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leur dirai ce que j’ai dit souvent, que cette négligence n’est pas supportable. Il ne s’agit pas ici de l’intérêt léger de quelque personne étrangère, pour en user de cette façon ; il s’agit de nous-mêmes, et de notre tout. » Pensées, 2e édit. Brunschwicg, Paris, 1900, sect. iii, n. 194, p. 416. Un exemple nous est donné par saint Augustin dans sa propre personne. Rappelant à Honorât, son ancien ami d’enfance, comment ils avaient tous deux ensemble, miserrimi pueri, perdu la foi en fréquentant les manichéens, et « arbitrairement condamné la religion très sainte répandue sur toute la terre, » il attribue cette chute à leur imprudence et à leur négligence personnelle. Ils auraient dû, dit-il, ne pas lire les Livres saints sans un guide, consulter « quelqu’un de pieux et de savant » qui les eût aidés ; s’ils ne le trouvaient pas facilement, « le chercher même avec de pénibles démarches ; » au besoin, s’embarquer, voyager au loin pour le trouver. De ulililate credendi ad Honoralum, n. 17, P. L., t. xlii.coI. 77. Il est vrai qu’il s’agit ici de jeunes gens qui avaient des loisirs, de la fortune et n'éprouvaient pas de difficulté à traverser la mer pour aller apprendre la rhétorique. Évidemment, même quand il s’agit d’un si grand objet, les démarches obligatoires pour chacun doivent toujours s’entendre proportionnellement à sa condition, à ses moyens et à ses ressources. Qu’on ne dise donc pas que nous voulons mettre des hommes faits sur les bancs de l'école, ni contraindre des employés, des ouvriers catholiques, qui pour vivre ont besoin de leur travail quotidien, soit à entreprendre de longs voyages, soit à suivre un cours d'études religieuses, pour lequel ils n’ont ni capacité peut-être ni lcisir surtout. Mais un autre genre d'étude leur est accessible, qu’il nous faut expliquer.

a. Travail spontané de la pensée ; observation de Ncwman. — En dehors du travail méthodique, soumis à des lois rigides, et qui tombe distinctement sous la conscience, il se fait spontanément dans l’homme un travail plus ou moins latent de la pensée, travail qui n’a rien de réglé ni de gênant, qui ne fatigue pas ni ne se trahit par la fatigue et l’effort conscient ; travail sans apparat, sans lieu ni heure déterminée, qui se poursuit souvent quand nous sommes occupés à autre chose, quand nous allons et venons ; travail pourtant considérable, et qui a une merveilleuse influence sur notre certitude de bien des choses. Descartes et PortRoyal n’ont-ils pas exagéré la nécessité d’une méthode réglée et en quelque sorte officielle pour arriver à la vraie certitude, au point de ne pas reconnaître la légitimité d’une opération non méthodique de la raison ? C’est ce raisonnement sans méthode que Newman appelle « sans forme » ou en dehors des formes, informai inference. « Un tel procédé de raisonnement, dit-il, est plus ou moins implicite, et l’esprit qui l’exerce ne lui donne pas une directe et complète attention. » Grammar of assent, c. viii, § 2, Londres, 1895, p. 292. Il l’appelle aussi natural inference : car c’est une propriété de notre nature, plus frappante chez les uns que chez les autres, mais qui « appartient à tout le monde dans une certaine mesure… Comme la vraie poésie est une effusion spontanée de l'âme, et par suite appartient aux natures frustes aussi bien qu’aux plus brillantes, tandis qu’on ne devient pas poète par les seules règles des critiques ; ainsi ce genre de raisonnement, qui n’a rien de scientifique, tantôt faculté naturelle et non cultivée, tantôt approchant d’un don, parfois plutôt habitude acquise et seconde nature, a une source plus profonde que les règles de la logique, nascitur, non fit. » Loc. cit., § 3, p. 331. Mais il est temps de donner des exemples. « Un paysan habile à prévoir le temps est peut-être dans l’impossibilité d’expliquer par des raisons intelligibles pourquoi il pense qu’il fera beau demain ; et s’il essaie de le faire, peut-être donncra-t-il

