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n’est pas là, après tout, la loi même de l’esprit humain ? L’homme peut-il dépouiller sa conception générale des choses, chaque fois qu’il s’occupe d’un objet particulier’.' Ce serait dire que les pyrrhoniens sont seuls à pouvoir faire de la science. Étrange prévention ! Mais non, Messieurs, il n’est pas vrai que toute opinion faite, toute croyance établie infirme d’avance, chez celui qui la possède, l’autorité du savoir. Pour que cette autorité demeure intacte, il suffît que, dans sa façon de traiter chaque question, le savant demeure rigoureusement fidèle à la méthode scientifique… Autrement, pour avoir un bon renom scientifique, il faudrait ne rien penser, n’avoir rien pensé sur l’ensemble des choses, ou du moins, si l’on a fait quelque réflexion générale, avoir eu cette bonne fortune de n’arriver à aucune conclusion. Le brevet d’homme de science serait alors le privilège des cerveaux vides ou des cerveaux faibles ! » Loc. cit.

4° Les vérités révélées sont des idées préconçues de lu plus haute valeur, qui, au lieu de nuire au travail scientifique, doivent lui rendre de signalés services. — Si les vérités de sens commun rendent grand service au philosophe, s’il doit les prendre comme règle, j’allais dire comme garde-fou, on peut en dire autant des vérités révélées, une fois que le fait de leur révélation a été solidement démontré. Recevant alors le jugement de Dieu mêmesur telle question mixte qui relève en même temps de la révélation et de la science humaine, le croyant ne peut rien avoir déplus sûr ; il est donc juste et raisonnable qu’il tienne compte de cette infaillible direction qui à un moment donné l’empêche de tomber dans une fondrière. « N’est-ce pas un précieux service rendu à la science ou à la philosophie, dit M. Bainvel, de l’avertir que de ce côté il n’y a rien à gagner pour la vérité ? En des circonstances analogues, on accepte avec reconnaissance les lumières d’une science supérieure, qui empêche de faire fausse route dans le domaine où l’on s’est cantonné. » Loc. cit., col. 87. Un naturaliste s’est renfermé dans l’étude d’un animal ou d’une plante : ce spécialiste pourrait arriver à quelque fausse conclusion, s’il ne prenait contact avec les maîtres de la biologie, qui voient de plus haut les phénomènes de la vie, si sur un point il ne tenait pas compte de leur avis contraire. Voir ce que nous avons dit pour montrer combien raisonnable est la résolution de préférer, en cas de conflit, les données de la foi, bien constatées, à ce qui nous paraît la science, col. 329 sq. Ajoutons quelques observations. 1. La révélation ne vient pas ici remplacer les méthodes scientifiques, ni leur enlever leur raison d’être ; elle ne joue pas le rôle positif d’enseigner les différentes sciences, de fixer leurs méthodes, etc., mais seulement le rôle négatif de faire rejeter comme erreurs, parce qu’opposées au témoignage divin, plusieurs propositions particulières que le savant, le philosophe, pourrait être tenté de prendre ou comme des vérités scientifiques, ou du moins comme des hypothèses d’avenir, en voie de se vérifier un jour. Le concile du Vatican n’attribue pas à la révélation, en face des sciences, un rôle directeur plus grand que ce rôle négatif. « La foi, dit-il, délivre et protège la raison de bien des erreurs… L’Église, assurément, n’interdit pas aux sciences de se servir de leurs propres principes et de leur propre méthode, chacune dans son domaine ; mais, tout en reconnaissant cette juste liberté, elle n’entend pas que, par opposition à la révélation divine, elles se jettent dans l’erreur, ou qu’en sortant de leurs frontières elles envahissent et bouleversent le domaine de la foi. » Sess. III, c. iv, Denzinger, n. 1799. L’Église, gardienne de la révélation, ne s’occupe des systèmes philosophiques et autres qu’au point de vue du conflit qui peut en résulter avec la doctrine révélée. « Ce n’est qu’en partant des principes révélés,

