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FRANCE. ETAT RELIGIEUX ACTUEL


de maladie, en cas de vieillesse, tout cela, dans les congrégations, fonctionnait spontanément, par cela même qu’on y menait la vie commune. Les besoins étaient restreints, les dépenses restreintes ; les préoccupations de l’avenir individuel, ou du pain du surlendemain, ne venaient pas ralentir ou déconcerter l’élan des dévouements.

Aujourd’hui, l’Église de France se trouve en présence d’individualités qui, sous son contrôle, sont toutes prêtes à distribuer l’enseignement libre ; mais ce qui manque à ces individualités, pour l’avenir, c’est la sécurité personnelle qu’assurait l’embrigadement dans une congrégation, c’est la satisfaction d’appartenir à un corps par lequel on se sentait soutenu, appuyé, protégé. Par surcroît, ces nouveaux instituteurs, ces nouvelles institutrices ont ou peuvent avoir des charges de famille : leur devoir est d’y songer, et de faire tout le possible pour élever au niveau de ces charges la rémunération de leur travail. De là, poulies paroisses et pour les diocèses, un très notable surcroît de dépenses.

Mais l’Église, sans se décourager ou s’intimider, a, bien en face, envisagé la situation. Des écoles normales se sont fondées : celles qu’a organisées dans le diocèse de Lyon l’Association régionale de l’enseignement primaire libre sont particulièrement remarquables. A Paris, l’École normale libre, fondée par M me Daniélou, et l’École normale catholique, datant de 1906, forment des professeurs pour ces écoles normales primaires libres ; l’École normale libre, qui est un établissement d’enseignement supérieur, forme aussi des professeurs pour les maisons d’enseignement secondaire des jeunes filles. Dans le diocèse de Paris, depuis le 1 er octobre 1910, la carrière d’instituteurs ou d’institutrices libres est ponctuellement réglée ; les traitements sont fixés, les conditions d’avancement sont définies ; même un système de retraites s’organise. On veut que ces fonctions cessent d’apparaître comme aléatoires ou précaires, qu’elles soient congrûment rémunérées, qu’elles soient couronnées par une vieillesse aisée.

C’est ainsi que cet enseignement libre qu’on s’imaginait blessé à mort paraît regarder l’avenir avec une certaine confiance ; et l’heure où certains espéraient l’avoir découragé et comme dissuadé de s’essayer à durer, est précisément celle où l’on voit s’inaugurer, dans certains diocèses, par l’initiative du prêtre chargé de la direction générale de l’enseignement libre, des conférences pédagogiques entre tous les prêtres chargés de fonctions éducatrices. Le diocèse d’Angers, qui possède huit maisons d’enseignement libre, fut le berceau de cette féconde nouveauté ; et l’année 1905 en marqua le point de départ. Dans l’aimée 1905-1906, ces conférences s’occupèrent, théoriquement, de l’utilité de la pédagogie, des devoirs du surveillant, des devoirs du professeur, enfin de l’éducation physique ; et pratiquement on envisagea, dans le détail, le moyen de provoquer chez les enfants des actes spontanés de piété, la méthode pour la correction des copies, les dernières initiatives des professeurs de gymnastique. Sur le programme de 1907, je relève les discussions relatives à l’éducation de la pureté, à la surveillance des récréations, aux divers systèmes de punition. En

1908, M. l’abbé Crosnier, directeur de l’enseignement libre dans le diocèse d’Angers, amena tous les prêtres qui, dans le diocèse, ont mission d’élever des jeunes gens, à méditer, devant Dieu d’abord et puis entre eux, sur les moyens de développer l’esprit d’apostolat, et sur la façon dont ils doivent, aux yeux de leurs élèves, « idéaliser » chaque vocation. Une autre année, en

1909, ils durent se préoccuper de la tactique la plus efficace pour donner à leurs élèves le sens de l’effort et le sens de la loyauté. Et puis, après une longue dis cussion sur ces attachantes et graves responsabilités, ils passaient à d’autres problèmes, concernant, par exemple, le nombre d’examens qu’il convient de faire subir au cours d’une année scolaire, ou bien la surveillance des « mouvements » quand les élevés passent d’un exercice à un autre. La formation esthétique, en 1911, donna lieu à de précieux échanges de vues, et l’examen des relations entre l’état physiologique des enfants et leur éducation semblait ouvrir une avenue vers des études nouvelles.

