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tème, que cette ferme conviction des simples est un miracle, qu’elle ne peut procéder de causes purement naturelles ? » C’est une contradiction dans les termes, dit-il, qu’on puisse croire sans aucun doute par un acte purement naturel une chose fausse, ou même une chose vraie mais obscure… Un tel acte ne peut être qu’une opinion : or il est de l’essence de l’opinion de craindre, de douter ; et si quelques-uns disent de leurs opinions qu’elles sont certaines, qu’ils n’en éprouvent aucun doute, il ne faut pas les croire… Do plus, celui qui admet une erreur, ou en général celui qui a une pure opinion (vraie ou fausse), ne voit rien d’infailliblement lié avec la vérité : or, quand nous ne voyons rien d’infailliblement lié avec la vérité, il en résulte naturellement un jugement sur l’incertitude de la chose. » Loc. cit., n. 3, p. 201. Quant au cas du curé proposant à croire un faux mystère comme révélé, la conclusion logique de ce qui précède, c’est que tous les auditeurs, par manque de miracle divin, se sentiraient dans l’impossibilité d’y croire fermement, quand même une autorité que d’habitude ils vénèrent leur dirait qu’ils y sont obligés. « Un simple pourrait, sur la parole du curé, croire (par manière d’opinion spéculative et de conscience erronée) qu’il lui est possible et même obligatoire de faire un acte de foi, sans aucun doute, sur l’incarnation du Saint-Esprit, comme étant révélée de Dieu ; et cette persuasion pourrait bien le porter à essayer de croire cette fausse révélation sans aucun doute, mais sa tentative n’aboutirait jamais. » De même que, si le curé lui avait persuadé que Dieu lui ordonne de voler dans les airs, « il n’y pourrait croire pratiquement et efficacement, parce qu’en essayant de voler il n’aurait pas de peine à constater l’impossibilité de la chose, la bonne foi ne suffisant pas à soutenir quelqu’un dans les airs. » Loc. cit., n. 2, p. 201.

Critique du système. — Il ne favorise ni le fïdéisme proprement dit, puisqu’il laisse aux simples une préparation rationnelle à la foi, et les motifs de crédibilité qui leur sont propres, surtout l’autorité du curé ; n ; rilluminisme, puisqu’il ne suppose pas en eux de révélation nouvelle, mais seulement interprète comme un miracle le phénomène de ferme conviction qui est un fait notoire ; et encore Pérez ne dit-il pas que les simples eux-mêmes réfléchissent sur ce phénomène et l’interprètent comme un miracle, s’en servant comme d’un nouveau motif de crédibilité : cette grâce semble donc, d’après lui, opérer en eux, sans qu’ils s’en aperçoivent, ut quo, et non pas ut quod. Tout au plus dans le cas très rare d’un faux article proposé à leur foi, leur attention serait-elle éveillée par la situation nouvelle de leur esprit, qui ne pourrait croire fermement comme à l’ordinaire. Mais nous ne pouvons admettre la psychologie simpliste par laquelle ce profond métaphysicien, qui n’est pas assez psychologue, prétend prouver son assertion fondamentale. Comme beaucoup d’idéalistes ou d’optimistes même de nos joursetmême dans le camp de la libre pensée, Pérez bâtit a priori une raison humaine très parfaite dans tous les hommes et à tout âge, laquelle, mise en présence d’une proposition fausse quelle qu’elle soit, ou même d’une proposition vraie mais seulement probable (pour qui en sait critiquer les motifs) signalera fatalement le voisinage ou le danger de l’erreur par l’oscillation de la crainte ou du doute, par une oscillation que ni les circonstances ni la liberté ne pourront jamais empêcher ni maîtriser. Mais un tel instrument de précision dont l’aiguille serait si sensible, et en même temps si intangible dans ses oscillations, l’expérience montre qu’il n’existe pas, surtout dans les esprits peu cultivés. Un ensemble de causes naturelles, vérifiées par des faits innombrables, explique très suffisamment la ferme conviction qu’ont les simples là où les autres douteraient, qu’il s’agisse en réalité d’une vérité ou d’une erreur, et en matière

