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FRATICELLES


témoigna de la bienveillance ; Célestin V les porta dans son cœur. Saint Louis de Toulouse tenait quelques-uns d’entre eux en grande amitié. Le bienheureux Simon de Cascia, de l’ordre des augustins, au cours des prédications qu’il fit à Florence peu de temps avant sa mort (1348), louait Ange de Clareno qu’il regardait comme son père spirituel. Plusieurs des fraticelles les plus connus ont été, dans l’ordre franciscain, l’objet d’un culte que l’Église a ratifié ou toléré. Le Martyrologium franciscanum du récollet Arthur du Moustier (a Monaslerio), 2e édit., Paris, 1653, p. 100-101, 157158, 182-183, 407-408, 605, 628-629, enregistre, parmi les bienheureux, avec Pierre de Jean Olivi, précurseur des fraticelles, Thomas de Tolentino et trois de ses compagnons martyrisés en Arménie (1321), Ange de Clareno, Libérât, Conrad d’Offida, Jacopone de Todi. Remarquons toutefois que saint Libérât, dont Clément XI approuva le culte en 1713, ne semble pas avoir été le fondateur des fraticelles, mais un autre Libérât. Cf. Benoît XIV, De servorurn Dei beatificationc et beatorum canonizatione, 1. II, c. xxiv, § 34, Opéra omnia, Bassano, 1767, t. ii, p. 94-96. Ce n’est pas tout. De l’association des fraticelles sortit, à une date et dans des conditions restées obscures, l’ordre des clarénins ainsi dénommés d’Ange de Clareno, reconnu par l’Église et qui subsista jusqu’à la fin du xvie siècle. Vers le milieu du xive siècle, au petit couvent de Brogliano, entre Camerino et Foligno, « dans une contrée montagneuse plus particulièrement pénétrée de la pure tradition franciscaine, et qui avait été, depuis plus d’un siècle, comme la citadelle des zelanti, » sous l’impulsion du bienheureux Jean de Valle et avee l’autorisation du ministre général de l’ordre, naquit le mouvement qui reçut le nom d’observance, et « devait finir plus tard par ramener à l’austérité primitive la presque totalité des frères mineurs » et sauver ce qu’il y avait de meilleur dans le programme des fraticelles ; mais « plus prudents, plus modestes, plus dociles » que les fraticelles, les observantins « se dégageaient du joachimisme, ne parlaient plus de transformer l’Église, ni de faire schisme dans leur ordre. » P. Thureau-Dangin, Saint Bernardin de Sienne (1380-1444), Paris, 1896, p. 262-263. Or, les compagnons de Jean de Valle accueillirent quelque temps Clareno parmi eux et sans doute subirent son influence ; ainsi se transmettait, pour ne jamais périr, à l’ordre de saint François quelque chose de l’idéal des pauvres ermites du pape Célestin V.

III. Doctrines.

Après avoir dit que la seule hérésie qui ait vraiment agité l’Italie au xive siècle fut la doctrine de la pauvreté du Christ, C. Dejob, La foi religieuse en Italie au XIVe siècle, Paris, 1906, p. 309310, avance que la révolte des fraticelles contre l’autorité ecclésiastique « n’entraîna pas d’atteinte au dogme. » Déjà la bulle Sancla romana de Jean XXII prouve le contraire ; le pape y déclare que ipsorum quamplurimi, sicut ftde digna relatione percepimus, a veritale catholiese fidei déviantes ccclesiastica sacramenta despiciunt ac errores alios sludent mullipliciler seminare. L’indication est vague ; d’autres textes donnent des précisions. Les griefs portés par les conventuels, du temps de Boniface VIII, contre Clareno et ses disciples, cf. Archiv fur Literatur und Kirchengeschichle des Mittelalters, Berlin, 1888, t. iv, p. 1-2, furent au nombre de six : 1° ils déniaient au pape le pouvoir d’obliger l’ordre de saint François à posséder en commun ; 2° ils soutenaient que l’autorité du pape n’existait plus, qu’elle avait passé aux spirituels et qu’elle resterait dans leurs mains tant que l’Église ne serait point réformée ; 3° ils ajoutaient que Boniface VIII n’était pas le pape légitime ; 4° ils disaient que le pouvoir d’ordre et celui de juridiction n’existaient plus que chez eux ; par conséquent, toute ordination faite

