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de définir la certitude par ces deux éléments ; ajoutons cette définition du P. Hugon, O. P. : « La certitude est un assentiment inébranlable de l’esprit (fermeté) pour des motifs qui excluent tout péril d’erreur » (infaillibilité). Dans la Revue thomiste, mai 1902, p. 163. Enfin on peut même dire que le concile de Trente a consacré le mot infallibilis pour désigner une propriété de la certitude absolue : absolula et infallibili certitudine. Sess. VI, can. 16, Denzinger, n. 826. Quant à l’objection, qu’en appelant « infaillible » un certain acte de la raison naturelle, nous la mettons trop haut et sur la même ligne que l’Église, voir plus haut, col. 181.

Il nous reste à expliquer cette « infaillibilité » . Le mot lui-même dit plus que inerranlia, le simple fait de ne pas se tromper : par sa désinence, infalli-bilis, il dit une impossibilité de se tromper, en d’autres termes, une exclusion de tout risque, de tout péril d’erreur. Un jugement infaillible est donc un jugement vrai et quelque chose de plus. Pour qu’un jugement soit « vrai » , il suffit qu’il se rencontre, même fortuitement, avec la réalité des choses, avec la vérité objective. Quelqu’un dit sans motif sérieux, au hasard : Demain il fera beau ; et de fait, il se trouve qu’il fait beau ; son jugement, quoique mal fondé, a été vrai d’après la définition de la vérité : adsequatio intelleclus et rei. Pour qu’un jugement soit « infaillible » , il ne suffit pas qu’il se rencontre avec la vérité, il faut qu’il ait dans ses principes, par exemple, dans les motifs qui le spécifient, quelque chose qui exclut l’erreur, qui en détruit le risque. Ainsi l’infaillibilité « ajoute à la vérité de l’acte une impossibilité d’erreur qui dérive de la propre perfection de l’acte » ou des principes d’où il tire cette perfection. Muniessa, Disput. scholasticæ de providentiel, fide, baptismo, Saragosse, 1700, p. 316. « Impossibilité d’erreur » équivaut du reste à « connexion nécessaire avec la vérité, » expression dont se sert Lugo pour désigner le second élément de la certitude, dans cette définition : Certitudo est fuma adhœsio intelleclus assentienlis, et necessaria connexio ipsius assensus cum veritalc. Dispulaliones, etc., disp. IV, n. 78, Paris, 1891, t. i, p. 353. L’explication de ce second élément sera complétée plus loin à propos de la division de la certitude en métaphysique, physique et morale, voir col. 211.

2. Différentes espèces de certitude.

a) Division de la certitude en évidente et inévidente. — La première espèce de certitude, intellectuellement la plus excellente, est la certitude évidente, ou plutôt, qui procède de l’évidence stricte et parfaite, c’est-à-dire d’une clarté irrésistible, qui emporte par elle-même l’entière adhésion de l’esprit. Voir Évidence, t. v, col. 1725-1726. Quand l’objet de notre jugement a cette évidence (immédiatement ou médiatement), alors, comme dit saint Thomas, intelleclus (ad assentiendum) movetur ab ipso objecto… Illa videri dicuntur, quee per seipsa movent intellectum…ad sui cognilionem. Sum. iheol., II a II æ, q. i, a. 4. Videri, d’où evidenlia. Les scolastiques ne donnaient ordinairement ce nom « d’évidence » qu’à cette clarté irrésistible, nécessitante, où, sans intervention de la volonté, l’objet produit l’assentiment ; ainsi Lugo : Evidenlia (consista) in hoc quod intellectus convincatur ab objecto ipso et necessitetur ad assentiendum. Op. cit., disp. II, n. 10, p. 178. Aujourd’hui on donne souvent au mot « évidence » un sens plus large. Voir Évidence, loc. cit.

