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FRATICELLES


divers incidents, après l’intervention en faveur des spirituels d’Arnaud de Villeneuve, médecin du pape, voir t. i, col. 1975, 1977, Clément V se réserva l’examen de leur cause au concile de "Vienne ; en attendant, il les autorisait à vivre en commun.

C’est vers ce temps-là que le mot fraticelle fut introduit dans la circulation. Faut-il admettre qu’entre fraticelles et spirituels il y eut identification complète, que la distinction fut purement géographique en telle sorte que les spirituels d’Italie se dénommèrent fraticelles et les fraticelles de Provence spirituels ? Faut-il, tout en reconnaissant que les spirituels de Provence furent, dans l’ensemble, de vrais fraticelles moins le nom, distinguer deux groupes de spirituels d’Italie et d’ailleurs, les uns réfractaires à l’idée d’une scission dans l’ordre, tels Olivi et le bienheureux Conrad d’Offida, les autres, et ce sont les fraticelles, avec Clareno pour chef, constituant une société religieuse autonome et réclamant le maintien de la séparation ? Cf. Tocco, Studii jrancescani, p. 397-399 ; René de Nantes, Histoire des spirituels dans l’ordre de saint François, Paris, 1909, p. 371-372. La seconde opinion est préférable. Le principal défenseur des spirituels, au concile de Vienne fut Hubertin de Casale et les principaux opposants furent les conventuels Bonagrazia (Boncortese) de Bergame et Raymond de Fronsac. Clément V, par la décrétale Exivi de paradiso (6 mai 1312), donna satisfaction au parti de la réforme ; en outre, il sévit contre les chefs des conventuels. Toutefois la constitution Exivi de paradiso, telle que nous la lisons dans les Clémentines, 1. V, tit. xi, cl, si elle, est une justification des spirituels et une interprétation de la règle conforme à leurs idées, ne leur permet pas de garder leur autonomie et les soumet aux supérieurs de l’ordre. C’était laisser la porte ouverte aux difficultés. Elles se multiplièrent. En dépit des efforts du pape, l’œuvre d’apaisement ne progressa pas. Après la mort de Clément (1314), durant le long interrègne qui précéda l’élection de Jean XXIL la querelle devint plus âpre, surtout dans la France méridionale.

2° A partir de l’élection de Jean XXII (1316). — Jean XXII désapprouvait le mouvement séparatiste qui troublait l’ordre franciscain. Il le montra par une série de mesures, que couronna la bulle Sancta romana du 30 décembre 1317. Elle dissolvait les associations de fraticelles, ainsi que celles des béguins et des bizoques, formées sous leur inspiration ou selon leur esprit. La condamnation ne visait pas seulement le présent, elle portait sur le passé ; à dater de la révocation par Boniface VIII des privilèges de Célestin V, les frères qui s’étaient séparés de l’ordre avaient été, déclarait le pape, en dehors de la vie religieuse, c’étaient des profanée multilndinis viri. La bulle précisait que ceux qu’elle frappait se trouvaient en Italie, en Sicile, dans le midi de la France et dans diverses provinces en deçà et au delà des mers.

Ces derniers se rencontraient en Arménie, en Achaïe, en Thessalie, dans ces régions d’Orient qui, à certaines heures pénibles, avaient servi d’asile aux pauvres ermites. Le midi de la France, principalement les couvents de Narbonne et de Béziers, furent un centre plus important d’opposition à l’observance large parmi les franciscains du premier ordre. Quant aux béguins, qui se disaient tertiaires de saint François, Bernard Gui, Praclica inquisitionis herelice pravitatis, édit. C. Douais, Paris, 1886, p. 264, nous apprend qu’ils apparurent en Provence, dans les provinces de Narbonne et de Toulouse et dans la Catalogne. Il ajoute, dans son latin inquisitorial : plures capti, et détend, et deprehensi in erroribus, et plures ulriusque sexus inventi sunt et judicati herclici et combusti, cela en 1317, surtout à Narbonne, à Béziers, dans le diocèse d’Agde, à Lodève, à Lunel, à Carcassonne et à Toulouse. La

