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sieurs apostats, sous le coup de cette ignorance actuelle, de cette sorte d’aveuglement, disent sans manquer de sincérité qu’ils se voient forcés d’abandonner leur religion, et qu’ils suivent leur conscience. Mais ils ne sont pas pour cela excusés de la faute grave de négligence ou d’imprudence commise auparavant par eux, et qui les rend responsables de leur apostasie ; de même que, si l’on s’expose volontairement à une occasion prochaine de péché, à un grand danger pour les mœurs, il peut arriver qu’en face de la tentation le jugement se trouble, et qu’on fasse le mal dans une sorte de folie momentanée : on en est responsable cependant parce qu’on s’y est librement exposé, et c’est ce qu’on appelle en théologie morale un acte qui n’est pas volontaire en soi, mais volontaire dans sa cause, voluntarium in causa. L’exemple classique est celui de l’homme qui s’est mis librement en état d’ivresse, prévoyant plus ou moins confusément les actes mauvais qu’il peut faire en cet état, et qui lui seront imputables. En ce sens nous disons que jamais catholique formé par l'Église n’abandonne sa religion sans qu’il y ait de sa faute et qu’il en soit responsable. Mais il peut se faire qu’il n’ait jamais commis le péché par excellence « contre la foi » , et n’ait pas perdu la vertu infuse. Car au temps où il voyait suffisamment la crédibilité des dogmes, il ne les a pas niés de fait, malgré les péchés de négligence ou d’imprudence qui préparaient sa chute et attaquaient la foi indirectement : faute de négation, il n’y a pas eu péché d’hérésie. Et au temps où il commence à les nier, il peut arriver qu’il n’en reconnaisse plus suffisamment la crédibilité : faute de cette connaissance, il n’y a pas non plus maintenant péché d’hérésie.

C’est cette théorie que Tanner a brièvement indiquée, voir col. 297 ; c’est cette théorie que les théologiens romains du concile, citant Tanner, ont voulu mettre à l’abri de toute condamnation dans une note de leur schéma. Voir col. 296. Pour eux comme pour Tanner, on voit que l’expression qu’ils emploient, peccatum formule contra fldem, signifie uniquement le péché d’hérésie, qui seul fait « perdre la foi » , c’est-àdire perdre la vertu infuse de foi. Les autres péchés qui attaquent à leur façon la vertu de foi (négligence, imprudence), ne l’attaquent qu’indirectement, virtuellement, et ne la font pas perdre quand on les commet ; si on les appelle contra fidem, ce qui ne plaît pas à quelques théologiens, il faut du moins reconnaître qu’ils ne sont que virtualitcr contra fidem, et non pas (ormaliler. Tanner oppose donc formate à virluale, ce qui se fait parfois chez les théologiens ; et son peccatum formate contra fidem veut dire le péché direct contre la foi, c’est-à-dire l’hérésie qui la détruit. Granderath, au contraire, et Vacant à sa suite, n’ont pas saisi le sens de cette expression technique, peccatum formate contra fidem, et n’y ont pas vu l’hérésie exclusivement désignée. Ils ont pris le mot formate dans un tout autre sens, plus souvent usité en théologie morale, c’est-àdire en tant qu’on l’oppose non pas à virluale, mais à malcrialc. Et cette méprise les empêchant de comprendre la note des théologiens romains qui les a surtout impressionnés, ils ont prétendu d’après cette note que le concile laissait parfaitement libre de soutenir qu’un catholique formé par l'Église puisse dans certains cas passer à une secte sans aucune faute de sa part se rapportant d’une manière quelconque à la foi, ni au moment de son apostasie ni auparavant, sans aucun autre péché que le péché matériel qui, n'étant pas libre, ne comporte aucune culpabilité, aucune responsabilité ; en quittant la vraie religion il ferait une chose objectivement mauvaise, mais, au point de vue subjectif, il n’aurait, de ce chef, sur la conscience aucun péché, il n’y aurait pas vraiment de sa faute dans son apostasie ; ce que nous avons déjà réfuté. Tout ce

qu’on peut leur accorder, c’est la dernièie concession que nous venons de faire, avec Tanner et les théologiens romains bien compris. Cette même concession est faite de nos jours en termes très précis par le P. Pesch, Prælectiones dogmatiese, 3e édit., 1910, t. viii, n. 383-385, p. 174, 175 ; et par le P. Lahousse, De virtutibus theologicis, Bruges, 1900, n. 231, p. 296.

