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FOUREZ — FOURIERISME


Charleroi, et quelque temps après, chanoine honoraire de Tournai. Théologien distingué, il a traduit en français un Abrégé de la théologie morale de saint Alphonse de Liguori, avec des notes et des dissertations par Joseph Frassinetti, 2 in-8°, Braine-le-Comte, 1889. Ce livre nous présente tout à la fois le résumé le plus succinct, le plus clair, le plus complet des doctrines morales de saint Alphonse, et le développement pratique de sa théologie. Il mourut àChâtelet, le 22 juillet 1911.

L. Salembier.

    1. FOURIÉRISME##


FOURIÉRISME. — I. Exposé. II. Histoire. III. Critique doctrinale.

I. Exposé. — Charles Fourier naquit à Besançon en 1772 et mourut à Paris en 1837. Fils de petits commerçants, c’est dans la boutique paternelle qu’il puisa sa vive horreur du commerce, qui, du reste, ne l’empêcha point d’en faire pendant presque toute sa vie. Il paraît n’avoir eu qu’une très faible éducation intellectuelle, quelque connaissance des philosophes du xviiie siècle, et une instruction scientifique assez superficielle ; il atteignait « à peine le talent du plus ordinaire assembleur de phrases, » Renouvier, Philosophie analytique de l’histoire, Paris, 1897, t. iv, p. 162 ; et il se qualifiait lui-même d’illiléré. Il n’en faut pas moins pour expliquer la dédaigneuse et tranquille assurance dont il accabla les philosophes. « Pour les couvrir de honte, disait-il, Dieu a permis que l’humanité, sous leurs auspices, se baignât de sang pendant vingt-trois siècles scientifiques, et qu’elle épuisât la carrière des misères, des inepties et des crimes. Enfin, pour compléter l’opprobre de ces titans modernes, Dieu a voulu qu’ils fussent abattus par un inventeur étranger aux sciences, et que la théorie du mouvement universel échût en partage à un homme presque illitérô : c’est un sergent de boutique qui va confondre ces bibliothèques politiques et morales, fruit honteux des charlataneries anciennes et modernes. Eh ! ce n’est pas la première fois que Dieu se sert de l’humble pour abaisser le superbe, et qu’il fait choix de l’homme le plus obscur pour apporter au monde le plus important message. » Théorie des quatre mouvements, Paris, 1841, p. 180.

Le message de Fourier contient deux choses : une critique de la civilisation, très pessimiste et très absolue, et un plan de réorganisation sociale d’après les vues de la providence. On en trouvera l’exposé dans ses différents ouvrages : Théorie des quatre mouvements, 1808 ; Traité de l’association domestique agricole, 1822, plus connu sous le titre déclamatoire de Théorie de l’Unité universelle, qui est celui de la 2e édition, 1838 ; Le nouveau monde industriel et sociétaire, 1829 ; Pièges et charlatanisme des sectes de Saint-Simon et d’Owene, 1831 ; Moyens d’organiser en deux mois le progrès réel, 1831 ; La fausse industrie, 1835-1836. Quelques articles parus dans le Phalanstère et quelques manuscrits complètent la série des œuvres de Fourier ; mais ils n’ajoutent rien à sa doctrine et ne la modifient presque pas, non plus que tous les livres qui ont suivi son premier, Fourier s’étant tout de suite entièrement déclaré et ayant donné, dès 1808, dans sa Théorie des quatre mouvements, le système général auquel il devait rester fidèle pendant toute sa vie.

Critique de la civilisation.

« Sa critique de la

civilisation est à peu près complète, et ne laisse rien subsister de ce que nous avons accoutumé d’appeler ainsi. A la vérité, Fourier reconnaît qu’il y a eu, avant la civilisation, quatre états : édénisme, sauvagerie, patriarcat, barbarie, sur lesquels la civilisation constitue un progrès. Mais ce progrès est extrêmement léger, et, pour être dans le vrai, il n’y a que deux états : la barbarie et l’harmonie. » E. Faguet, Politiques cl moralistes, 2e série, 8e édit., Paris, p. 46-47. La civilisation n’est qu’une barbarie légèrement atténuée.