répression continuâmes années suivantes. Un des principaux épisodes fut la comparution devant Jean XXII du célèbre franciscain Bernard Délicieux et de soixante-quatre spirituels des maisons de Béziers et de Narbonne ; vingt-cinq furent livrés à l’inquisiteur, quatre furent brûlés, à Marseille, comme hérétiques, un cinquième fut condamné à la prison perpétuelle, les autres furent contraints à désavouer publiquement leurs erreurs. Bernard Délicieux subit un procès, dans lequel l’accusation ne porta plus sur son adhésion au parti des spirituels, mais sur d’autres points plus sûrement compromettants ; mis en prison, il y mourut (1320).

Moins violente et plus tardive en Italie, la répression fut cependant sérieuse. Ange de Clareno, qui résidait en Avignon auprès du cardinal Jacques Colonna, l’ancien adversaire de Boniface VIII, fut d’abord emprisonné par ordre de Jean XXII à la suite de la constitution Sancta romana. Il recouvra la liberté, moyennant la promesse d’entrer, non plus dans l’ordre des pauvres ermites qui était dissous, mais dans l’ordre des célestins, fondé par le même pape Célestin V qui avait approuvé les pauvres ermites, et professant de vivre et de mourir dans la très haute pauvreté du Christ. A la mort du cardinal Colonna, Clareno reprit le chemin de l’Italie (1318). Malgré ses engagements, il reconstitua la société des pauvres ermites. Il était, en apparence, un moine célestin vivant à Subiaco. En réalité, il était toujours le chef des fraticelles. Entre Subiaco et Tivoli, et à Rome même, ils avaient des maisons ; d’autres existaient dans les Marches, l’Ombrie, les provinces napolitaines, la Sicile. Tous les frères voyaient en Clareno leur ministre général. Il instituait des ministres provinciaux, des custodes et des gardiens. Il distribuait des obédiences et adressait des circulaires aux membres de sa famille religieuse dispersée. Bref, c’était la révolte contre le pape. Quinze ans s’écoulèrent sans que Clareno fût véritablement inquiété. A la faveur du conflit entre Jean XXII et Louis de Bavière, les fraticelles passaient inaperçus et recrutaient de nouveaux disciples. Jean XXII finit par fixer sur eux son attention. II ordonna de procéder rigoureusement contre les rebelles et contre leur chef (1334). Clareno évita une arrestation en se dérobant par la fuite. Trois ans après, le 15 juin 1337, il mourait dans la Basilicate, chargé d’ans, accablé d’infirmités, fidèle à son idéal.

Nous avons vu que la bulle Sancta romana visait les fraticelles d’Italie et de Sicile. On s’est demandé si les fraticelles siciliens furent uniquement des disciples de Clareno, ou si le pape n’avait pas également en vue les franciscains dissidents de Toscane, qui s’étaient réfugiés en Sicile pour échapper aux poursuites de Boniface VIII et y avaient formé, sous la direction d’Henri de Ceva, une secte vivace. Ceux-ci eurent de nombreux points de contact avec les fraticelles et le nom de fraticelles leur convient ; il leur a été appliqué assez rarement. Ils résistèrent, pendant un siècle et demi, à une répression énergique.

Dans ces débats, de pratique la question de la pauvreté était devenue théorique. La question pratique, propre aux frères mineurs, regardait le mode et la mesure de l’application de la règle franciscaine ; la question théorique était universelle et se référait à la teneur de la vie évangélique et à la pauvreté du Christ et de ses apôtres. On passa rapidement de l’une à l’autre après que Jean XXII eut pris une attitude différente de celle de Clément V. Celui-ci, dans la constitution Exivi de paradiso, avait adopté la doctrine de l’usage pauvre et donné raison, en partie, aux spirituels. Jean XXII, dès le commencement de son pontificat, pencha du côté des conventuels. Eng dans cette voie, il alla plus loin. Une pouvait admettre