Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

003

FORNICATION

C04

d’une créature à venir. En outre, le forfait commis par l’homicide est irréparable ; les conséquences de la fornication peuvent se réparer, tant au point de vue moral que matériel.

Mais la fornication simple est plus gravement coupable que le vol. Ce dernier acte trouble l’homme dans la possession des biens temporels ; la fornication porte atteinte aux droits supérieurs de l’âme. De plus, si le vol blesse la vertu de justice, la fornication blesse les deux vertus de tempérance et de justice.

5° L’interdiction de la fornication étant ainsi fondée sur le droit naturel, l’ignorance invincible peut-elle être admise au sujet de son caractère criminel ? A s’en rapporter au système traditionaliste, il faudrait, sans hésitation et sans restriction, affirmer que pareille ignorance, non seulement peut exister théoriquement, mais qu’elle existe de fait. Les philosophes traditionalistes posent en principe que, sans la révélation divine, l’homme ne peut connaître aucune vérité morale. Or, il existe encore des contrées où la prédication évangélique n’a pas pénétré, où, par ailleurs, la révélation primitive est oblitérée. Par conséquent, la vérité sur le caractère de la fornication simple peut être parfaitement ignorée, et ceux qui pratiquent ce vice sont excusables.

Nous n’avons pas à insister ici sur ce principe, qui est faux et qui a été condamné par l’Église, pas plus que sur la conséquence inadmissible qui s’en déduit logiquement.

La question concernant l’ignorance invincible de l’immoralité de la fornication rentre dans cet ordre de problèmes qui concerne l’ignorance même de la loi naturelle : à savoir, les principes de la loi naturelle peuvent-ils être ignorés ? Ou bien il s’agit des règles touchant les principes les plus universels inscrits par le créateur au fond de tous les cœurs, comme, par exemple, les axiomes qui ne souffrent pas contestation : il faut éviter ce qui est mal ; il ne faut point faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas que l’on fît à soi-même ; il faut respecter les supérieurs. Ou bien il est question des règles de conduite qui se déduisent immédiatement et sans difficulté de ces principes évidents ; par exemple : il faut respecter le bien d’autrui ; il ne faut pas recourir au mensonge. Les philosophes et les théologiens rangent, dans cette seconde classe de vérités faciles à découvrir, la défense de commettre la fornication. Ou bien, enfin, il s’agit de ces préceptes qui ne découlent des vérités évidentes que par voie de raisonnement laborieux, par l’intervention des autorités constituées, telles que la législation concernant la loi des contrats et celle de la transmission des héritages.

Nul doute que l’erreur ne se produise fréquemment pour les principes de cette troisième catégorie. L’ignorance, même invincible, doit être admise dans ce cas. Mais il n’en va pas de même pour les préceptes de la première et de la seconde classe, pour peu que l’homme qui y est obligé jouisse de l’usage de la raison. Les lois primordiales de la nature et leurs conséquences immédiates sont, au point de vue moral, des règles essentielles, comme les axiomes premiers sont les bases de toute démonstration spéculative. Saint Thomas dit à ce sujet : Quisque stalim probel audila. In IV Sent., 1. III, dist. XXX, q. ii, sol. 2 Il suffît d’énoncer ces propositions pour qu’aussitôt chacun en connaisse le bien-fondé. L’opposition de la fornication avec les préceptes de la loi naturelle est de cette espèce. Donc, en principe, son ignorance ne saurait être admise.

Ajoutons aux preuves antérieures celle qui se déduit encore de saint Paul, lorsqu’il déclare inexcusables les païens qui se plongeaient dans les désordres de ce genre, bien qu’ils ne connussent pas la loi évangé lique. Rom., i, 20. Quelques moralistes de l’antiquité, quoique dépourvus des lumières de la révélation, réprouvaient le désordre. Tacite et Suétone fustigent à ce sujet la licence de la société romaine. Cicéron cingle vigoureusement le proconsul Verres pour le même motif. Toutefois, ils réprimaient plutôt les excès que la faute elle-même.

Le soin qu’on met ordinairement à entourer de mystère un pareil désordre prouve que le verdict de la conscience proteste au fond des cœurs. Et lorsque le vice tout-puissant ou impuni affronte la lumière du jour, les témoins ne manquent jamais de dire : C’est un défi jeté à la pudeur publique.

L’ignorance invincible ne saurait donc être admise en thèse générale. Seule l’ignorance vincible, qui n’atténue pas la culpabilité, peut être source de ce désordre. Et les causes de cette ignorance sont les préjugés admis de confiance, les mauvaises habitudes contractées, l’inertie à combattre les penchants déréglés. Saint Thomas dit excellemment à ce sujet : Ad legem naturalem pertinent primo quidem quædam principia communissima, quæ sunt omnibus nota…, quædam autem secundaria præcepla magis propria, quse sunl quasi conclusiones propinquæ principiis. Quantum ergo ad illa principia communia, lex naturalis nullo modo potest a cordibus hominum deleri in universali… Quantum vero ad alia prsecepta secundaria potest lex naturalis deleri de cordibus hominum, vel propler malas persuasiones, eo modo quo eliam in speculalivis errores conlingunt ; vel eliam propler pravas consueludines el habitus corruplos : sicut apud quosdam non repulabcuxtur latrocinia peccata, vel eliam vilia contra naturam, ut eliam dicit aposlolus ad Romanos. Sum. iheol., Ia-IIæ, q. xciv, a. 6.

Les écrivains qui démoralisent le public, les romanciers, les auteurs de pièces de théâtre qui, dans les époques de décadence, favorisent les vices, provoquent au désordre, sous prétexte de la nécessité^ de donner libre essor aux penchants naturels, trouvent ici leur condamnation justifiée : ils ne préconisent pas les inclinations conformes à la nature rationnelle, mais bien les instincts inavouables.

6° A la simple fornication se rattachent le concubinage, voir ce mot, et la prostitution. La prostitution est l’état de vie des femmes qui se livrent à tout venant. Les théologiens la distinguent de la fornication simple et lui reconnaissent un degré plus accentué de criminalité. C’est qu’en effet ce genre de désordre fait obstacle non seulement à la bonne éducation des enfants, mais même, comme le prouve l’expérience, à leur procréation. En règle générale, ces femmes restent stériles. Néanmoins, selon les théologiens, il n’est pas besoin de déclarer en confession qu’on a eu rapport avec une personne de ce genre, parce que cette circonstance ne change pas l’espèce et n’est pas notablement aggravante.

1. Des hommes pervers ont voulu arguer contre l’interdiction de la prostitution, en disant que jamais Dieu ne l’aurait tolérée, si elle eût été un mal intrinsèque. Or non seulement il l’a autorisée, mais il l’a prescrite au prophète Osée, i, 2 : Vade, sume tibi uxorem fornicariam, et jac tibi filios fornicationum.

Les redoutables sanctions formulées si fréquemment dans les Écritures contre ce désordre eussent dû tenir en garde contre une pareille interprétation, qui met en opposition trop flagrante le texte inspiré avec lui-même. Aussi, cst-il facile de conclure que, dans cette occurrence, Dieu n’ordonna pas à Osée d’aider la prostituée qu’il devait épouser à continuer son métier, mais au contraire à y mettre lin en la prenant pour sa femme. Dans un but allégorique, afin de faire voir que le ciel adoptera des hommes rebelles à la loi divine, pour les convertir, le Seigneur