. 165 ; Douais, Essai sur l’organisation des éludes dans l’ordre des frères prêcheurs, Paris, 1884 ; Mandonnct. De l’incorporation des dominicains dans l’ancienne université de Paris, dans la Revue thomiste, t. iv (1896), p. 139 ; Denifle, Die Universilalen des Mittelalters, Berlin, 1885 ; Denifle-Chatelain, Charlularium universilalis parisiensis, Paris, 1889 sq. ; E. Bernard. Les dominicains dans l’université de Paris, Paris, lî Mandonnet, Siger de Brabanl, Louvain, 1911. t. i. p. 30 95 ; The catholic encyclopedia, t. xii, p. 360 ; La crise scolaire, loc. cit. La législation des prêcheurs sur les études se trouve dispersée dans leurs constilutions, surtout dans les Acla capilulorum generalium>