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FRÈRES DU LIBRE ESPRIT

gærde), De origine monasterii Viridisvalli, 1. II, c. v, dans les Analecla bollandiana, Bruxelles, 1885, t. iv, p. 286 ; trad. Cuylits (en tête de la traduction du Livre des douze béguines de Ruysbroeck), Bruxelles, 1900, p. 37-38, dit que « cette femme, qui avait beaucoup écrit sur « l’esprit de liberté » et l’infâme amour vénérien qu’elle appelait l’amour séraphique, était vénérée par de nombreux disciples comme l’inventrice d’une doctrine nouvelle ; » Ruysbroeck montra le venin des écrits que, chaque année, elle lançait contre la foi catholique. Cf. P. Fredericq, Corpus documentorum inquisitionis hærelicæ pravitalis ncerlandicæ, Gand, 1896, t. ii, p. 386-387. Le 27 mars 1373, Grégoire XI félicita le roi de France de l’appui qu’il prêtait à l’inquisition dans la répression d’une variété de béghards qu’on nommait les turlupins. Cf. Raynaldi, Annal, cccles., an. 1373, n. 19. A Paris, la secte reconnaissait pour chef une femme, Jeanne Daubenton, qui fut brûlée en 1372. A la fin du xive siècle, apparaît une nouvelle secte du libre esprit, les hommes de l’intelligence. Elle a deux fractions : l’une penche vers l’ascétisme ; l’autre, de beaucoup plus considérable, tire du panthéisme les doctrines les plus immorales. Le fondateur de la secte, Gilles le Chantre, semble avoir été le disciple d’une femme, Marie de Valenciennes, laquelle avait composé, incredilibi pêne subtililate, un livre où elle appliquait à l’homme in via et lié par l’observation des préceptes divins ce qui est vrai de l’amour de l'état béatifique, et en concluait que l’homme élevé ici-bas à l'éminence de la dilection divine, fit secundum eam ab omni lège preeceplorum solutus, adducens pro se illud ab aposlolo sumptum : « Caritatem habe et Jac quod vis, » dit Gerson, Tractatus de distinctione verarum visionum a falsis, signum v, dans Opéra, Paris, 1606, t. i, col. 588-589.

Au xv c siècle, le même Gerson signale la persistance des turlupins, Tractalus de examinatione doctrinarum, part. II, consid. vi, t. i, p. 550, et des béghards hétérodoxes. Tractalus contra hæresim de communione laicorum sub ulraque specie, t. i, p. 523. Après le premier quart du siècle, il n’est plus guère question du libre esprit. S. Bernardin de Sienne, Adventuale de inspirationibus, Serm., ii, De inspirationum diserctione, dans Opéra, édit. J. de la Haye, Paris, 1635, t. iii, p. 167, 177, parle des ravages de l’erreur de la liberté d’esprit, et gémit : Ah ! Deus, quoi simplices decipiuntur sub pallio spiritus ! Les textes de ce genre deviennent rares. R. Allier, Les frères du libre esprit, dans Religions et sociétés, p. 136-140, suppose, non sans vraisemblance, que le libre esprit n’est pas étranger à ces poussées populaires de colère et de révolte qui troublent l’Allemagne dans la seconde moitié du xve siècle et conduisent aux horreurs de la révolution sociale (1525). Il est impossible, en effet, « que la secte du libre esprit se soit subitement tue au moment précis où les foules étaient le plus disposées à saisir son enseignement et à en tirer les applications extrêmes. » Par ailleurs, « n’est-il pas remarquable que tous ces mouvements populaires sont partis de la Souabe ou des régions voisines des Pays-Bas, c’est-à-dire de ce qui a été le pays d'élection du libre esprit ? »

Aux approches de la Réforme, la secte reparaît. Le grand prédicateur populaire Jean Geiler de Kaisersberg(fl510)meten garde, surtout dansses sermons sur la Stulti/era navis de Sébastien Brant, contre les faux interprètes de l'Écriture, qui rejettent les explications des docteurs de l'Église et ont la présomption d’entendre les saints Livres comme il leur plaît, « ainsi que le font, dit-il, les vaudois, ceux du libre esprit, les bohèmes et les autres hérétiques. » Aux partisans de ce libre esprit il reproche d’autres erreurs, qui sont « déjà, en substance, tout le luthéranisme, vingt ans avant Luther, » et il les montre frayant les voies » à

