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IKKRES DU LIBRE ESPRIT


du libre esprit « en fait deux variétés d’une même espèce et non pas deux espèces irréductibles. » Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au XIVe siècle, p. G9, note, 70, note, 94-95, 73 ; cf. p. 131-132. Un débat de ce genre est sans issue, à moins que la découverte de textes nouveaux ne le termine. S. M. Deutsch, Realencyklopàdie, 3e édit., Leipzig, 1904, t. xiv, p. 501, observe justement que, dans l'état actuel de nos connaissances, il n’est pas possible de se prononcer en toute sécurité sur les ortlibiens. En tout cas, le panthéisme qu’ils ont en commun avec les frères du libre esprit, le principe de la docilité de l’homme aux réponses de l’esprit en lui que les frères du libre esprit admettent comme eux, cf. la 78e prop. du formulaire d’Albert le Grand, Preger, Geschiclile der Myslik, t. i, p. 468, ne doivent pas faire oublier les différences considérables qui séparent ortlibiens et frères du libre esprit. Et, s’il y a chez les uns et chez les autres des doctrines identiques, rien n'établit qu’elles soient dues à une action directe des ortlibiens sur les frères du libre esprit. Ce n’est pas seulement entre les frères du libre esprit et les ortlibiens qu’on a nié toute filiation proprement dite, c’est encore entre les frères du libre esprit et les amalriciens, et c’est même entre les diverses manifestations du mysticisme panthéiste et quiétiste du moyen âge englobées sous l’appellation de frères du libre esprit. Il a paru que la tentative de décrire le développement historique et l’organisation d’une seule secte panthéiste au moyen âge doive être abandonnée : les documents nous font connaître des groupes de mystiques hérétiques et une série de représentants isolés du panthéisme dont les doctrines offrent de tels contrastes qu’il est impossible de les ramener à l’unité. Cf. H. Haupt, Realencyklopàdie, 3e édit., Leipzig, 1897, t. iii, p. 467-468, 471. Quant au point de départ véritable de cette mystique panthéistico-quiétiste, il faut, d’après Haupt, le chercher dans les cercles des béghards et des béguines. Dans leurs maisons de la Haute-Allemagne et dans les cloîtres de femmes des deux grands ordres mendiants, il y eut une poussée presque épidémique vers les états de vision et d’extase, dans la première moitié du xiiie siècle ; des esprits passionnés et manquant de la culture intellectuelle des écoles étaient exposés à mal entendre la mystique aréopagitico-victorine et ses vues sur la prise de Dieu par le moyen de la contemplation et à les déformer en un panthéisme grossier. Là où Richard de SaintVictor dit, De gratia contemplationis (et non De prseparatione animi ad coniemplalionem), 1. II, c. xiii, P. L., t. exevi, col. 91 : hic primum animus anliquam dignitatem récupérât et ingenilum proprise libertatis honorem sibi vindicat, des mystiques extravagants pouvaient se laisser tromper et trouver l’occasion de formuler la doctrine hétérodoxe de la liberté de l’esprit. La place que la contemplation et l’union avec Dieu occupent dans les propositions des panthéistes souabes montre que nous avons à considérer en eux non pas, comme le suppose H. Reuter, Geschichle der religiôsen Aufklârung im jMillelalter, Berlin, 1875, t. ii, p. 241, une secte réformatrice, « les révolutionnaires de V Aufklârung, » mais un sauvage rejeton de la mystique monacale des victorins.

Ceux-là mêmes qui n’accepteront pas cette thèse de Haupt admettront volontiers qu’elle mérite l’examen. Cette circonstance que la doctrine des trois âges, fondamentale dans l’amalricianisme, voir 1. 1, col. 938, est absente du système des panthéistes souabes empêche d’affirmer à coup sûr que ces panthéistes dépendent directement des disciples d’Amaury de Bène. Nous savons que les maisons des béghards et des béguines furent le foyer principal de l’hérésie du libre esprit, et aussi qu’il y eut, au xiiie siècle et au xiv°, en Allemagne, spécialement en Souabe, en même temps qu’une

