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FRANÇOIS DE SALES (SAINT


]>. xi. i. Une autre question est celle des conditions de l’acte surnaturel dont nous parlons un peu plus loin.

Le bref de doctorat signale l’autorité dont jouissait déjà dès son vivant la science théologique de François de Sales : Clément VIII le choisit pour aller discuter avec Bèze et tâcher de ramener l’hérésiarque : « Une autre preuve non moindre de l’estime dont jouissait le saint évêque, ajoute-t-il, c’est qu’à l’époque où s’agitait à Rome la célèbre discussion De auxiliis, notre prédécesseur Paul V, de sainte mémoire, voulut avoir sur la matière l’opinion du saint prélat, et que, déférant à son avis, il jugea que la discussion si vive et si longtemps prolongée, sur une question très subtile et pleine de périls, devait être assoupie par le silence imposé aux partis, » t. i, p. xvi.

Cette théologie solide et profonde, que nous avons admirée dans le Traité de l’amour de Dieu, François a su la faire simple, claire, saisissable à tous. D’abord, il n’aimait point qu’on encombrât la théologie, comme c’était la mode alors, d’un amas de paroles « méthodiques, lesquelles bien qu’il faille employer en enseignant sont néanmoins superflues, et si je ne me trompe importunes en écrivant. » Lettres, t. xv, let. dccxxiv. Dans ses livres comme dans ses sermons, il adaptait ses leçons à la capacité intellectuelle de ses lecteurs et de ses auditeurs de façon à être toujours compris. Il constate lui-même avec une certaine satisfaction qu’« il règne aux endroits les plus malaysés de ces discours une bonne et aymable clarté. » Et tout en se mettant ainsi au niveau des humbles.il n’en captive pas moins l’attention des plus savants.

Un autre caractère de sa théologie, c’est d’être affective ; elle parle non seulement à l’intelligence, mais au cœur, et elle fait de l’étude une véritable oraison. Il recommandait cette méthode à l’auteur d’un traité de théologie : « J’appreuverois qu’es endroitz ou commodément il se peut vous fissiez les argumens pour vos opinions en ce style (affectif). » Ibid. Ce caractère très particulier, qui peut sembler quelque peu singulier au premier abord, est la conséquence immédiate du grand principe pratique sur lequel le saint docteur a étayé sa vie tout entière : tout, dans notre vie, doit être employé pour nous unir à Dieu, prière, travail, étude, occupations, devoir, souffrances, contradictions, en toute circonstance, à tout instant. Ce n’est pas seulement une belle théorie qu’il expose, c’est une direction d’intention qu’il veut incessante ; la théorie passe à la pratique ; et c’est ainsi que la théologie spéculative devient, à son grand avantage du reste, une oraison.

2° La théologie morale de saint François est caractérisée aussi par la clarté. Il veut qu’on voie clair dans la conscience humaine, dont il a exploré tous les coins et recoins. Il a nettement exposé ces luttes mystérieuses de la volonté aux prises avec le péché dans le drame obscur de la tentation, et il aide à discerner le point précis et capital où l’âme passe du sentiment au consentement. Cette morale si nette est encore une morale humaine, vécue, à la portée de toutes les bonnes volontés, s’accommodant de toutes les situations qui sont dans le devoir ; elle est bien éloignée de la morale austère et exagérée des jansénistes.

Le principe qui a dirigé ses spéculations dogmatiques pénètre aussi dans sa théologie morale. Il insiste auprès de l’âme afin qu’elle ne s’en tienne pas avec Dieu aux rapports de la simple vie chrétienne ; il prêche la dévotion, la perfection toujours grandissante de l’amour de Dieu qu’il veut voir opérer « soigneusement, fréquemment et promptement. » On l’a appelé à juste titre le docteur de la dévotion, le docteur de la piété chrétienne.

