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d’abord distinguer deux espèces de doute, le réel et le fictif.

a) Le doute réel nous est déjà connu comme une suspension du jugement entre deux thèses contradictoires, un état d’équilibre de l’esprit n’inclinant pas plus d’un côté que de l’autre. Voir la définition de saint Thomas que nous avons citée à propos de l’opinion, col. 92. Analysons ce concept. On peut s’abstenir, même volontairement, de porter un jugement, sans qu’il y ait pour cela doute. « Si quelqu’un, dit Lugo, en face de tous les motifs de crédibilité ne veut pas faire pour’.e moment l’acte de foi, parce qu’il n’y est pas obligé pour chaque instant, pro semper, et qu’il veut alors éviter la fatigue, se distraire à d’autres objets, la suspension de l’assentiment n’est pas alors un doute. » Dispul., Paris, 1891, t. i, disp. XVII, n. 86, p. 786. Car une telle abstention commandée par un tel motif « ne déroge en rien à l’autorité ae la foi, dit-il plus loin. Au contraire, celui qui retient son assentiment à cause des difficultés qui se présentent contre la vérité de la foi, par le fait même semble approuver tacitement ces difficultés et ces raisons et leur reconnaître de la valeur ; il donne suffisamment à entendre qu’il y a danger de se tromper en faisant l’acte de foi et c’est pour éviter ce danger qu’il se commande à lui-même une suspension d’assentiment. Dans une telle volonté (inspirée d’un tel motif) se manifeste une grave irrévérence à l’égard de la foi (de la révélation divine)… Même entre bommes, si à l’affirmation sérieuse d’un grave personnage, confirmée peut-être par serment, vous répondiez : Je suspends mon jugement — il serait en droit d’y voir une insulte. » Loc. cit., n. 91. Lugo ajoute que s’abstenir d’affirmer par crainte de se tromper, c’est là proprement « suspendre son jugement, » c’est là « douter » d’après l’origine même du mot dubius : qui hærcl inter duas vias. Il y aurait donc doute réel, si, par crainte de se tromper dans plusieurs des convictions de son enfance, on s’efforçait à un moment donné de faire table rase de toute certitude antérieure, de soulever des doutes contre tout ce qu’on tenait jusqu’à présent comme assuré, en attendant de reconquérir scientifiquement la certitude dans la mesure du possible. Le fait d’espérer reconquérir la certitude perdue, ou le lait d’appeler ce doute « méthodique » parce qu’il fait partie d’une méthode ne l’empêcherait pas d’être réel ; c’est donc à tort que plusieurs prennent comme équivalentes ces deux épithètes : doute méthodique, doute fictif. Cette espèce de doute réel est appelée parfois doute positif » , sans doute à cause de l’effort positif et même violent qu’il Implique contre une conviction déjà enracinée, à Ile on tâche d’enlever ce règne paisible et incontesté qu’on appelle la certitude habituelle. Du reste, le nom de « doute positif » ayant un autre sens en théomoralc, il vaut peut-être mieux s’en tenir à l’expression moins ambiguë de « doute réel » .