On ne dirait pas que ces prêtres qui discutent et besognent ainsi sont des persécutés, incertains du lendemain ; ils parlent, ils travaillent, comme si leurs œuvres d’enseignement avaient devant elles un long avenir. Et ils ont raison ; leur bel effort pour accroître sans cesse leur compétence d’éducateurs ne peut manquer de conquérir et de captiver l’opinion. Ces six ans d’essai, dans leur sérénité calme, ont quelque chose d’émouvant, et lorsqu’on lit à la suite l’un de l’autre, dans le livre de M. l’abbé Crosnier : A travers nos écoles chrétiennes, ces rapports annuels où l’on voit tout le personne] enseignant d’un grand diocèse mettre en commun les réflexions, les expériences, les aspirations, l’on augure qu’en dépit des plus légitimes alarmes ce « vouloir-vivre » perpétuera la vie.

Le diocèse d’Arras imita celui d’Angers ; il eut ses conférences pédagogiques ; et puis, en septembre 1911, il a eu, même, sa « Semaine pédagogique » . Vingt jeunes prêtres, que l’évêque destinait à entrer dans les maisons diocésaines, se réunirent à Boulogne-sur-Mer, six jours durant, pour recevoir, de certaines lèvres compétentes, des indications et des leçons sur leur métier. On reprochait à l’Église de vouloir enseigner par droit divin ; sans rien diminuer de son droit, sans rien en cacher, elle appelle au service de ce droit lui-même toutes les ressources de la technique humaine. On lui marchandait la prérogative de former un corps enseignant ; elle riposte en organisant des centres de pédagogie catholique, au nom et pour la gloire de celui que Clément d’Alexandrie appelait, il y a dix-huit siècles, le « divin Pédagogue » .

La loi de 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur continue, malgré les menaces dont elle est l’objet, d’être utilisée par l’Église à Paris, Lyon, Angers, Lille, Toulouse ; et les établissements d’enseignement supérieur qu’elle possède dans ces diverses villes ont, depuis quelques années, créé certaines branches nouvelles d’enseignement. A l’institut catholique de Paris, une chaire de pédagogies’est ouverte, quidispute à la psycho-physiologie matérialiste le monopole des études relatives à la nature et à la formation de l’enfant ; et dans cet Institut catholique qui, depuis la loi de séparation, n’a pu se maintenir dans ses bâtiments qu’en se grevant d’un très gros loyer, on a vu se créer, il y a trois ans, tout un enseignement méthodique d’histoire des religions confié à des spécialistes d’élite. Enfin l’enseignement des langues sémitiques, qui semble, dans les chaires de l’État, de plus en plus relégué au second plan, trouve à l’Institut catholique de Paris un centre d’épanouissement. Les œuvres d’< extension universitaire » créées par les facultés catholiques de Lille et d’Angers, et les écoles annexes d’industrie et d’agriculture fondées sous leurs auspices, attestent la préoccupation de l’enseignement libre de former des sujets pour les grandes fonctions soci Il semblerait, à voir de tels spectacles, que la pauvreté même de l’Église de France allège et précipite sa force d’élan — et ses élans sont des élans créateurs.

VI. Les initiatives catholiques pour l’enseignement PROFESSIONNEL ET MÉNAGER. A CÔté de

l’enseignement primaire proprement dit, l’Église a créé et développé de plus en plus un enseignement professionnel. La grande Société de Saint-Nicolas,