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1. Notions préliminaires.

a) Nous venons de résoudre négativement la question pour une part, c’est-à-dire quand il s’agit de l’objet principal de la révélation et de la foi, objet qui se compose des mystères divins. C’est l’avoir résolue dans ce qu’elle a de plus important, et sur un point où tous peuvent et doivent s’accorder. C’est avoir rendu compte déjà des textes des Pères : « La foi est l’argument des choses qui ne peuvent pas apparaître, » des mystères. Voir col. 380. Si dans un de ces mystères, par exemple, celui de l’incarnation, il est un élément que l’on peut voir, du moins on ne peut voir le mystère lui-même ; de là cette parole des Pères qui nie alors la coexistence de la vision et de la foi sur un même objet : Aliud vidit, aliud credidit. L’apôtre Thomas voyait l’humanité du Christ présente à ses yeux ; il ne voyait pas le mystère de la divinité du Christ, qu’il a cru en disant : Dominus meus et Deus meus. Joa., xx, 28. Vidit hominem, et Deum confessus est. Voir Primasius et S. Grégoire le Grand qui le copie, col. 114. Et avant eux, S. Augustin, In Joa., tr. LXXIX, n. 1, P. L., t. xxxv, col. 1837 ; tr. CXXI, n. 5, col. 1958 ; S. Hilaire, De Trinilalc, . VII, n. 12, P. L., t. x, col. 209. Sur le vrai sens du Deus meus, voir la condamnation de l’interprétation de Théodore de Mopsueste par le Ve concile œcuménique, can. 12, De tribus capitulis, Denzinger, n. 224. La question qui reste à résoudre doit donc déjà être ramenée à ceci : Sur un objet secondaire de la foi, c’est-à-dirè sur un objet révélé qui n’est pas un mystère proprement dit, peut-on avoir simultanément la foi et la science (ou la vision) ?

b) Les objets secondaires, que Dieu a révélés de fait, peuvent se partager en deux catégories. Les premiers, bien que n’étant pas proprement des mystères, ne peuvent être connus de nous que par révélation. Tels sont certains décrets libres de Dieu, qui n’ont pas imprimé dans cet univers de trace ou d’effet par où nous puissions les connaître et les démontrer, mais dont l’objet est d’ailleurs facile à comprendre ; certains faits qui n’ont rien non plus en eux-mêmes d’impénétrable et de mystérieux, mais dont l’existence ne nous peut être connue que par le témoignage de Dieu, soit qu’ils appartiennent aux origines de l’humanité, soit qu’ils se rapportent à l’avenir, par exemple, qu’il y aura de grandes persécutions de la religion dans les derniers temps du monde, que l’Antéchrist sl’fera adorer comme un dieu, etc. De tels objets, ne relevant pas, pour nous, de la vision ou de la science, doivent être omis dans la question présente. La seconde catégorie comprend les vérités révélées qui ne sont pas inaccessibles à la raison naturelle et philosophique. L concile du Vatican nous en aflirme l’existence dans la révélation, et considère spécialement, à cause de leur nature éminente et de leur valeur religieuse, celles de ces vérités qui ont trait aux choses divines, in rébus divinis, sess. ni, c. ii, Denzinger, n. 1786. C’est le plus important terrain où il pourrait y avoir rencontre et simultanéité en Ire la foi et la science ; c’est là que se porte la discussion.