par le pape ou les évêques était invalide ; 5° ils prétendaient que l’Église d’Orient doit être préférée à l’Église d’Occident ; 6° empiétant sur le pouvoir ecclésiastique, ils administraient les sacrements, prêchaient et fondaient des couvents sans autorisation. Clareno repoussa énergiquement ces accusations et professa, jusqu’au pontificat de Jean XXII, une parfaite soumission à l’Église. Voir une belle profession de foi de lui dans Archiv fur Literatur und Kirchengeschichle des Mittelalters, Berlin, 1885, t. i, p. 523. Mais ultérieurement Clareno enseigna que le pape n’avait pu nier la pauvreté absolue du Christ et de ses apôtres sans se condamner lui-même et tomber dans l’hérésie ; que la règle de saint François s’identifie avec l’Évangile et que le pape n’a pas le droit d’y toucher ; que « le seul remède était de laisser son manteau aux mains des persécuteurs, de saisir sa règle, de choisir en partage la pauvreté évangélique, et d’aller se cacher au fond de quelque retraite solitaire, jusqu’au jour où Dieu, dans les desseins cachés de sa miséricorde, changerait enfin la face des choses et donnerait une vie nouvelle à son Église. » Cf. Archiv, 1. 1, p. 567. Les plus modérés des fraticelles adoptèrent cette manière de voir de Clareno. Allant plus loin, d’autres rejetèrent la légitimité du pape Boniface VIII d’abord, celle de Jean XXII ensuite, et justifièrent toutes les accusations doctrinales portées contre eux. Ils proclamèrent quod Ecclesia romana facla est merelrix et, ad hoc ut possit melius fornicari, transivit ultra montes. A les en croire, ils étaient la véritable Égliseï En Sicile, ils élurent (vers 1313) un pape nommé Célestin ; un peu plus tard, dans le midi de la France, ils désignèrent pour pape frère Guillaume Giraud à la place de Jean XXII. Cette théorie des deux Églises, l’une, l’Église romaine, charnelle, riche, souillée de crimes, l’autre, la leur, spirituelle, pauvre, sainte, seule vraie, fut chère au groupe sicilien d’Henri de Ceva ; Jean XXII, dans sa bulle Minorumfralrum (1318), cf. Raynaldi, Annal, eccl., an. 1318, n. 45-51, leur attribue encore les doctrines suivantes : 1° en aucun cas le serment n’est licite ; 2° les prêtres pécheurs perdent le pouvoir d’administrer les sacrements ; 3° la promesse du Christ d’envoyer le Saint-Esprit n’a pas été réalisée dans les apôtres, mais se réalise en eux ; 4° ils parlent contre le sacrement du mariage. Évangélicité de la règle de saint François, déchéance de la papauté et de l’Église romaine, invalidité des sacrements conférés par les prêtres hérétiques et indignes, autant de points fondamentaux dans la croyance des béguins de la France méridionale ; ils y ajoutent un culte enthousiaste pour la mémoire et les écrits de Pierre de Jean Olivi, disant quod lola doctrina et scriplura fralris Pétri Johannis Olivi… est vera et catholica, et eamdem credunt et dicunt fuisse a Domino revelatam, qu’il est lumen et lux quam Deus misil in mundum, et propler hoc illi qui non vident islud lumen ambulant in tenebris. Bernard Gui, Practica inquisitionis herelicc pravilalis, édit. C. Douais, p. 272, 273. Les idées d’Olivi sur la fin du monde prochaine hantent leur imagination. Du reste, beaucoup de fraticelles se repaissent volontiers des rêves millénaires du joachimisme. La thèse de l’invalidité des sacrements administrés par les mauvais prêtres leur est commune avec les arnaldistes et les vaudois. Par ailleurs, en s’éloignant de leur point de départ, surtout dans la deuxième moitié du xive siècle, alors que la discorde s’introduisit dans leurs rangs, certains fraticelles pratiquèrent un échange de doctrines avec diverses sectes hérétiques, notamment avec les apostoliques et avec les frères du libre esprit. Pour Nicolas Eymeric, Dircctorium inquisitorum, part. II, q. xv ; part. III, p. 206-207, 294, béghards, béguins, fraticelles, michaélites, frères de la pénitence du tiers-ordre de saint François, c’est tout un. G. Boffito. Erclici in Pie-