Elle devrait être une organisation générale de la richesse en vue de procurer le bonheur de l’humanité. Elle est juste le contraire de ce qu’elle devrait être.

En premier lieu, elle est remplie de parasites qui consomment et qui ne produisent rien : parasites domestiques, tels que femmes et enfants, les femmes étant presque totalement absorbées par les travaux du ménage et les enfants rendus incapables du moindre travail utile par leur éducation vicieuse ; parasites sociaux, armées de terre et de mer, fonctionnaires innombrables que Fourier appelle « les légions de régie » , et « la franche moitié des manufacturiers réputés utiles, mais qui sont improductifs relativement par la mauvaise qualité des objets fabriqués ; » parasites accessoires, chômeurs, sophistes, oisifs, etc. Il est évident que le nombre de tous ces improductifs ne témoigne pas d’un emploi fort judicieux ni d’une économie très scrupuleuse des forces sociales.

En second lieu, la société est remplie de négociants ou commerçants, « vrais corsaires industriels, » qui non seulement ne produisent rien, mais qui dirigent et entravent à leur gré la circulation des produits, jusqu’à faire disparaître les produits de la circulation. Fourier voudrait du moins que les marchands soient considérés, non pas comme propriétaires absolus, mais comme dépositaires conditionnels ; et il s’élève en termes indignés contre les abus que font les négociants de toutes sortes de denrées qui sont absolument nécessaires à l’existence. « Eh ! ne voit-on pas tous les jours, dans les ports, jeter à la mer des provisions de grains que le négociant a laissés pourrir pour avoir attendu trop longtemps une hausse ; moi-même j’ai présidé, en qualité de commis, à ces infâmes opérations, et j’ai fait, un jour, jeter à la mer, vingt mille quintaux de riz, qu’on aurait pu vendre avant leur corruption avec un honnête bénéfice, si le détenteur eût été moins avide de gain. C’est le corps social qui supporte la perte de ces déperditions, qu’on voit se renouveler chaque jour à l’abri du principe philosophique : Laissez faire les marchands. » Théorie des quatre mouvements, p. 358.

Et enfin, ceux-là même qui produisent dans la société actuelle ne produisent qu’au détriment de la société elle-même ; et non seulement leur intérêt individuel ne se préoccupe pas du collectif, mais il est partout et toujours en contradiction avec lui : « tout industrieux est en guerre avec la masse, et malveillant envers elle par intérêt personnel… Un architecte a besoin d’un bon incendie, qui réduise en cendres le quart de la ville, et un vitrier désire une bonne grêle qui casse toutes les vitres. Un tailleur, un cordonnier ne souhaitent au public que des étoffes de faux teint et des chaussures de mauvais cuir, afin qu’on en use le triple… C’est ainsi qu’en industrie civilisée tout individu est en guerre intentionnelle avec la masse : effet nécessaire de l’industrie antisociétaire ou monde à rebours. » Loc. cit., p. 28-35, passim.

La civilisation n’est pas autre chose : un monde à rebours. Elle devrait être une organisation générale de la richesse. Elle n’est qu’une conspiration générale contre la richesse. La véritable question sociale ne se trouve donc pas, comme on le croit depuis toujours, dans l’inégalité des conditions, ou, si l’on veut, elle ne tient pas à ce que les richesses soient inégalement réparties ; mais elle tient plutôt à ce que les richesses sont absolument insuffisantes. Il y a dans notre société actuelle une telle déperdition des forces productives qu’il n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas assez de richesses pour les pauvres, ni même pour les riches qui se figurent à tort être riches et qui sont seulement un peu moins misérables que les autres. Ainsi il est visible que la civilisation s’est trompée, et que l’on