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FLAGELLANTS


colle de Mucidus, abbé de Saint-Martin de Tournay, éditée par de Smet dans le Recueil des chroniques de Flandre, Bruxelles, 1841, t. ii, p. 95-207. Ils essayèrent de pénétrer en France ; mais l’accès leur en fut interdit par le roi, sur l’avis conforme de l’université de Paris qui déclara que cette secte était contra Deum, contra formant sanctæ matris Ecclesiee et contra salulem aniniarum. Conlinualio altéra Chronici Guillelmi de Nangis, dans d’Achery, Spicilegium, Paris, 1723, t. iii, p. 111.

Cette fois, les flagellants étaient organisés en troupes plus ou moins nombreuses, en véritables confréries de pénitents. Quiconque voulait en faire partie devait faire une confession générale, pardonner à ses ennemis, obtenir l’autorisation de sa femme s’il était marié et de son confesseur, avoir juste de quoi vivre pendant les trente-trois ou trente-quatre jours que duraient les exercices en l’honneur du nombre d’années passées par le Sauveur sur la terre. Il devait en outre s’engager à obéir au chef de la confrérie et à se conformer aux règlements en vigueur. Une fois admis, le flagellant portait comme signes distinctifs un chapeau et un manteau marqués de deux croix rouges, l’une devant, l’autre derrière. Comme prières il devait réciter le Pater et Y Ave, cinq fois en sortant de sa demeure et en y rentrant, quinze fois le matin, cinq fois avant et après le repas, cinq fois pendant la nuit. A table, le silence était absolu ; on ne mangeait que des aliments maigres, on jeûnait le vendredi ; et chaque jour on changeait de résidence.

Au moment de pénétrer dans un village ou une ville, les flagellants se mettaient en procession ; en tête la croix, des drapeaux et des bannières, des cierges allumés ; puis deux par deux, le fouet à la main, ils avançaient au chant de cantiques fréquemment entrecoupés de Kyrie eleison, et au son des cloches se rendaient d’abord à l’église. Là, après quelques invocations pour demander pardon, ils se prosternaient à terre, les bras étendus en forme de croix, et reprenaient trois fois en chœur le solo chanté par le chef. Puis, sortant de l’église, ils se rendaient selon la disposition des lieux, soit sur la place publique ou au marché, soit dans quelque cour spacieuse ou sur une prairie. Là, toujours au chant des cantiques de pénitence, ils formaient un grand cercle, au milieu duquel ils déposaient les vêtements qui leur couvraient la partie supérieure du corps, et se jetaient à terre sans se préoccuper de la poussière, de la boue ou de la neige. Puis se relevant, ils procédaient à une flagellation pendant que le— chef entonnait un cantique de circonstance qu’ils reprenaient en chœur. A un signal donné, ils se prosternaient encore à terre, les bras étendus en forme de croix, et récitaient cinq Pater et Ave ; puis se tenant sur les genoux, ils se frappaient la poitrine en signe de contrition, et se mettant debout ils se flagellaient de nouveau jusqu’au sang ; après quoi ils remettaient leurs vêtements. L’un d’entre eux lisait alors à haute voix une lettre apportée du ciel, prétendaient-ils, par un ange, le 25 décembre 1348, où il était dit que la sainte Vierge avait obtenu du Sauveur que tous ceux qui se flagelleraient de la sorte auraient tous leurs péchés pardonnes ; après quoi, on retournait processionnellement à l’église pour y renouveler les mêmes exercices religieux qu’à l’arrivée ; puis chacun se retirait dans l’auberge ou la maison où l’on voulait bien l’accueillir.

Cette flagellation avait lieu deux fois le jour, le matin et le soir, et une fois la nuit. Mais quand un confrère venait à mourir, une flagellation supplémentaire était pratiquée en son honneur pendant la récitation de quinze Pater et Ave. Enfin, au terme des trente-trois ou trente-quatre jours d’une pareille pénitence, on rentrait chez sol et l’on devait s’inter dire rigoureusement pendant le reste de l’année tout rapport conjugal.