.".elui qui sera le grand falsificateur, l’imposteur par excellence, et, quand celui-là paraîtra, ajoute-t-il, je crains qu’il ne trouve beaucoup d’adeptes parmi nous. Tout porte à croire que le moment de sa venue n’est pas bien éloigné. » Cf. J. Janssen, L' 'Allemagne et la Réforme. I. L' Allemagne à la fin du moyen âge, trad. Paris, 1887, p. 585 ; P. Bernard, Jean Geiler de Kaisersberg, dans Éludes, Paris, 1910, t. cxxiv, p. 75-78. Ici le libre esprit se confond presque avec le libre examen. Il ne tarde pas à reparaître avec sa double caractéristique, panthéiste et immorale ou antisociale. R. Allier, op. cit., p. 141, observe que, parmi les anabaptistes, « beaucoup sont résolument panthéistes, et c’est dans le panthéisme qu’ils cherchent et qu’ils trouvent la justification de leurs égarements. L’illuminé d’Anvers qui, en 1525, va prêcher le libre esprit à Luther, David Joris qui est en Allemagne le principal prophète après les événements de Munster, Nicolas Frey qui promène en Alsace sa théorie de l’union libre, les adamites d’Amsterdam, les familistes des Pays-Bas et de l’Angleterre, Quintin, Bertrand des Moulins, Claude Parceval et Antoine Pocques, qui sont en France les premiers « libertins spirituels » , sont les héritiers directs de la secte qui… a maintenu, à travers la seconde moitié du moyen âge, les doctrines et parfois les pratiques de l’anarchisme moral et social. Tous ceux qui figurent dans cette énumération ne renouvellent pas au même degré la secte du libre esprit. Sur les familistes, voir Famille d’amour, t. v, col. 2070-2072. Voir encore Fraticelles, sur les soidisant fraticelles dont parle Florimond de Ræmond, L’histoire de la naissance, progrez et décadence de Vheresie de ce siècle, 1. II, c. xvi, n. 6, Paris, 1655, p. 164 b, et qui sont de vrais sectaires du libre esprit. Chez tous

— il y aurait aussi à mentionner les loïstes d’Anvers, qui ont été récemment l’objet d’intéressantes études

— elle renaît, « plus forte de tout le travail accompli, dans les cerveaux, avec son immonde cortège de mystiques et monstrueuses débauches. » H. Hauser, Éludes sur la Réforme française, Paris, 1909, p. 56.

A peu près éteintes avant la venue du protestantisme, ranimées au xvie siècle, les doctrines du libre esprit ne se montrent plus guère à dater de la fin de ce siècle. Çà et là, pourtant, elles se manifestent. Le quiétisme de Molinos les ressuscite. De nos temps, en Russie, des sectes ont attiré l’attention qui sont des survivances ou des réapparitions du libre esprit. Cf. A. Leroy-Beaulieu, L’empire des tsars et les Russes. X. Les sectes excentriques. Les mystiques et les protestants indigènes, dans la Revue des deux mondes, 1 er juin 1875, p. 586-631.

I. Sources.

Raynaldi, Annal, eccl., an. 1311, n G (bulle de Clément V à l'évêque de Crémone), et passim ; W. Preger, Geschichte der deutschen Mystik im Miitelallei Leipzig, 1871. t. I, p. 461-471 (les 121 propositions de la Compilalio de novo spirilu) ; F. Ehrle, Arehiu fur Lileratur und Kirchengeschichte des Miilelaliers, Berlin, 1880. t. n. p. 130-132 (un passage de YHistoria tribulationum d’Ange de Clareno sur la répression des frères du libre esprit par Hubertin de Casale) ; F. Tocco, Studii francescani. Naples 1909, p. 236-238 (sentence de l’inquisiteur de Florence. 31 octobre 1327. contre une adhérente de la secte du libre esprit) ; P. Fredericq, Corpus documenlorum inquisilionis hærelicæ pravitatis necrlandicse. Verzameling van slukken bclreffende de pauselijke en bifschoppclijke inquisitie in dt Nederlanden, Gand, 1889-1896, t. i-ii. Voir, en outre lrsources indiquées à l’art. Béghards, t. ii, col. 535, et aux articles consacrés aux sectes qui se rattachent à Phi

du libre esprit.

II. Travaux.

D. Bernino, Ilistoria di lutte rheresi » , Venise, 1724, t. iii, p. 426-432 ; C. TJ. Hahn, Geschichte der Ketzer im Mittelaller, Stuttgart, 1847, t. ii, p. 420-12 1 P70537 ; W. Preger, Geschichte der deutschen Mystik im Mitlelalfer, 1. 1, p. 172-173, 207-216 ; A. Jundt, Histoire du panthéisme populaire au moyen âye et au xvie siècle, Paris, 187.> :