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FRAUDE


La chose, d’ailleurs, est si évidente que les païens eux-mêmes l’avaient reconnue. De quelque façon qu’elle se commette, et quelle que soit la forme dont elle puisse se couvrir, la fraude est coupable, car elle revêt, en général, la double malice du vol et du mensonge. Cicéron l’a stigmatisée en termes d’une rare énergie, comme absolument indigne d’un homme : Quum duo bus modis, id est, aut vi aut fraude fiât injuria, fraus quasi vulpeculse, vis leonis videtur. Uirumque homini alienissimum, sed fraus odio digna majore. Totius autem injustifiée nulla capilulior quam corum qui, quum maxime fallunt, id agunl, ut viri boni esse videantur. La fraude, dit le grand orateur, semble être l’injustice du renard ; la violence, celle du lion. L’une et l’autre sont absolument indignes de la nature de l’homme ; mais la fraude a quelque chose de plus odieux. Rien de plus injuste, en effet, que de vouloir paraître bon, quand on dépouille les autres. De offie., 1. I, c. xiii.

3° En ce qui concerne les contrats, rares sont les théologiens qui distinguent le dol de la fraude. Généralement, ils traitent simultanément de l’un et de l’autre, prenant souvent, à l’exemple des juristes et des littérateurs, ces deux mots comme synonymes.

Quoique beaucoup, s’appuyant sur des principes divers, diffèrent dans leur manière d’argumenter, ils se rapprochent tous, néanmoins, dans leurs conclusions pratiques, très sensiblement des prescriptions du droit romain, les regardant comme l’expression la plus exacte du droit naturel. Comme le droit romain et les droits modernes des différentes nations, ils établissent d’abord la distinction fondamentale entre la fraude provenant d’une des parties contractantes et celle émanée d’un tiers. Valde inlerest, utrum contrahens decipiatur^ab altero contrahenle, vel a tertio quopiam, sine cutpa alterius contrahentis ; et rursus, utrum quando ab alio decipitur, id fiât cum hujus culpa, vel sine culpa ; quod notandum est, quia licel utraque deceplio minuat volunlarium in altero conlrahenle, non tamen camdem utraque obligaiionem in decipicnle parit. De Lugo, Dispulaiioncs scolaslicee et morales. De justifia et jure, disp. XXII, n. 68, 8 in-4°, Paris, 18681869. Ils admettent ensuite que les contrats de ce genre sont ou nuls, ou rcscindibles, au choix de la partie lésée. Cf. De Lugo, op. cit., disp. XXII, n. 73.

Le principe général qui les guide est celui qui est inscrit dans le droit ecclésiastique : Fraus et dolus nemini débet patrocinari. Décrétai., 1. I, tit. iii, De rescriptis, c. 15, Sedes ; c. 16, Ex tenore. CL Fagnan, Commentaria absolutissima in quinque libros Decrclalium, 1. II, In præsentia, 8, de probationibus, n. 64, 5 vol. in-fol., Venise, 1697, t. iii, p. 137.

Cette matière ayant été traitée précédemment, voir Contrat, t. iii, col. 1663, nous n’y reviendrons pas. Notons seulement ici que, d’après le droit canon, quoique l’un des contractants eût été lésé au delà de la moitié du juste prix, le contrat était reconnu valable ; pourtant on pouvait demander sa rescission, ou une indemnité équivalente au dommage subi ; mais rien de plus. Cf. Décrétai., 1. III, tit. xvii, De emplione et venditione, c. 3, Quum dilecti ; c. 6, Quam causa. Cf. Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum, 1. III, tit. xvii, § 8, n. 184 sq., 12 in-4°, Rome, 1843-1845, t. vi, p. 144-155. Cependant, chose singulière, le mode de réparation à faire, soit par rescission du contrat, soit par indemnité, n'était pas laissé au choix de la partie, lésée, comme semble le réclamer le droit naturel et comme l’enseignent la plupart des théologiens ; mais bien à la volonté de celui qui avait commis la fraude. C'était en vertu de f’axiome du droit : Elcctio in alternativis est debitoris, cl sufficit alterutrum adimpleri. Rcgul. lxx, in VI. Cf. Schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum,

loc. cit., n. 189, t. VI, p. 117. Il y avait, toutefois, à cet axiome de notabfes exceptions. Cf. Reiffenstuel, Jus canonicum universum juxla tilulos quinque librorum Dicrelalium, in reg. lxx juris, 6 in-fol., Venise, 1730-1735, t. vi, p. 141-144.