c) Ceux qui nient la possibilité de cette simultanéité ne la nient que pour une seule et même intelligence. Ils accordent volontiers qu’une vérité révélée de cette seconde catégorie puisse être objet de foi chez l’un, objet de science chez l’autre. Qui n’en a pas la démonstration rationnelle pourra faire là-dessus un acte de foi divine. C’est la doctrine expresse de saint Thomas : l’utest contingere ul id quod est visum vel scilum ab uno homine… sit ab alio creditvm, qui hoc démonstrative non novil. Sum. llwol., IIa-IIæ, q. i, a. 5. On voit que ces « minimistes » , qui cherchent à diminuer dans la sainte Écriture le nombre des vérités révélées, ne peuvent s’autoriser de l’autorité de saint Thomas ou de la thèse thomiste pour retrancher du contenu de la révé lation les vérités philosophiques, ou démontrables par la philosophie. Les théologiens qui nient la possibilité d’un acte de foi sur ces vérités ne la nient pas absolument et du côté de ces vérités, comme si elles n’appartenaient pas à la révélation, mais du côté du sujet et dans l’hypothèse de la science acquise, hypothèse plutôt rare, puisqu’elle ne se réalise pas pour la multitude « les fidèles. On voit aussi pourquoi la controverse est exprimée par beaucoup d’auteurs sous cit le forme : « Le philosophe chrétien peut-il faire un acte de foi sur les vérités révélées dont il possède la démonstration ? » Et il s’agit ordinairement des vérités de la théodicéc. Qusestio, dit le cardinal Billot, restringitur ad ea sola quæ in rébus divinis humons : rationi per se non impervia, etc. De virtutibus infusis, 2e édit., thes. xi, p. 211.

(/) La question étant ainsi restreinte, nous pouvons ne nous occuper que de la science, en négligeant la vision proprement dite, ou connaissance immédiate ; d’autant plus que la simultanéité de la foi et de la vision n’est pas un cas pratique pour nous : les objets que Dieu a révélés ne sont pas des choses que nous connaissions immédiatement, ou que nous voyions de nos yeux. Une autre raison de ne pas faire porter la controverse sur la vision proprement dite, c’est que les plus célèbres défenseurs de la simultanéité de la foi avec la science concèdent de leur plein gré qu’il ne peut y avoir simultanéité de la foi, soit humaine, soit divine, avec la vraie vision. Ainsi Lugo, invoquant l’expérience. Dispul., De fide, disp. II, n. 67, Paris, 1891, t. i, p. 201. Et il cite, pour une semblable concession, Suarez, Vasquez, Coninck et autres. On peut donc regarder comme incontesté qu’il y a une sorte d’impossibilité à croire ce que l’on voit de ses yeux, ou en général avec une évidence immédiate et parfaite ; à admettre à couse d’un témoignage que le soleil brille, quand on le voit. Nous éprouvons alors une impossibilité au moins morale d’appuyer notre conviction sur ce témoignage surajouté à l’expérience personnelle ; et quand même à force de volonté notre intelligence pourrait viser les deux motifs à la fois, expérience et témoignage (comme « le veut Arriaga), l’amalgame est au moins contre l’inclination de la nature, et cette inclination bien constatée sutlit à établir une sorte d’incompatibilité entre les deux espèces de connaissance. « Qui donc, voyant quelque chose de ses yeux, dit Antoine Pérez, a jamais cru sur la parole d’autrui qu’il le voit ? ou bien sur la parole d’autrui que le tout est plus grand que la partie ? On rirait de celui qui en telle matière exigerait qu’on s’appuyât sur son témoignage. » In II im et IIP 1 " parlent D. Thomas tractatus sex, De virt. theol., disp. III, c. viii, n. 6, Lyon, 1669, p. 245. Il note ensuite que ce phénomène n’a pas été toujours bien expliqué ; et voici l’explication qu’il en donne : « Quand un mode de connaissance est essentiellement destiné à n’être que le supplément d’un autre qui manque (une sorte de pis-aller), ils ne peuvent sans contradiction coexister dans le même intellect. » Il donne l’exemple des lunettes qui remédient à un défaut de l’œil : elles gêneront de lions yeux et les empêcheront de voir. Loc. cit., n. 7. « Le témoignage est un gage, une garantie pour rassurer contre le péril d’erreur (faute de vision) : il serait ridicule de vous garantir ce que vous voyez de vos yeux, de vous assurer par un gage que 2 et 3 feront toujours 5. » Loc. cit., n. 9. Par là on prouverait aussi que la vertu infuse de foi, modeste suppléance de la vision céleste, doit disparaître quand celle-ci régnera sans tin. Lu boiteux miraculeusement guéri ne continue pas de marcher avec ses béquilles, quelque service qu’elles lui aient rendu.

c) Si la foi, d’après une opinion, supporte la présence de la science sur le même objet, personne n’admet