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apparaissent à leur esprit, ne sont pas nécessairement liés au vrai, et ne leur donnent pas une certitude infaillible, et proprement dite, du fait de la révélation de ces articles. Ailleurs, il montre que cette « évidence de crédibilité » , demandée par les théologiens avant la foi, est à la portée des enfants eux-mêmes, à la condition toutefois de n’entendre par là que l'évidence de ce jugement pratique : « Je peux, je dois croire. » Et à cette objection, que l’enfant arrivé à l'âge de discrétion ignore nos motifs de crédibilité, et n’en a guère d’autre que l’autorité de ses parents, il répond : « Quoique ce motif qui influence l’enfant ne suffise pas à produire l'évidence de crédibilité dans tous les esprits, il suffit cependant à lui donner à lui l'évi dence que les mystères sont prudemment croyables ; car il est évident qu’un enfant, incapable de rien vérifier par lui-même, agit prudemment en croyant ce que lui enseignent ses parents, que la nature lui a donnés pour maîtres. » Op. cit., disp. V, n. 25, p. 322. Lugo distingue donc entre préambule et préambule, entre le fait de la révélation, et la prudence et l’obligation qu’il y a de croire. Le fait de la révélation. préambule spéculatif, n’est pas prouvé à l’enfant de manière à lui en donner une infaillible certitude ; mais ensuite la prudence et l’obligation de croire, préambule pratique, grâce à un principe réflexe indiqué par Lugo comme évident, seront affirmées avec une vraie et infaillible certitude. Mais si, pour ce dernier jugement, le jugement pratique de crédibilité, les simples ont la même certitude que les autres, il n’en est pas de même du jugement spéculatif précédemment porté sur le fait de la révélation.

Jean de Saint-Thomas, vers le même temps, témoigne d’une doctrine semblable dans l'école thomiste : « Nous voyons, dit-il, beaucoup de fidèles très peu développés, valde rudes, qui n’ont rien perçu des motifs de crédibilité de la foi, bien loin de les avoir perçus avec évidence, mais qui seulement ont été instruits par leurs parents ou leur curé, et croient en s’appuyant sur la foi de ceux-ci ; et pourtant il est très dur de les priver tous de l’acte de foi infuse, ce qui serait les priver de la vraie pénitence et de la justification. » Cursus theologicus, De fide, q. i, dist. II, a. 3, n. 4, Paris, 1886, t. vii, p. 46. « L'évidence de crédibilité, ajoute-t-il, n’est pas l'évidence de la chose : ce n’est que l'évidence de l’aptitude qu’a telle matière à être crue… Un énoncé peut très bien être réellement faux, et en même temps très croyable à cause de la vraisemblance avec laquelle il est présenté, et des raisons par lesquelles on le persuade. » Loc. cit., n. 6, p. 47. Si les preuves du fait de la révélation, données aux simples, n’ont pas assez de valeur pour engendrer une certitude infaillible, il pourra arriver qu’avec de telles preuves ils croient quelque chose de faux qui n’a pas été révélé, et qu’ils le croient prudemment. « La fausseté même peut devenir prudemment croyable : » c’est l’affirmation du fait de la certitude relative, que nous avons déjà rencontrée chez Cajetan.Voir col. 217 ; Crédibilité, t. iii, col. 2283.

Haunold, qui a spécialement approfondi cette question au xviie siècle, dit : « Pour que les simples soient obligés à faire un acte de foi, il suffit de motifs de crédibilité qui ne suffiraient pas à obliger un esprit plus sagace. Les modernes appellent ces motifs respectifs, c’est-à-dire qui suffisent seulement aux simples, lesquels ne peuvent pénétrer les motifs de crédibilité universels (valant pour tout le monde). Cette conclusion est très commune parmi les théologiens…, si commune qu’il faudrait un long catalogue pour en énumérer les défenseurs. » Tlieologia speculaliva, LUI, n. 229, Ingolstadt, 1670, p. 373.