4° Des exemples de fraudes postérieures au contrat et réalisant pleinement la définition, execulio astutiæ ad decipiendum per facla, se rencontrent assez souvent dans les transactions commerciales au sujet de marchandises à cours variables. Entre la date de l’acte de vente et la date fixée pour la livraison, la marchandise peut hausser de prix. Si, alors, le vendeur, prévoyant cela, retarde la livraison et dispose de la marchandise pour profiter du cours plus élevé qu’elle a atteint, il frustre l’acheteur du profit que celui-ci aurait réalisé, et s’enrichit ainsi à ses dépens. C’est une fraude manifestement coupable et injuste, car, suivant l’axiome du droit et de la théologie morale, res fruclificat domino. Or, l’acte de vente est accompli par le consentement des deux contractants, avant même la livraison de la marchandise. Le transfert de la propriété a donc été opéré par le consentement mutuel du contrat, et l’acheteur est devenu propriétaire. Le vendeur ne peut donc plus sans injustice disposer d’une chose qu’il a encore en sa possession, puisqu’il ne l’a pas encore livrée, mais dont il n’a plus le domaine.

De son côté, l’acheteur commettrait une fraude identique, si, le prix de la marchandise ayant baissé, il refusait, sous de vains prétextes, soit de prendre livraison, soit de payer le prix convenu au moment de l’acte de vente, car, suivant un autre axiome qui n’est que le corrélatif de celui que nous avons cité tantôt, res péril domino.

Un autre cas de fraude, per facla, postérieure au contrat, est celui du débiteur qui se rend volontairement insolvable, quand le créancier, se fiant à sa bonne foi, n’a demandé ni gage, ni hypothèque légale. Ce débiteur commet évidemment une faute théologique, et comme il tire de son action un avantage personnel au préjudice de son créancier, il est tenu à restitution. Il s’est évidemment enrichi aux dépens de son créancier, quand, par exemple, il a vendu ses immeubles, et en a converti le prix en rentes au porteur sur l'État, valeurs par conséquent insaisissables. La faute est identique, et identique aussi l’obligation de restituer, pour celui qui, de connivence avec le débiteur malhonnête, consent volontairement et sciemment à devenir acquéreur de ses biens dans ces conditions. Cf. Reiffenstuel, Jus canonicum universum juxla titulos quinque librorum Decretalium, 1. III, tit. xvii, De emplione et venditione, § 7, n. 145-211, t. iii, p. 233 sq.

5° Outre les fraudes commises contre les personnes et contre la justice, les théologiens moralistes, comme les anciens juristes romains et les légistes des diverses nations modernes, font fréquemment mention de la fraude contre la loi. Quelqu’un est dit agir in fraudem legis, lorsque, soucieux, en apparence, d’observer la lettre de la loi, il en viole l’esprit. Dicitur et fraus fieri contra legem, aut ipsi legi, quando, arlificio quodam, ita agitur contre, mentem legis, ut tamen videamur Mi non repugnare. Lessius, De justifia et jure eseterisque virtutibus cardinalibus, 1. I, c. ii, De partibus prudenliæ et viliis oppositis, dub. iv, n. 27, p. 29.

Les exemples qu’on peut en apporter sont nonibreux et variés. Ainsi, par exemple, pour se dispenser de la loi du jeûne, quelqu’un entreprend, un jour où le jeûne est obligatoire, mais sans motif, un travail pénible qui, de soi, dispense du jeûne ; ou bien un pécheur ayant à accuser des péchés réservés dans son diocèse va dans un autre diocèse où ces péchés ne sont pas réservés, et s’y rend uniquement, ou principa-