disent les théologiens du concile dans leurs notes au premier schéma, que l’Église juge de l’enseignement des sciences humaines, et en tant que les assertions lancées au nom de la science s’opposent ou ne s’opposent pas à la doctrine de la foi et des mœurs… Dans l’étude de presque toutes les sciences, on peut arriver, par la faiblesse ou l’abus de la raison, à des jugements contraires à la vérité révélée. Étant supposées l’infaillibilité de l’Église et l’absolue certitude de la foi catholique, tout jugement contraire est d’avance regardé comme faux, et donc comme n’étant pas dérivé des lois de la vraie science, mais de faux principes ou de raisonnements défectueux, bien que peut-être l’origine et le mode de cette erreur n’aient pas encore été constatés scientifiquement. » Colleclio lacensis, t. vii, col. 535, 536. Ils ajoutent que c’est là tout ce qu’on demande, quand on dit avec Pie IX que « les savants catholiques doivent avoir devant les yeux la révélation divine comme une étoile directrice, dont la lumière servira à les avertir des écueils à éviter. » Lettre à l’archevêque de Munich, du 21 décembre 1863, Denzinger, n. 1681. Cf. Didiot, loc. cit., p. 288-296.

2. Si le savant catholique acceptait sans preuve le fait de la révélation chrétienne, comme beaucoup de protestants modernes qui disent eux-mêmes renoncer à le prouver, ou s’il se le prouvait par une expérience religieuse vague et insuffisante, alors il serait déraisonnable de prendre une révélation si problématique comme « étoile directrice » dans les travaux scientifiques. Mais on suppose toujours que le savant catholique dont on parle s’est prouvé solidement le fait de la révélation et celui de l’Église, et qu’il ne cède en rien au fidéisme rejeté par l’Église elle-même. Voir col. 175 sq. Ainsi la raison du savant reconnaît et approuve le rôle supérieur que possède la révélation, de lui signaler parfois l’erreur à éviter. Ainsi il y a parfaite unité dans sa pensée, et il n’est pas obligé de se dédoubler contre nature en deux hommes étrangers l’un à l’autre, le penseur et le croyant. « Nous sommes les seuls, dit M. Bainvel, … pour qui la critique garde tous ses droits en matière religieuse. Je ne crois que là où je vois que je dois croire. » Dictionnaire apologétique, art. Foi, col. 86. Et plus loin : « Quand une donnée est de foi, nous n’avons plus à la mettre en question. Mais c’est que pour nous elle est acquise, » col. 90. La raison même approuve que l’on ne remette pas en question les vérités légitimement acquises : autrement le tissu de notre pensée ne serait qu’une toile de Pénélope.

3. Pour mieux répondre à l’objection des idées préconçues, quelques-uns ont avancé que le savant catholique n’a point, pendant ses recherches, à s’occuper de sa foi, mais qu’il lui suffit alors de bien appliquer les méthodes propres de la science ; qu’après ses recherches, et lorsqu’il croit avoir abouti à une solution, il doit, avant de la proposer, examiner si elle n’est pas contredite par quelque vérité certaine démontrée dans les sciences limitrophes, y compris les sciences sacrées, ce qui est parfaitement raisonnable. Voir Revue pratique d’apologétique, t. v, 15 décembre 1907, p. 411. Que les choses puissent parfois se passer dans cet ordre, quand un savant ignore de bonne foi, pendant son travail, certaines vérités révélées, certaines décisions de l’Église, nous ne le nions pas ; et pourvu qu’avant de proposer la solution au public, il la soumette, au point de vue de l’orthodoxie, à de plus compétents que lui, l’essentiel paraît sauvé. L’Église a prévu ce cas en instituant la revision des livres qui touchent aux matières religieuses et en exigeant l’unprimatur. Encore est-il que ce savant, qui n’a sur la révélation que les connaissances ordinaires des fidèles, doit profiter, pendant son travail, des données de la foi qu’il connaît ; et qu’il n’y a pas à lui recommander