4. Comment se peut-il que le catholique, en avançant dans la vie, ait toujours des motifs de crédibilité qui lui suffisent ? Explication psychologique et rationnelle. — Nous connaissons déjà, par diverses preuves tirées de la tradition, des documents et de la pratique de l'Église, cette volonté divine, que tout catholique dûment catéchisé, au moins s’il n’est pas ensuite gravement infidèle aux devoirs que lui impose la persévérance dans la foi, ait toujours la crédibilité rationnelle nécessaire à la foi, la providence dût-elle recourir, pour la lui donner, à des moyens extraordinaires. Mais l’extraordinaire est plutôt rare ; et pour qu’on ne nous accuse pas de multiplier incroyablement les miracles, il importe de montrer comment cette volonté divine pourra très souvent se réaliser pratiquement par le simple jeu des forces naturelles et des lois psychologiques.

Tout catholique a acquis des motifs de crédibilité, qui se trouvent être ou d’une valeur absolue, valables pour donner la certitude à tous les esprits, même les plus perspicaces et les plus exercés à la critique, ou d’une valeur seulement relative. De là deux cas très différents à examiner, au point de vue de la possibilité rationnelle de croire. Le premier cas (valeur absolue) est facile. De tels motifs donnent une certitude infaillible ; ils valent pour toute intelligence possible, par conséquent pour tout développement possible d’une même intelligence, ce qui doit les rendre toujours suffisants. Comme cette certitude infaillible peut dépendre cependant des bonnes dispositions morales, nous ne prétendons pas qu’elle soit physiquement indestructible ; nous disons seulement que la volonté ne peut jamais la détruire prudemment et légitimement, ce qui suffit à la question actuelle. — Objection. — Les plus excellents motifs de crédibilité, supposant en général des raisonnements historiques assez longs et assez compliqués, peuvent, après un certain temps, sans qu’il y ait de la faute de celui qui a passé par tous ces raisonnements, ne lui apparaître plus que d’une façon confuse, ce qui leur ôte de leur valeur à ses yeux : son avenir n’est donc pas assuré en matière de crédibilité. — Réponse. — Il lui sera souvent possible et facile de les repasser, et de leur rendre l'éclat primitif. Mais même en dehors de cela, le souvenir certain qu’a un homme d’avoir vu distinctement une démonstration dont il a oublié le détail, et d’en avoir alors reconnu la valeur absolue, est un fait suffisant à lui donner encore une infaillible certitude de la vérité autrefois démontrée. C’est à cette certitude d’avoir vu la vérité en des temps où nous étions mieux en état de la voir, que le bon sens lui-même nous dit de recourir dans les moments où nos facultés sont affaiblies soit par l'âge, soit par la maladie, soit par ces crises intellectuelles d’origine morbide où l’esprit est comme saisi d’une sorte de vertige, soit dans ce qu’on appelle en langage ascétique des « tentations contre la foi » . Ne rien changer, ne rien innover dans ces bourrasques de la tentation ou de la « désolation » , où l’on peut être sous l’influence de l’esprit de ténèbres, c’est le conseil très raisonnable de saint Ignace, Exercices, Règles du discernement des esprits pour la première semaine, règle 6. Tenons-nous-en à ce que notre âme a vu et décidé en un temps calme et lucide où notre jugement naturel avait toute sa valeur, où les influences mauvaises cédaient la place à celles de la grâce de Dieu. Chose curieuse, dans une lettre signalée par M. Jules Lemaître, Jean-