Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée
271
272
FOI


préternaturel du miracle ou de la révélation, exige du côté du sujet une vertu infuse appartenant à un ordre surnaturel très supérieur à ce préternaturel. — Les théologiens qui les premiers ont commencé à faire une synthèse générale du « surnaturel » ont bien remarqué qu’elle renferme des groupes différents, qui ne doivent pas être assimilés pour ce qui est de l’impossibilité naturelle de connaître le surnaturel. Molina, par exemple, distingue différents genres de surnaturel, et ajoute : « Ce sont les choses surnaturelles du premier genre que saint Thomas déclare ne pouvoir être naturellement connues par aucune créature intelligente, même après qu’elles sont données…, et par suite ne pouvoir être connues intuitivement ni par nous ni par les anges, si ce n’est surnatur. llement. » Il n’en est pas de même d’une autre catégorie de choses « surnaturelles » . Les démons, privés, comme on le sait, de toute vertu infuse et de toute grâce intérieure, ont pourtant, continue Molina, « pu voir intuitivement la résurrection du Christ et celle de Lazare, et les autres miracles ds Notre-Seigneur, et savoir que tout cela était surnaturel. » Commentaria in I » m D. Thomee, Lyon, 1593, q. lvii, a. 5, disp. I, p. 631, 632. Suarez, bien qu’il diffère de Molina par sa théorie qu’un acte naturel, soit dans l’homme, soit dans l’ange, ne peut atteindre en aucune façon un objet surnaturel du genre le plus élevé — aussi M. Rousselot dans cette question se réclame-t-il souvent de Suarez — admet pourtant sans l’ombre d’un doute qu’on peut naturellement atteindre le surnaturel quoad modum, le miracle, une fois que Dieu a bien voulu l’accomplir : les hommes pouvaient naturellement voir Lazare ressuscité, l’eau changée en viii, le Christ marchant sur les eaux, etc. Suarez, De angelis, 1. II, c. xxx, n. 2, dans Opéra, Paris, 1856, t. ii, p. 302. Et non seulement voir la chose matérielle, qui était naturelle en elle-même, comme le corps vivant de Lazare ressuscité ; mais encore connaître le mode surnaturel par lequel ce corps avait reçu la vie : le connaître, non pas intuitivement ou distinctement, mais du moins d’une manière abstraite et générale, comme une intervention divine en dehors de l’action des causes secondes. Quoad modum supernaturalem… non est dubium quin abslracle et generatim cognosci possit, fartas esse (lias res) præler naturam. Loc. cit., n. 4.

Nous avons insisté sur ce dernier point, à cause de la difficulté de la question et de son importance de nos jours, où l’on parle beaucoup et un peu confusément du surnaturel. Nous n’avons rien dit de la pensée de notre auteur sur la certitude relative et non infaillible qu’ont les enfants et les simples du fait de la révélation, certitude qu’il estime insuffisante à préparer la foi, sans alléguer d’ailleurs rien de nouveau contre la thèse de la suffisance : nous avons largement débattu la question et nous n’y reviendrons pas. Voir col. 231 sq.

