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FOI

Tri

fundamenla demonstret, sess. iii, c. iv, Denzinger, n. 1799 ; l’apologétique a toujours été regardée comme hase du dogme. L’édifice peut-il être plus solide que ses fondations ? C’est sous cette forme que la difficulté s’est présentée d’abord à Suarez, qui le premier s’est attaché à l’approfondir et à la résoudre : « Il est impossible, dit-il, qu’un assentiment d’ordre plus élevé soit fondé régulièrement, per se, sur un assentiment d’ordre inférieur, ou qu’une certitude plus mande soit fondée régulièrement sur une certitude moindre. Or l’assentiment de foi est de l’ordre le plus élevé, il est plus certain que l’assentiment naturel et évident : il ne peut donc y élre fondé, du côté de. son objet formel… Toute la perfection de l’effet vient de sa cause, toute la fermeté de l’édifice vient de son fondement ; une connaissance fondée sur une autre ne peut donc être plus certaine que celle qui la fonde… La certitude de la foi est tout entière appuyée sur son objet formel, et par conséquent, sur la connaissance de cet objet formel, car ce motif ne meut à croire qu’autant qu’il est connu. » De flde, disp. III, sect. vi, n. 6, Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 64. Ainsi, d’après Suarez, la certitude’de l’acte de foi dépend tout entière de la certitude de cette connaissance de l’objet formel, objectum formate quo, motif spécifique de la foi ; c’est à déterminer le genre et le degré de cette connaissance dans l’acte même de foi, qu’il ramène toute la question.

La difficulté peut prendre cette autre forme. Si l’on fait remonter l’analyse de la foi jusqu’aux motifs de crédibilité, c’est là qu’il faudra chercher le dernier motif, la dernière raison de la foi. Mais il semble que le dernier motif auquel on remonte, étant le point solide auquel toute la chaîne du raisonnement est suspendue, est par là même le motif prineipal et spécifique, et du coup nous tombons dans de terribles conséquences : 1. La foi perd son unité spécifique, car les motifs de crédibilité varient d’un fidèle à l’autre ; il y aura autant d’espèces de foi que de différents motifs de crédibilité. — 2. L’« autorité de Dieu qui révèle » ne sera plus le motif dernier, sur lequel tout repose : ce qui est contre le sentiment commun des théologiens, et contre le concile du Vatican, qui n’assigne à la loi que ce motif. Voir col. 115 sq. — 3. Par suite, la foi n’aura plus pour motif spécifique un attribut divin : elle ne sera donc plus théologale. Voir col. 370, 377. La crainte de ces conséquences, que tous les catholiques savent être fausses, et qu’il faut éviter à tout prix, explique pourquoi les théologiens en général, dans les différents systèmes qu’ils ont imaginés pour résoudre cette difficulté, tout en admettant la nécessité des motifs de crédibilité avant la foi, ont constamment cherché à diminuer leur rôle dans l’acte de foi lui-même, et à rendre l’assentiment de foi indépendant de ces motifs, soit en mettant une discontinuité, un fossé entre eux et lui, soit au moins en s’arrangeant d’une manière ou d’une autre pour arrêter l’analyse à Yauctorilas Dei revclanlis comme à son dernier terme, au delà duquel il n’y a plus rien. On peut donc dire que le grand problème de l’analyse de la foi porte sur la détermination de son motif spécifique ou objet formel, ou plutôt sur la justification logique et rationnelle de la thèse positive et traditionnelle qui fait consister ce motif dans Vaucloritas Dei revelantis. Nous allons exposer les divers systèmes en suivant, autant que possible, le développement chronologique de la controverse.

Solutions diverses.