b)Lc doute fictif ne fait pas cri effort violent contre une conviction antérieure, et ne la remet pas réellement en question. Il se contente de ne pas regarder la preuve sur laquelle ; i été basée la certitude habituelle de l’objet, de ne pas l’évoquer a l’état arluii, de faire " lion temporairement de cet te preuve et de cette certitude déjà conquise. Soit un mathématicien qui e une nouvelle démonstration d’un théorème II n’a pas besoin pour cela de douter réellement de l, i ir de l’ancienne preuve qu’il a depuis longtemps, ni de rétracter ou d’attaquer la certitude habituelle qu’elle B produite dans son esprit : c’est assez qu’il de côté cette preuve ancienne, qu’il s’abstienne d’en ranimer le souvenir au moment même ou il en cherche une autre, qu’il f ;.sse comme si elle n’existait pas, comme si l’énoncé du théorème l’offrait < lui poui la première fois, sans appui intérieur, sans garantie de vérité. Voilà le doute fictif, grâce auquel le savant concentre toute son attention sur une démonstration nouvelle, la laisse agir seule sur son esprit pour mieux en éprouver et en juger la valeur. Kleutgen, qui a beaucoup étudié et analysé les ouvrages d’Hermès, décrit ainsi le doute fictif : « L’esprit n’est pas indécis sur la vérité de la chose, mais il procède comme s’il était indécis, pour démontrer scientifiquement la vérité que par ailleurs il admet sans hésiter. » La philosophie scolastique exposée et défendue, trad. franc., 1. 1, n. 223, p. 432. Déjà saint Augustin avait bien décrit le doute fictif : « Quoique je tienne tout cela d’une foi inébranlable, dit-il, cependant, parce que je ne le tiens pas encore par la connaissance (scientifique), nous allons chercher comme si tout cela était incertain. » De libero arbilrio, 1. II, c. ii, P. L., t. xxxii, col. 1242. Voir aussi un endroit de ses Rétractations où il avertit que, dans un passage de son De vera religione, c. xxv, il ne faut pas voir un doute réel, mais seulement fictif. Relract., 1. I, c. xiii, n. 6, P. L., t. xxxii, col. 604. Les scolastiques ont exprimé le doute fictif par ces formules interrogatives, dubitatives en apparence seulement, mises en tête des différentes questions qu’ils traitent : Utrum DcuS sit ? Ulrum Deus sit corpus ? etc.

2. Exposé de la méthode d’Hermès.

Nous n’avons pas à faire ici la biographie d’Hermès, professeur de théologie catholique et chanoine de Cologne, homme de vie irréprochable et d’excellentes intentions, mais dont les idées se ressentirent du triste état où végétait alors la théologie en Allemagne, voir Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1912, t. v, col. 899 ; cf. G. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le catholicisme, 1905, t. ii, p. 6-12 ; puis le mouvement hermésien, surtout après la mort du maître (1831), la condamnation par Grégoire XVI (1835). Op. cit., p. 142-146, 166-169. La bibliographie de l’hermésianisme est donnée par ces deux auteurs, surtout par le P. Hurter, op. cit., col. 903-904. Nous n’avons pas non plus à exposer ici toutes les théories de Georges Hermès, mais seulement sa méthode, étroitement liée à notre sujet. Destinée par son auteur non pas à tout le monde, heureusement, mais seulement à ceux qui veulent se préparer solidement à enseigner la religion, cette méthode part d’un doute général sur les convictions antérieures portant sur les vérités de la foi elles-mêmes, y compris leurs préambules.

On a beaucoup discuté pour savoir si le doute de Descartes était un doute réel ou fictif : 1a chose est bien plus claire pour celui d’I termes, plus blâmable d’ailleurs en ce qu’il s’attaque directement aux vérités de la foi, que Descartes avait tâché d’épargner. Voici comment I termes, dans son Introduction à la théologie, expose les principes de sa méthode et l’usage qu’il en a fait lui-même : « Au milieu de tous ces travaux, j’ai été fidèle, de la manière la plus consciencieuse, à la résolution prise de douter tant que cela était possible et de ne rien décider définitivement, à moins de pouvoir constater, pour une telle décision, une absolue nécessité de la raison (cine absolute Nôtigung der Yernunft). Il m’a fallu pour cela traverser, avec beaucoup d’efforts, le labyrinthe du doute, où refuserait de s’engager celui qui n’est jamais parvenu à un doute sérieux {errulichen Zweifet), parce qu’il regarderait cette entreCOmme une peine inutile et comme une perte de temps. Puis il exprime ainsi les résultats acquis : b suis devenu certain de l’existence de Dieu, de l’Immortalité de mon Ame ; je suis certain mainte nant que le christianisme est une révélation divine, I I que le catholicisme est le.vrai christianisme. » Einlcitung fn hr christkalholltche Théologie, part. I, PhiloSOphiSCht Einleitling, 2e édit.. Munster, 1831, préface. p. x, xi. (.c doute sérieux i, enfin suivi d’une acqui-