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FRATICELLES

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suivre la règle du saint à la lettre, bien qu’ils ne relèvent ni du général ni des provinciaux de cet ordre. Ils prétendent avoir été approuvés par le pape Célestin V, ce qui, même s’ils en fournissaient la preuve, ne serait pas valable, car Boniface VIII a révoqué toutes les concessions de Célestin V. Quelques-uns mettent en avant des approbations d’évêques ou d’autres supérieurs. Certains se donnent pour des tertiaires de saint François. Le pape dissout ces groupements et annule leurs actes. Ce que Jean XXII condamne, c’est donc une forme de vie religieuse indépendante des ordres approuvés par l’Église. Ceux qui en font profession se réclament de l’ordre de saint François : ce sont, d’une part, des soi-disant religieux qui se disent observateurs stricts de la règle de saint François et approuvés par Célestin V, et, d’autre part, des gens qui tiennent par des liens plus ou moins lâches au tiers-ordre de saint François. On les nomme fraticelles ou frères de la pauvre vie, bizoques ou béguins.

Ainsi les fraticelles n’apparaissent pas aux origines franciscaines. Ils ne se confondent pas avec les franciscains joachimites, quoiqu’ils aient, en général, des tendances nettement joachimites ; il y a des joachimites en dehors des fraticelles et il y en a eu avant eux. Fraticelle n’est pas l’équivalent de spirituel ; les fraticelles sortent des rangs des franciscains spirituels dont ils constituent une fraction extrême, mais ils n’existent qu’à partir du pontificat de Célestin V, tandis que les spirituels, bien que cette appellation ne soit guère plus ancienne que celle de fraticelles, remontent aux premiers temps de l’ordre. La question des fraticelles n’est pas toute la question de la pauvreté qui se posa au xiii c et au xive siècle. Les fraticelles ne figurent point dans la lutte contre Guillaume de Saint-Amour et interviennent peu dans les débats entre franciscains et dominicains. Quand Jean XXII eut réglé la question de la pauvreté, il eut contre lui, avec les fraticelles, les spirituels et une portion importante des conventuels. Ces derniers, à la suite de Michel de Césène, général de l’ordre — d’où leur nom de michaélites — et de Guillaume Occam, s’unirent à Louis de Bavière contre Jean XXII et soutinrent non seulement, comme les spirituels et les fraticelles, que le pape avait outrepassé ses droits, mais encore que l’empereur pouvait le déposer et lui substituer un autre pape. Les fraticelles, nous le verrons, ne marchèrent pas avec eux. C’est abusivement qu’on a désigné les michaélites sous le nom de fraticelles. Cf. L. Richard, Bulletin critique, Paris, 1885, t. vi, p. 350 ; F. Tocco, Studii francescani, Naples, 1909, p. 272277. A plus forte raison devons-nous rejeter la thèse deWadding que les fraticelles n’eurent rien de commun avec les franciscains, que les fondateurs de cette secte furent le cathare bagnolais Hermann Pongiluppi et les chefs des apostoliques, Segarelli et Dulcin. Cf. F. Ehrle, Archiv fur Literatur und Kirchengeschichle des Miitelalters, Berlin, 1888, t. iv, p. 153-158.

Les fraticelles sont des franciscains spirituels qui se rattachent à Célestin V et qui veulent vivre séparés du reste de l’ordre. Dans leur sillage on trouve des tertiaires franciscains, plus ou moins authentiques, des prétendus religieux qui entendent avoir une existence religieuse indépendamment des ordres approuvés par le Siège apostolique : ce sont les bizoques et les béguins hétérodoxes.

Les noms.