des raisons sans valeur ; mais cela n'ébranlera pas la confiance qu’il a lui-même dans sa prédiction. Son esprit ne procède point pas à pas, mais il sent tout d’un coup la force de plusieurs phénomènes combinés, bien qu’il n’en ait pas conscience. Autre exemple. Il y a des médecins qui excellent dans le diagnostic des maladies, mais il ne s’ensuit pas qu’ils puissent soutenir leur décision, dans un cas donné, contre un confrère qui la combat. Ils sont guidés par la sagacité naturelle et par l’expérience acquise, ils ont leur manière à eux d’observer, de généraliser et de raisonner. » Loc. cit., p. 332. Telle est aussi la sagacité des policiers pour percer certains mystères. Tels ces enfants-prodiges qui font si vite de longs calculs par des chemins de traverse qu’ils ne peuvent expliquer ; on dit que de leur enseigner les règles ordinaires de l’arithmétique, ce serait compromettre ou détruire leur don merveilleux, p. 336. Mais donnons un exemple plus universel. que chacun peut reconnaître en soi-même, c’est le portrait fidèle qu'à la longue, sans aucun travail conscient et méthodique, nous nous faisons du caractère de quelqu’un avec qui nous vivons depuis longtemps. Ce portrait est le résultat, très net et très certain, d’une foule de petits faits, de petits mots spontanément enregistrés au jour le jour, ruminés en leur temps dans des moments de rêverie, et qui nous ont amenés à des inductions dont nous avons perdu la trace ; ce portrait, bien que restant dans l’ombre, est si présent à notre esprit, qu’entendant raconter une action que cet homme a faite, une parole qu’il a dite, nous comparons cela aussitôt avec l’image gravée en nous et nous nous écrions : Que c’est bien lui ! Et toutefois s’il fallait décrire cette image, nous ne trouverions pas facilement des mots pour l’exprimer ; s’il fallait prouver qu’elle est fidèle, nous ne pourrions citer les faits oubliés dont elle dérive, ni alléguer des preuves suffisantes : mais cela n’empêche pas notre jugement sur cet homme d'être pour nous clair et certain.

b. Application de cette observation au développement des motifs de crédibilité. — N’en sera-t-il pas ainsi d’un fils de l'Église vivant longtemps en contact avec sa mère ? N’arrivera-t-il pas à connaître mieux le caractère de cette grande société dont il est membre, à s.'en former une fidèle image ? Puisque l'Église, « par son admirable propagation, par ses grands saints, par la fécondité inépuisable qu’elle montre partout dans ses œuvres, par son unité catholique (son unité dans une si grande diffusion), par sa stabilité victorieuse de tant d’attaques, est elle-même un grand et perpétuel motif de crédibilité, « comme le dit le concile du Vatican, Denzinger, n. 1794, vivant de la vie de l'Église, n’arrivera-t-il pas à la mieux connaître et ne développera-t-il pas en lui ce grand motif de crédibilité? Pareillement, en entendant parler souvent du Christ qui est comme la tête de ce corps, en lisant parfois l'Évangile, ne se formera-t-il pas aussi du Christ une image dont la beauté morale, dont les traits de bonté, de puissance, de sainteté grandiront toujours dans son esprit et lui prouveront la vérité du christianisme ? Rappelons-nous aussi que le fait de la révélation avec le fait du miracle qui la confirme, et de même le fait de l'Église, doivent se prouver comme tous les autres faits, par exemple, devant un tribunal ; qu’un tel genre de preuve n’a pas, comme la démonstration géométrique, un moyen terme indivisible et toujours identique à lui-même, voir col. 229, mais un moyen terme qui peut s’accroître lentement et gagner en valeur à mesure que l’on multiplie le nombre des témoins, des signes, des indices convergents ; à mesure aussi que l’estimation morale de cet ensemble, que le jugement du bon sens se fait plus pondéré et plus sage. Enfant, il admettait sur l’autorité de ses parents,