3° La doctrine ascétique du saint peut se résumer ainsi : 1. Le but, c’est l’union de l’âme à Dieu par la

conformité incessante avec la volonté divine : « Que toute leur vie et exercice soient pour s’unir avec Dieu, » écrit-il à la première page du Directoire spirituel des visitandincs : c’est une vie d’obéissance, de fidélité aimante, délicate, généreuse, constante à la volonté de Dieu, laquelle volonté de Dieu, il nous l’apprend, Traité de l’amour de Dieu, 1. XII, c. vi, n’est autre chose pratiquement que le devoir du moment présent.

2. La méthode, la marche à suivre, c’est d’aller tout droit au but, se confiant à Dieu pour triompher des obstacles. Toute vie spirituelle comprend en général deux grands exercices : a) la lutte contre la nature viciée ; b) l’union de la volonté à Dieu ; en d’autres termes, la pénitence et l’amour. Saint François de Sales prend pour premier et principal objectif l’amour. Il ne néglige point la pénitence, élément absolument nécessaire. Il exige la mortification des sens ; il recommande à Philothée la discipline et le jeûne : cependant il place en première ligne la mortification de l’esprit, de la volonté et du cœur. Et la mortification qu’il met avant toute autre, c’est celle qui consiste à couper court à la nature pour être tout au devoir du moment présent et à la volonté de Dieu, tout à l’amour. Cette mortification intérieure, toujours possible, même quand certaines mortifications extérieures ne le sont pas, il la demande incessante, et accomplie par amour.

3. Le modèle, le soutien, c’est Notre-Seigneur qu’il faut regarder à tout instant : « Vous apprendrez ses contenances et formerez vos actions au modèle des siennes, » Introduction à la vie dévole, part. II, c. i ; c’est sous son regard qu’il faut faire toutes choses : « encore que nous ne le voyons pas, si est-ce que de lahaut il nous considère, » c. n ; c’est sur lui qu’il faut nous appuyer avec confiance : « Tout par luy, tout pour luy, tout avec luy, tout luyl » t. iv, let. dxcii, p. 289.

4. Les moyens pratiques pour aider l’âme dans l’accomplissement de la volonté de Dieu sont : a) l’oraison simple et affectueuse ; b) le souvenir de la présence de Dieu ; c) la direction d’intention fréquente ; rf)le recours à Dieu par de pieuses et confiantes invocations de bouche, ou aspirations de cœur. Il faut joindre à cela l’humble confession et la communion fréquente.

Cette doctrine spirituelle, simple, accessible à tous, sûre, est appréciée ainsi, au bréviaire romain : Suis cliam scriptis, cselesti doclrina refertis, Ecclesiam illuslravil, quibus iler ad christianam perfeclionem tutum et planum demonslrat. Les termes employés par le décret et par le bref de doctorat expriment la même idée à peu près dans les mêmes termes : chemin aplani et assuré, t. i, p. xi, xviii. En voulant rendre accessibles à tous les âpres sentiers de la vertu, le saint docteur n’a pas rabaissé le niveau de la perfection évangélique. S’il rend la vertu plus facile, c’est dans un sens tout à fait relatif. A chaque page de ses écrits, en effet, est insinué le renoncement ; ce qu’il veut en premier lieu, c’est la mort à la nature mauvaise ; il est impitoyable contre elle et il ne fait grâce à aucun de ses plus minimes rejets. M. Olier ne l’appclait-il pas « le plus mortifiant des saints ? » Sans doute, dit dom Mackey, on pourrait extraire de ses ouvrages, comme de la sainte Écriture elle-même, des passages où le relâchement croirait trouver une excuse : il ne faut jamais perdre de vue que les enseignements du saint docteur forment un système complet, qui doit être envisagé dans son ensemble : ainsi considérée, chaque partie fait contrepoids à l’autre : la liberté est accordée, mais sous des conditions qui la rendent inoffensive ; un rempart n’est enlevé que pour être remplacé par un autre aussi effectif et plus pratique. Ses préceptes de spiritualité, malgré leur modeste apparence, élèvent à l’héroïsme de la vertu par la continuité de