Une seconde espèce de certitude, bien qu’« inévidente » , c’est-à-dire ne procédant pas de l’évidence stricte et nécessitante, peut encore être une certitude proprement dite et digne de ce nom, car elle peut avoir les deux éléments essentiels, fermeté et i nfaillibilité. Fermeté : à cause de l’obstacle des passions, et d’un certain manque de clarté, l’objet tout

seul ne suffirait pas à la produire : mais il peut être aidé par de bonnes dispositions qui écartent l’obstacle ou même par une intervention plus directe, mais légitime, de la volonté libre arrêtant les doutes imprudents et sophistiques et produisant ainsi l’adhésion ferme. Quand l’intelligence, dit sa : nt Thomas, « est déterminée à adhérer totalement à l’une des deux (contradictoires), cela vient tantôt de l’objet de l’intelligence (ab intelligibili), tantôt de la volonté. » De veritale, q. xiv, a. 1. Voir Croyance, t. iii, col. 2384-2386. Infaillibilité. Cette seconde qualité essentielle de la vraie certitude est-elle attachée exclusivement à la stricte évidence ? Durand de Saint-Pourçain semble l’avoir pensé. A ses yeux, la « certitude d’évidence » mérite seule le nom de certitude. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, q. vii, n. 7 sq., Paris, 1550, fol. 220. Mais les autres scolastiques ont rejeté sa théorie. « Ce n’est point par l’évidence, mais par l’infaillibilité, qu’il faut expliquer et caractériser la certitude parfaite, « conclut Suarez, cité à l’art. Croyance, col. 2390 ; et, ajoute-t-il, il peut y avoir infaillibilité sans évidence. Les deux choses, en effet, sont distinctes et séparables : 1’« évidence » n’est autre chose qu’une spéciale clarté dans le motif de l’affirmation ; 1’« infaillibilité » , une spéciale sûreté de ce motif, une liaison nécessaire de ce motif avec la vérité. Voir Sahnanticenses, De fide, disp. II, n. 114, Cursus theologicus, Paris, 1879, t. xi, p. 158. Dans la stricte évidence « ce qui détermine et nécessite l’intelligence, dit pareillement Lugo, ce n’est pas seulement le poids du motif, mais encore la plus grande clarté avec laquelle il est présenté : cette clarté empêche le doute et la crainte plus que ne le fait le poids seul du motif connu sans cette clarté. » Loc. cit., n. 42, p. 191. Ainsi, prenons deux raisonnements qui aient au fond la même valeur, la même infaillibilité, deux raisonnements mathématiques, par exemple. L’un est très court, et par là peut être présent à l’esprit tout entier du même coup ; de cette proportion de l’objet à notre vue naîtra une clarté irrésistible. L’autre est très long, et arrivé au bout on ne peut le concentrer tout entier sous son regard ; il faut se fier à sa mémoire, qui atteste que chaque partie a été séparément bien i.ouvée : de là un amoindrissement de clarté, qui pouria donner occasion à la crainte, à un doute imprudent. A plus forte raison, quand on compare des connaissances de divers ordres, on trouvera cette différence. La stricte évidence est rare en histoire, par exemple. A notre esprit humain, uni étroitement à la matière, mais procédant par abstraction, le plus exactement proportionné de tous les objets, le plus irrésistiblement clair » est cet objet des mathématiques, qui est de la matière, mais de la matière extrêmement simplifiée par l’abstraction, dégagée de l’infinie complexité du réel, des variations fuyantes du mouvement et du devenir, comme l’explique saint Thomas. Opuscule sur Bocce, q. vi, a. 1, q. n. Cf. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, De evidenlia, etc., p. 195.

Cette seconde espèce de vraie certitude, de ce qu’elle n’est pas arrachée à l’esprit par l’évidence stricte de l’objet, de ce qu’elle dépend de la volonté, peut s’appeler « certitude volontaire, libre » : non pas que la certitude soit un acte ou une qualité de la volonté, mais parce qu’un acte de la volonté sert ici à amener l’intelligence à la fermeté de la certitude. Intellectuellement moins parfaite, parce que l’intelligence aspire toujours à plus de clarté, cette seconde espèce a plus de valeur morale, en tant qu’elle dépend de la liberté ; ce qui la rend plus convenable dans le domaine religieux et dans une vie d’épreuve comme la nôtre. Voir Croyance, t. iii, col. 2394, 2395. — D’autre part, « le fait que la volonté intervient dans cette certitude, disent les Sahnanticenses, ne lui