Le mot fralicclli, ou fratricelli, ou

fraterculi, en français fraticelles, ou fratricelles, ou frérots, a désigné parfois des ermites ou des pénitents orthodoxes, par exemple, dans la canzone Spirto gentil de Pétrarque. Sonetti, canzonie triomphi, Venise, 1541, fol. 41 b. Au commencement du xive siècle, il fut appliqué aux franciscains spirituels que Célestin V

avait autorisés à se détacher de l’ordre et à former la communauté des pauperes heremilse domini Celeslini ; du moins ne se trouve-t-il dans aucun document du xme siècle. Nous le rencontrons, pour la première fois, dans la bulle Sancta romana de Jean XXII. Il ne fut guère en usage qu’en Italie ; il ne passa pas dans la France méridionale et, s’il fut question des fraticelles d’Allemagne, ce fut tardivement et pour désigner des hérétiques qui étaient plutôt des frères du libre esprit que des fraticelles proprement dits. Avec le temps, les fraticelles se ramifièrent : dans un procès contre les fraticelles de Naples (1362), nous voyons que, sans parler de ceux qui se rattachaient à leur fondateur, Ange de Clareno, la secte avait deux fractions, dont l’une reconnaissait pour chef frère Thomas, exévêque d’Aquin, et l’autre était sous la direction d’un ministre général. Les membres de cette dernière fraction s’appelaient fraticelles de ministro, ou parfois frères de la pauvre vie, frères évangéliques, frères de la vérité, frères de frère Philippe de Majorque (du nom du fils du roi Jacques II, fraticelle fervent), ou encore vrais irères mineurs. Enfin, assez communément les textes de la fin du xive siècle et du xve qualifient ces hérétiques de fraticrlles de l’opinion, de opinione (ils appelaient opinion l’ensemble de leurs doctrines) ; il arrive même que le mot fraticelles disparaît, et qu’ils sont nommés simplement « ceux de l’opinion » , par exemple, dans un mémoire de l’augustin André de Cascia contre saint Bernardin de Sienne. Cf. L’université catholique, Lyon, 1890, t. vi, p. 579, note 1.

Le mot béguin a eu des significations différentes. II y eut des béguins, des béguines et des béghards orthodoxes ; il y en eut d’hétérodoxes, et ces derniers furent de deux sortes, les uns se rattachant aux frères du libre esprit, les autres aux fraticelles. Voir t. ii, j col. 529-530. Habituellement les hérétiques du premier groupe reçoivent la dénomination de béghards et de béguines (hétérodoxes), pendant que celle de béguins est réservée aux hérétiques du second groupe. Cette règle souffre des exceptions : Nicolas Eymeric, Directorium inquisilorum, part. II, q. xv, Rome, 1578, p. 206, et son annotateur F. Pena, l. Il.sch. xxxi, p. 65, entendent par béghards uniquement des fraticelles, et Pelayo (Pelagius), De planctu Ecclesiæ, 1. II, c. li, cité par Raynaldi, Annal, eccl., an. 1317, n. 57, énumère pêle-mêle béghards, béguins, fraticelles, et présente les fraticelles sous les traits des frères du libre esprit. Sauf un petit nombre de cas, les deux catégories d’hétérodoxes apparaissent bien tranchées dans les textes ; quand les béguins sont nommés, il s’agit non pas des frères du libre esprit mais exclusivement des hérétiques frappés par Jean XXII dans la bulle Sancta romana. Le mot s’applique, en France et en Espagne, à des religieux du premier ordre franciscain ; il y est synonyme de fraticelle. Plus souvent il désigne, surtout dans le midi de la France, et aussi en Espagne et en Italie, des tertiaires franciscains, authentiques ou non, qui embrassent les idées des fraticelles.

En Italie, ces béguins, membres de sectes errantes plus ou moins affiliées au tiers-ordre de saint François, sont, dès le temps de Boniface VIII, appelés bizoqæs, de l’italien bisaccia = besace, à cause de la besace qu’ils portaient en mendiant, ou de l’italien ôz’</("o= grisbrun, à cause de la couleur de leurs habits, cf. Du Cange, Glossarium ad scriplores mediæ et infimse latinitatis, Francfort-sur-le-Mein, 1681, t. i, col. 566, et parfois pinzoeheri. En France, on a encore les expressions petits frères bis ou bisets, en raison de la couleur grise de leur costume, frères pies, frères agaches, du provençal agasso = pie, sans doute parce que quelques-uns avaient un costume mi-parti, blanc et noir, comme les pies.