1er système : Suarez. — Nous venons de voir comment il a saisi la difficulté. D’après lui, la certitude suprême de la foi dérive logiquement de son objet formel, la divine autorité et la divine révélation, ou plutôt de la connaissance que nous avons de ce double motif, le motif n’agissant qu’autant qu’il est connu. Or, on peut avoir cette connaissance de deux manières : par la raison ou par la foi. La première est la connaissance purement philosophique ou historique, obtenue par les motifs de crédibilité, celle que l’on utilise en apologétique : niais elle ne suffit, pas à fonder la certitude suprême de la foi. et elle mènerait aux fâcheuses conséquences signalées toutà l’heure. Reste donc la seconde manière, qui atteint par ta foi le motif même de la foi, qui le croit dans toute la force du terme : « Je crois la trinité, parce que Dieu, avec une souveraine véracité, l’a révélée ; je crois cette véracité divine elle-même, paire que Dieu l’a révélée, et pareillement la révélation de la trinité, parce que Dieu a révélé qu’il la révélait. » Ainsi : a) la foi à la trinité s’appuie sur la foi à la véracité divine et à la révélation de la trinité : la foi est fondée sur la foi, et trouve enfin là une base aussi ferme qu’elle-même ; b) d’ailleurs, il est possible, dans tout acte de foi, de « croire » la véracité divine et le fait de la révélation au sens propre et religieux du mot « croire » , c’est-à-dire propler auclorilalem Dei revelantis. Pour pouvoir ainsi croire une chose, il suffit qu’elle ait été révélée. Or, Dieu n’a-t-il pas révélé sa véracité ? Par exemple : Est autem Deus verax. Rom., nr, 4. N’a-t-il pas révélé qu’il révélait, qu’il parlait ? Par exemple, quand les prophètes disaient en son nom : Usée dicit Dominas. Ne peut-on pas. du reste, soutenir que tout être capable de parole ou de témoignage, quand il atteste explicitement quelque chose pour être cru, par le fait même dit implicitement deux autres choses, à savoir qu’il est véridique et qu’il parle, c’est-à-dire qu’il a l’intention de faire connaître sa pensée ? Ainsi la condition d’« être révélé » ne saurait manquer à l’objet formel, pour permettre de le croire propler auclorilalem Dei revelantis. Il est vrai que l’école thomiste demande encore une autre condition pour pouvoir « croire » une chose au sens propre : c’est qu’elle ne soit pas éclairée par une science simultanée. Voir col. 454. Cette condition manquera souvent, quand la véracité divine sera connue par une démonstration philosophique, présente à l’esprit au moment même où il va croire. Mais Suarez rejette cette exigence de l’école thomiste. Loc. cit., disp. III, sect. vi, n. 9, p. 66. En conséquence, d’après lui, ces deux vérités qui composent l’objet formel sont atteintes successivement de deux manières : avant l’acte de foi, à la lumière de la raison : dans l’acte de foi, à la lumière même de la foi ; en sorte que la foi de ces deux vérités précède et engendre la foi de tout autre dogme. Voir Suarez, loc. cil., n. 5-9, p. 64-66, et sect. xii. n. 1, 4, 7-10, 12, p. 101-100. L’assentiment de foi affirme en même temps l’objet formel et l’objet matériel, celui-ci à cause de celui-là. « Bien que l’acte paraisse simple, il renferme un discursus virtuel. » Loc. cit., n. 10, p. 10 1.

Cette solution a été suivie par beaucoup de théologiens, grâce à l’autorité du grand nom de Suarez. Elle n’a pourtant jamais été « commune » , quoi qu’en dise un de ses défenseurs contemporains, Tepe. Inslitutiones Iheologicæ, Paris, 1890, t. iii, n. 677, p. 375. L’école thomiste, à elle seule déjà, suffirait à empêcher cette prétendue unanimité. D’une part, en effet, comme l’a remarqué Kleutgen, beaucoup de thomistes, tout en utilisant parfois certaines parties du système de Suarez pour répondre à des objections, ne l’ont pourtant ni exposé ni défendu ; plusieurs même ont à peine parlé de l’analyse de la foi, parce qu’ils ne l’ont pas trouvée chez saint Thomas, qui ne peut guère fournir à cette question que quelques principes généraux pour la diriger. Voir YVilmcrs, De. fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 362. D’autre part, cette théorie des thomistes, qu’une même vérité ne peut simultanément être objet de science et de foi, devait logiquement les empêcher d’admettre le système de Suarez.