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FRANÇOIS DE SALES (SAINT)


très sainte eucharistie, auquel un chacun peut participer pour unir son Sauveur a soy mesme réellement eÇpar manière de viande ? Theotime, cette union sacramentelle nous sollicite et nous ayde a la spirituelle de laquelle nous parlons. » Traité de l’amour de Dieu, 1. VII, c. ii. Et puis, si nous ne pouvons prétendre à un état’prolongé de pareille union, nous pouvons du moins la ; pratiquer en quelque sorte « par des courtz et passagers mays frequens estans de nostre cœur en Dieu par manière d’oraysons jaculatoires faites a cette intention, » I. VII, c. m. Les extases et ravissements excitent nos infructueux désirs. Si les extases de l’entendement et les extases de l’affection sont trop hautes pour notre petitesse, il nous reste les extases et ravissements de l’action, où nous pouvons nous donner libre carrière, « quand nous ne vivons plus selon les raysons et inclinations humaines, mays au dessus d’icelles, selon les inspirations et instinetz du divin Sauveur de nos âmes, » 1. VII, c. vin. Enfin dans les enseignements donnés a Theotime, comme dans ceux qu’avait déjà reçus Philothée, notre saint place l’exercice de l’humilité et des solides vertus bien au-dessus des « unions deifiques et autres telles perfections… ; ces perfections ne sont pas vertus… Et il ne faut pas prétendre a telles grâces, puisqu’elles ne sont nullement nécessaires pour bien servir et aymer Dieu. » Introduction à la vie dévole, part. III, c. ii.

Il nous reste à dire quelques mots de l’appui que Fénelon crut trouver en certains textes du saint docteur, des réponses de Bossuet, et aussi de ses attaques.

Fénelon avait appuyé sur l’autorité de saint François de Sales ses théories du pur amour. En cet état, selon lui, notre âme, envisageant Dieu comme infiniment aimable en soi, sans aucun regard sur ses bienfaits et sur notre intérêt propre, pouvait se rendre indifférente à tout et laisser de côté le désir des vertus, et même le désir du salut. C’était la suppression pratique de la vertu théologale d’espérance. Bossuet, dans son Instruction sur les étals d’oraison, , venge admirablement la vertu d’espérance, et montre l’abus criant que font « les nouveaux mystiques » de paroles isolées de leur contexte et détournées de leur vrai sens, « quoiqu’il n’y ait rien qui leur soit plus opposé que la doctrine et la conduite du saint évêque…, qui était en cette matière, sans contestation, le premier homme de son siècle. » Il fait remarquer judicieusement que « les écrivains qui, comme ce saint, sont pleins d’affections et de sentiments, ne veulent pas toujours être pris au pied de la lettre. Il se faut saisir du gros de leur intention ; et jamais homme ne voulut moins pousser ses comparaisons ni ses expressions à toute rigueur que celui-ci. » Il entre ensuite en plein dans la question et montre le vrai sens de tous ces passages que Fénelon emprunte au saint : la maxime « Ne rien demander, ne rien refuser ; » la sainte et parfaite indifférence qu’il a enseignée au Traité de l’amour de Dieu, comme aussi les comparaisons restées célèbres de la statue, du musicien sourd, de la fille du chirurgien, de la reine Marguerite, etc. Saint François de Sales recommande l’indifférence en tout ce qui n’est pas la volonté de Dieu ; mais cette indifférence, qui au fond est le dernier mot du véritable amour, ne doit et ne peut jamais tomber sur ce qui est de la volonté de Dieu déclarée et signifiée ; son domaine exclusif est ce qui concerne la volonté dite de bon plaisir, celle qui concerne les événements de la vie que nous devons subir indépendamment de notre volonté. Non seulement le saint évêque n’a jamais sacrifié ni amoindri l’espérance, à qui il fait une si belle place dans le Traité de l’amour de Dieu, mais encore « tout est rempli, dans ses Lettres, de la céleste patrie. » Bossuet, États d’oraison, 1. VIII, IX, édit. Gaume, t. ix.