floraison de la plus pure mystique, une fermentation, de mysticisme malsain ; il est possible que la mystique 1 victorine, mal comprise par des esprits ignorants et dépourvus d'équilibre, ait donné naissance, dans le milieu mi-monastique mi-laïque des béghards et des béguines, aux aberrations qui nous sont connues par j le catalogue d’Albert le Grand. Mais cette hypothèse,

si séduisante soit-elle, n’est qu’une hypothèse. Jusqu'à

meilleur informé, mieux vaut avouer tout simplement que les origines des frères du libre esprit nous échap| pent. A défaut d’une filiation proprement dite qu’il j est impossible de constater, disons qu’on peut les ! rattacher logiquement aux ortlibiens en ce qu’ils proj fessent le même panthéisme qu’eux, surtout aux amal| riciens en ce que, à l’instar de ces derniers, ils tirent de leur panthéisme les conséquences les plus immorales, j et encore, d’après L. Tanon, Histoire des tribunaux I de l’inquisition en France, Paris, 1893, p. 81, à ces hérétiques, généralement classés parmi les cathares, qui furent brûlés à Cologne en 1163, et qui disaient que tout est pur aux purs et que, étant pleins du Saint-Esprit, ils ne pouvaient pécher. La suite de l’histoire des frères du libre esprit, à partir de leur apparition en Souabe, est moins obscure que les commencements, quoique les documents soient rares et parfois troubles. Il est vrai qu’entre nombre d’individualités ou de groupes, qu’on a coutume de réunir sous le nom de frères du libre esprit, il y a des différences doctrinales si importantes que l’unité de la secte en est ébranlée. Il sera permis cependant de parler des frères du libreesprit comme d’une secte unique, dans un sens large : sous cette désignation se rangent tous les hérétiques, , en dépit de leurs divergences sur d’autres points, qui ont fait profession de mysticisme panthéiste, quiétiste, illuministe, et qui en ont déduit la théorie de la liberté de l’esprit entendue comme la légitimation dedoctrines immorales ou antisociales.

III. La suite de l’histoire des frères du libre esprit. — Faut-il reconnaître des frères du libre esprit, ou des apostoliques, ou des fraticelles, dans les hérétiques condamnés par Boniface VIII, le 1 er août 1296? Cf. Raynaldi, Annal, eccles., an. 1269, n. 34. Ce n’est pas clair. Ange de Clareno, Hisloria tribulationum, dans YArchiv fur Literatur und Kirchengeschichte des Millelallers, Berlin, 1886, t. ii, p. 130, raconte qu’Hubertin de Casale, sur l’ordre du pape ou du légat pontifical, travailla, vers 1301, à la répression de l’hérésie de la liberté de l’esprit dans la province de la Toscane, de la vallée de Spolète et de la Marche d’Ancône, « ce qu’avant lui aucun inquisiteur n’avait osé entreprendre. » Clareno fait remonter l’origine de cette hérésie à Amaury de Bène, et mentionne les fondateurs des apostoliques, Segarelli et Dulcin, comme les propagateurs de ces fausses doctrines. Le témoignage de Clareno est souvent sujet à caution en ce qui regarde cette période de la vie d’Hubertin ; il était alors en Orient, et il n'écrivit VHistoria tribulationum qu’une trentaine d’années plus tard. Cf. F. Callæy, Élude sur Uberlin de Casale, Louvain, 1911, p. 50-51. On peut se demander s’il n’y a pas quelque confusion dans le rapprochement entre les apostoliques et la secte du libre esprit. Une bulle de Clément V à l'évêque de Crémone, du 1 er avril 1311, l’invite à réprimer des hérétiques de cette même vallée de Spolète et des régions voisines, qui novam sectam novumque rilum…, quem libertatis spiritum nominanl, hoc est ut quidquideis libet liceat, assumpserunt. Le pape déclare qu’ils consistent le Saint-Esprit, et ajoute : cur camis illecebras sub Spirilus regimine palliant, ijuas constat in eodem Spirilu condemnari ? Cf. Raynaldi, Annal, eccles., an. 131 1, n. 66. Cette fois, nous avons quelques données sur la seele du libre esprit ; si le pape, qui ne détaille passes doctrines, ne dit pas qu’elle soit panthéiste, il nous