profane aussi bien qu’en matière sacrée : il n’y a donc pas lieu de trouver là aucun miracle avec Pérez. Voir rémunération de ces causes naturelles à l’art. Croyance, t. iii, col. 2370-2378. Quand l’explication par les causes naturelles suffit amplement, on n’a pas le droit * d’affirmer un miracle ni surtout « le plus grand des miracles, » ni surtout un miracle tellement généralisé, qu’il se renouvellerait tous les jours dans un nombre immense d’enfants et d’adultes, aussi souvent qu’ils croient fermement, f.es mêmes considérations montreraient que la grâce, miraculeuse ou non, n’est pas, comme se le figure aujourd’hui tel ou tel auteur catholique, absolument nécessaire pour donner la ferme conviction du fait de la révélation en sorte qu’on ne puisse jamais l’avoir simplement par la nature ; ce qui est vrai, c’est que la grâce est parfois nécessaire à la crédibilité, à cause des circonstances, par exemple, si l’enfant est placé entre l’autorité religieuse qui l’instruit et des influences contraires, ce qui se rencontre, hélas ! souvent aujourd’hui, bien moins autrefois. A un autre litre, la grâce est toujours et absolument nécessaire comme préparation à l’acte de foi : non pas que la conviction des préambules soit toujours impossible sans elle, mais parce que l’acte de foi est un acte salutaire comme le disent les conciles et par conséquent surnaturel ; dans quelle mesure ce titre nouveau réclame-t-il que les actes précédents aient toujours été eux aussi, surnaturels ou l’ouvrage de la grâce, c’est ce que nous examinerons plus loin au sujet de la foi vertu surnaturelle. « En face du vrai, s’il est obscur, » c est-â-dire s’il n’est pas appuyé de motifs infaillibles, dit Pérez pour prouver son miracle, « on ne peut avoir qu’une opinion, dont le caractère essentiel est de craindre, de douter. » Oui, si l’on a la force d’esprit nécessaire pour réfléchir sur ses motifs, les critiquer à fond, et reconnaître qu’ils ne sont pas infaillibles : mais les simples ne l’ont pas, et leurs motifs, qui ne donneraient à d’autres que l’opinion, leur donnent, à eux, la certitude relative, pleine de sécurité, du moins pour le moment. Voir col. 225. Si quelqu’un, entêté d’une doctrine qui serait pour d’autres une simple opinion, atteste qu’il n’en doute aucunement, il faut, dit encore Pérez, « refuser de le croire. » Mais ce refus est dur ; et la certitude d’entêtement est un fait, reconnu par saint Thomas, que Pérez cherche à suivre fidèlement. Voir Croyance, col. 2379. Plus singulières encore et plus dures sont les conséquences du système à propos de la conviction que peuvent avoir les hérétiques. S’il s’agit d’hérétiques inexcusables, « ils ont certainement quelque doute sur leur religion, dit-il : ils pèchent, par hypothèse : or ils ne pécheraient pas, s’ils ne doutaient pas. » Loc. cit., n. fi, p. 202. Inexact, cela : pour qu’ils soient responsables de leur état, il suffit qu’ils aient douté autrefois et qu’ils aient résisté à la grâce qui les pressait alors de faire une sérieuse enquête : depuis, ils ont pu s’entêter dans leur erreur, avec une véritable fermeté d’adhésion. On ne peut donc conclure d’une manière générale avec Pérez que « les hérétiques de notre temps, qui ont coutume d’attester qu’ils croient leur erreur sans aucun doute, mentent évidemment. » Loc. cit., n. 17, p. 204. S’il s’agit « d’enfants et de femmes de la campagne, croyant simplement comme articles de foi ce que leur enseigne un pasteur hérétique, » le faux avec le vrai, « ils n'éprouvent pas, dit-il, la certitude qu'éprouvent lesenfants catholiques…, lesquels voienttrès bien qu’ils ne peuvent sans péché se laisser écarter de leur foi par aucune persuasion humaine, même venant des hommes les plus savants… Ceci n’arrive à aucun de ceux qui sont élevés dans l’hérésie : car dès qu’ils entendent les catholiques dire le contraire de ce qu’ils croient, ils chancellent, ils commencent à douter… On objectera que des convertis ont affirmé qu’ils avaient d’abord cru de bonne foi les hérétiques qui les instruisaient…