Les plaintes, qui s’étaient déjà fait entendre le siècle précédent, reprirent de nouveau. Ces apparences de piété, cet appareil d’austérité, ces prétentions au pardon sans recourir au sacrement de pénitence, cette organisation religieuse en dehors de l’autorité des évêques et du pape, éveillèrent de légitimes soupçons. Cela n’allait pas sans quelque superstition, comme le prouvait la fameuse lettre apportée du ciel, et n’était pas sans danger sérieux pour la foi et pour les mœurs. Le pape Clément VI intervint alors. Sans blâmer le moins du monde la flagellation ou la discipline en général, car prise avec modération et en secret, dans des conditions sagement déterminées par l’autorité compétente, elle a son utilité et offre des avantages d’ordre moral, sans même faire allusion à quelque acte d’immoralité, qui peut-être ne s’était pas encore produit, il écrit à l’archevêque de Magdebourg, fe 20 octobre 1349, que c’est là une religion vaine et une invention superstitieuse, qui méprise le pouvoir des clefs, l’autorité de l’Église et la discipline ecclésiastique ; il se plaint que des moines mendiants s’y soient trop facilement prêtés, et il ordonne d’arrêter et d’emprisonner les flagellants, surtout si ce sont des moines, se réservant de statuer lui-même définitivement sur leur sort. Cette lettre se trouve dans Baronius, Annales, édit. Theiner, t. xxv, p. 471, et Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, Paris, 1728, t. i, p. 361-368. Clément VI écrivit également à Philippe, roi de France, et à Edouard, roi d’Angleterre, pour les prier d’interdire toute manifestation du genre de celles des flagellants. Déjà, du reste, en plusieurs endroits, on avait eu recours à de sévères mesures de répression, à l’amende, à la prison et au feu. Au bout de trois ans, la secte avait complètement disparu.

Mais, dans l’intervalle, elle avait donné lieu à des luttes sanglantes. Sous prétexte de punir les juifs qu’ils accusaient d’avoir provoqué la peste en empoisonnant les puits, les flagellants les avaient durement molestés et en avaient fait périr un grand nombre. Les juifs usant de représailles attaquèrent à leur tour les flagellants et en massacrèrent plusieurs. Conlinualio altéra Clironici Guillelmi de Nangis, dans d’Achery, Spicilegium, t. iii, p. 110. C’était là un état de guerre religieuse et civile qu’il importait de faire cesser à tout prix ; l’Église et l’État ne pouvaient donc que profiter à la suppression de la secte des flagellants. Elle devait pourtant reparaître et reparut, en effet, au xve siècle.

4° Au a ve siècle. — Au commencement du xv c siècle, on vit se reproduire en Aragon, à la suite de saint Vincent Ferrier, des manifestations semblables à celles qui s’étaient produites lors des prédications de saint Antoine de Padoue : des auditeurs convertis par la parole de l’éloquent prédicateur se donnaient publiquement la discipline. Le bruit de ces rigoureux exercices de pénitence était parvenu jusqu’aux oreilles des Pères du concile de Constance. Ceux-ci craignirent que le mouvement ne dégénérât en scandale et ne fût une occasion de troubles civils et moraux. Gerson crut devoir en écrire à saint Vincent Ferrier pour qu’il y mit un terme et lui conseiller de ne point paraître l’approuver par sa présence, en le priant de se rendre au concile. Episl. Mag. Vincenlio contra flagellantes, Opéra, Anvers, 1706, t. ii, col. 658, 659. Pierre d’Ailly lui écrivit dans le même sens. Ad eumdem de eadem re, ibid., col. 659. Gerson, en effet, craignait de voir se répandre l’esprit sectaire qui animait ailleurs les flagellants. Il parle de ceux-ci en ces termes : Sub hoc velamine ac prælcxtu psenitenlix fiant innumera mala, sicut experti testantur.