Bossuet, fatigué de se heurter sans cesse à de nouvelles allégations empruntées au saint évêque, exaspéré d’entendre Fénelon répéter à tout propos que « les particuliers ne doivent jamais se donner la liberté de condamner ni les sentiments ni les expressions d’un si grand saint, » sentit un jour la patience lui échapper. Après avoir réclamé le droit de ne pas accorder toujours une autorité doctrinale infaillible aux saints canonisés, il voulut renverser le dernier rempart de son adversaire et il entreprit d’établir que l’évêque de Genève, en fin de compte, n’était point une aussi grande autorité en matière de dogme qu’en matière de direction : « On ne trouvera pas toujours sa doctrine si liée ni si exacte qu’il serait à désirer. » Et à l’appui de sa thèse Bossuet prétendit trouver trois erreurs pélagiennes ou semi-pélagiennes dans les c. xvi et xvii du 1. I du Traité de l’amour de Dieu, où le saint docteur parle de « l’inclination naturelle d’aymer Dieu sur toutes choses » qui se trouve en nous. Saint François de Sales considère-t-il ces « commencements d’amour » comme une affection d’ordre surnaturel ? Bossuet le pense, et dénonce l’erreur. Une lecture attentive ne permet pas une pareille interprétation. Le saint envisage ces « commencements d’amour » comme un sentiment purement naturel qui ne peut préparer positivement l’âme à la justification, mais qui est capable seulement de la disposer négativement, en écartant les obstacles, et mettant l’homme en état d’être saisi tout gratuitement par la grâce. C’est ce que Fénelon démontra victorieusement dans sa réponse, plus solide en cette défense du saint docteur qu’il ne l’était sur son propre terrain. Cf. Bossuet, Préface sur l’Introduction pastorale de M. de Cambrai, sect. xi, édit. Gaume, t. ix, p. 413. Fénelon, 5e lettre en réponse aux divers écrits…, édit. Gaume, t. ii, p. 620 sq. ; dom Mackey, Œuvres complètes, t. iv, p. lvi. Il n’y avait au fond, en plusieurs points de ce désaccord entre Bossuet et saint François de Sales, qu’une question libre d’école, où Bossuet prétendait trouver une question de doctrine. En ce qui concerne, en particulier, les conditions de l’acte surnaturel, on sent chez saint François de Sales l’influence de saint Bonaventure et de Molina.

On sait comment la lutte qui avait passionné l’Église de France se termina par l’humble soumission de Fénelon. Les allégations de Bossuet contre la doctrine de saint François de Sales laissèrent-elles des traces dans l’esprit des contemporains, et jetèrent-elles quelques nuages sur la réputation doctrinale de l’évêque de Genève ? Peut-être, dans les premiers temps qui suivirent. Cependant, au cours du xviiie siècle, le savant pape Benoît XIV rendit à la doctrine de saint François un éclatant témoignage qui est cité dans le bref de doctorat : Suis antecessoribus eoncinens Benedictus XIV, sanetissimse mémorise, libros Gcncvensis prsesulis scienlia divinitus acquisita scriplos affirmarc non dubilavit, illius aucloritale usus difficiles quæstioncs solvit, « sapicnlissimum animarum rectorcm » appellavil, 1. 1, p. xiii.

Enfin Pie IX, résumant les sentiments de ses prédécesseurs et répondant au vœu exprimé par les Pères du concile du Vatican, déclara solennellement que la doctrine de François de Sales brille de telle sorte qu’elle est tout à fait celle d’un docteur de l’Église : Quse nimirum in sublimi sanctilatis culmine ita in eo supereminel, ut docloris Ecclesise Ma propria sit virumque hune inler præcipuos magistros Sponsæ suse a Christo Domino dalos, accensendum suadeat, t. i, p. xviii. Et l’auréole des docteurs de l’Église vint consacrer définitivement l’autorité de la doctrine salésienne.

L’influence que saint François de Sales a exercée pendant sa vie n’a fait que grandir dans les trois siècles suivants, apportant aux âmes le contrepoison