A la fin du xviie siècle, le célèbre controversiste Rassler exprime ainsi le principe réflexe au moyen

duquel les fidèles même ignorants peuvent avoir, et ont d’ordinaire un jugement pratique, soit évident soit moralement certain, » sur la prudence ou même l’obligation de croire : « La raison dernière, c’est que quiconque a conscience de son ignorance d’un art agit prudemment s’il cherche un maître sage et au courant de cet art et s’en rapporte à sa parole, tant qu’il n’a pas une raison prudente de douter : …suivant la parole de saint Augustin, De ulilitale credendi, c. xiu : Nihil nobis restât, quamdiu stulli sumus, si vila religiosa et optima nobis cordi est, quam ut quseramus sapienles, quorum dictis obtemperemus. » Conlrov. theol. de ultima resolutione fidei divinæ, Dillingen, 1696, p. 353, 355.

Au xviiie siècle, cette même doctrine est bien expliquée par nombre de théologiens. Gabriel Antoine distingue des motifs absolus les motifs relatifs ou respectifs de crédibilité : « telle est, par exemple, l’autorité du curé à l'égard de ceux qui reconnaissent sa probité et sa science. » Theologia universa, De fide, sect. ii, a. 6, Paris, 1736, 1. 1, p. 143. Antoine Mayr nous fait ce tableau de la foi des enfants et des simples : Ordinairement leur jugement de crédibilité est fondé sur le témoignage du curé, du prédicateur, du catéchiste, des parents, des voisins : en somme, d’un petit nombre de personnes, qui leur disent que tels articles ont été révélés et doivent être crus d’une foi très ferme. Si leurs instructeurs sont soigneux, ils ajoutent que la religion catholique est seule infaillible et dirigée par l’assistance du Saint-Esprit, et ils proposent l’un ou l’autre motif de crédibilité, comme les miracles… Mais cet ensemble proposé, n'étant garanti que par l’autorité d’un seul prêtre ou de quelques personnes, souvent peu doctes, ne serait pas de nature à persuader des gens instruits, ni à les amener au jugement de crédibilité. » Theologia scholaslica, De fide, n. 492, Ingolstadt, 1732, t. i, p. 147. Enfin on trouvera un substantiel résumé de la doctrine chez Kilber, Theologia Wirceburgensis, t. iv, n. 172 sq., ou dans Migne, Theologiæ cursus, t. vi, col. 543-551.

Au xix c et au xxe siècle, la même doctrine se retrouve chez beaucoup de théologiens. Patrice Murray, dans son remarquable traité de l'Église, parmi les conversions de protestants au catholicisme, n’omet pas d'étudier celles des gens peu instruits : il observe que les motifs de crédibilité, qui en général agissent alors, sont empruntés aux motifs de valeur absolue que l’on étudie en apologétique, « mais sont proposés différemment, et accommodés à ces esprits, et considérés imparfaitement et partiellement, espèces d'ébauches qui, en se complétant, arriveraient à la valeur de motifs absolus… Ainsi, l’origine de quelquesunes de ces conversions a été la considération de la vie sainte de quelques catholiques ; pour d’autres, l’examen des heureux fruits de la confession chez des serviteurs ou des parents ; ici, le spectacle de la dévotion des pieux fidèles dans les églises ; là, la lecture de livres de piété catholiques. D’autres ont été frappés des dissensions irrémédiables en matière d’articles de foi, qui agitaient leurs sectes, etc., etc. Tout cela doit se ramener aux notes de l'Église, unité, sainteté, etc. : ce sont, en effet, des manières plus ou moins claires de les entrevoir, ou des détails et des linéaments, qui leur appartiennent. La relativité de ces motifs ne vient pas des preuves telles qu’elles sont en elles-mêmes (les notes de l'Église), mais du degré et de la manière dont on les saisit. » Tractatus de Ecclesia, dist. XI, n. 264, Dublin, 1862, t. ii, p. 324. Mazzella établit très bien ce fait de la certitude purement relative des enfants et des simples. De virtutibus infusis, Rome, 1879, n. 813-828 ; Naples, 1909, n. 745 sq., p. 377 sq. Schiffini donne cette doctrine comme plus commune et 1res préférable : « L’opinion la plus commune ensei-