Dans un article postérieur, M. Rousselot s’efforce de confirmer son système. Voir les Recherches de science religieuse, Paris, janvier-février 1913. Il s’en prend surtout à une certaine « foi naturelle » , admise par beaucoup de théologiens ; déjà dans les articles précédents il l’avait attaquée et avait signalé, parmi les défenseurs contemporains de cette « foi naturelle » , M. Vacant, M. Bainvel, le P. Gardeil, le P. Hilaire de Barenton, le cardinal Billot. Voir Recherches, t. i, 1910, p. 245. Il faudrait d’abord la bien définir. Cette foi est dite « naturelle » , non que la nature puisse la tirer d’elle-même par le simple jeu de ses principes immanents, sans un secours venant du dehors, surnaturel ou préternaturel. Au contraire, elle suppose d’abord et nécessairement pour chacun de ses actes le secours préternaturel de la révélation transmise du dehors par des intermédiaires. Elle suppose les mira cles qui authentiquent pour nous cette révélation. Elle suppose au besoin une grâce intérieure qui nous facilite l’examen de la révélation et des miracles, grâce qui peut être seulement préternaturelle ou surnaturelle quoad modum. Elle suppose de bonnes dispositions morales, nécessaires pour le genre d'évidence morale des préambules de la foi ; et l’acquisition, le développement, la conservation de ces bonnes dispositions morales a pu exiger, dans la partie affective, dans la volonté, des grâces surnaturelles, ou préternaturelles. Voilà déjà bien du surnaturel préalable pour cette « foi naturelle » . Tous ces secours étant supposés, l’infidèle en marche vers la foi, s'étant ainsi prouvé par des preuves rationnelles tous les préambules, l’existence, la science et la véracité de Dieu, le fait multiple de la révélation chrétienne en général, de l'Église et de la révélation de telle vérité en particulier, peut arriver, selon beaucoup de théologiens, à donner un assentiment certain, basé sur le témoignage de Dieu, à cette vérité, par exemple : « Nous devons nous aimer les uns les autres ; Dieu nous jugera ; Dieu s’est fait homme pour nous sauver, » et cela sans que son intelligence soit en outre élevée soit par la vertu infuse de foi, soit par une grâce actuelle équivalente et du même ordre ; du reste, cet assentiment n’est pas l’acte de foi théologale proprement dit, parce que, faute d'élévation intérieure de la faculté, ce n’est pas un acte intrinsèquement surnaturel : voilà dans quel sens on l’appelle « foi naturelle » . Scot l’appelle « foi acquise » , par opposition à la « foi infuse » qui est le produit de la faculté élevée par Yhabitus fidei ; et des documents cités par M. Rousselot pour « i’histoire de la notion de foi naturelle, » il résulte que c’est à Scot que revient l’honneur d’avoir le premier établi nettement cette importante distinction de concepts. Voir les Recherches de janvier 1913, p. 2-14. Quant à l’existence d’une pareille foi, non seulement Scot l’a admise, mais encore il semble avoir admis la nécessité de commencer par faire un acte de « foi acquise » toutes les fois qu’on va faire un acte de « foi infuse » ; et quelques théologiens de nos jours, en dehors de l'école scotiste, semblent ao mettre que les choses se passent ainsi en réalité. D’autres ne veulent pas de ces deux actes de foi, l’un naturel, l’autre surnaturel, s’appuyant tous deux sur l’autorité divine et ayant un même objet à croire ; c’est une complication qui n’est pas d’accord avec l’expérience générale, les actes surnaturels tombant eux-mêmes sous l’expérience par un certain côté ; déjà Lugo a réfuté une semblable opinion. Disputationes, Paris, 1891, t. i, De fide, disp. I, sect. ix, p. 95 sq. Ceux-là se contentent de dire que la « foi naturelle » , si elle n’est pas une condition de la foi surnaturelle, est un acte possible, au cas où la faculté n’est pas encore élevée, ou ne peut dans le moment présent être aidée par Yhabitus fidei. Ainsi le cas où un enfant baptisé, à qui on aurait proposé un faux mystère comme révélé, ferait là-dessus un acte de foi à cause du témoignage de Dieu ; en ce qui tombe sous la conscience, son assentiment à un faux et à un vrai mystère serait le même et également certain, et appuyé sur les mêmes motifs de crédibilité, et il ne percevrait la différence par aucun discerniculum, voir col. 246 sq. ; mais il y aurait une différence, invisible à ses yeux, en ce que Yhabitus fidei, qui ne tombe pas sous la conscience, coopérerait à l’assentiment quand il s’agit du vrai, et non quand il s’agit du faux : voir plus loin, la foi vertu surnaturelle ; cette coopération rendrait la foi au vrai mystère un acte intrinsèquement surnaturel, tandis que la foi au faux mystère serait la « foi naturelle » dont nous parlons. Ainsi Lugo, op. cit., disp. IV, n. 92, 93, p. 298. 299 ; Salmanticenses, De fide, disp. II, n. 96, p. 147, 148 ; Kilber, dans Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, t. iv, De virtutibus theologicis, n.18,